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ÉCONOMIE & ENTREPRISE
VENDREDI 13 MARS 2020
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La crise de l’or
noir menace les
rêves pétroliers
de Donald Trump
Riyad et Moscou se sont lancés dans
une violente guerre des prix afin de faire plier
les producteurs américains de pétrole
de schiste. Depuis janvier, le cours du baril
de brent a quasiment été divisé par deux
new york correspondant
H
arold Hamm a appelé la
Maison Blanche à son se
cours. Le magnat du pé
trole de l’Oklahoma,
bailleur de fonds de Do
nald Trump et conseiller
officieux du président des EtatsUnis pour
les affaires énergétiques, a perdu 2 milliards
de dollars (environ 1,8 milliard d’euros),
lundi 9 mars, du fait de l’effondrement des
cours du brut sur les marchés.
Continental Resources, l’entreprise qu’il a
fondée et dont il détient 75 % du capital, ne
vaut plus que 2,6 milliards de dollars, contre
20 milliards il y a moins d’un an. Et il a be
soin de l’aide de M. Trump. « Je ne veux pas
prescrire au président ce qu’il doit faire », a dé
claré l’entrepreneur de 74 ans au Washington
Post. Mais il veut aborder la manière dont la
guerre pétrolière entre la Russie et l’Arabie
saoudite « menace les emplois, les commu
nautés et les économies des Etats producteurs
à travers l’Amérique, de la Pennsylvanie à la
Californie et du Texas au Dakota du Nord ».
Le krach pétrolier est une catastrophe pour
les producteurs de gaz et de pétrole de
schiste de l’Oklahoma et du Bassin permien
du Texas, Etat décisif pour la réélection de
Donald Trump, en novembre. Celuici s’est
publiquement réjoui de la baisse, qui est
« bonne pour les consommateurs ». En réalité,
elle constitue un désastre pour ses fiefs pé
troliers du Midwest.
Officiellement, bien sûr, les républicains ne
demandent pas de renflouement public, tout
comme Mike Sommers, patron de l’American
Petroleum Institute, qui représente la filière.
EN TERRITOIRE INCONNU
La tactique habituelle consiste à invoquer la
sécurité nationale et à dénoncer les manipu
lations des Russes pour appeler au secours,
comme l’a fait Anne Bradbury, directrice gé
nérale de l’American Exploration and Pro
duction Council, qui représente vingtcinq
producteurs indépendants de pétrole :
« Nous avons besoin de réglementations et de
politiques saines permettant aux producteurs
indépendants américains de rester les leaders
mondiaux du développement énergétique
pour s’assurer que notre pays conserve l’indé
pendance énergétique que nous avons recher
chée pendant des décennies. »
La mise en cause de la Russie intervient
alors que la guerre des prix lancée par Riyad et
Moscou vise explicitement les producteurs
américains de pétrole de schiste, qui ont per
mis aux EtatsUnis de se hisser, en 2018, au
rang de premier producteur mondial de brut.
Sans se soucier des cours mondiaux, l’On
cle Sam était devenu le troublefête du mar
ché de l’or noir. Depuis 2017, plus la produc
tion américaine croissait, plus l’Organisa
tion des pays exportateurs de pétrole (OPEP)
et la Russie devaient s’imposer des quotas
afin d’éviter un effondrement des cours.
Résultat : les pays producteurs tradition
nels n’ont eu de cesse de céder des parts de
marché aux Américains, ce qui a rendu fu
rieuses les compagnies pétrolières russes.
L’OPEP et la Russie n’ont jamais réussi à con
vaincre les groupes américains de diminuer
la production, d’autant que le discours de
Donald Trump sur la « domination énergéti
que » des EtatsUnis sonnait comme un
blancseing à forer toujours plus.
A cette abondance d’offre s’est ajoutée une
crise de la demande, avec la chute de l’acti
vité économique en Chine, frappée de plein
fouet par l’épidémie due au coronavirus. La
consommation mondiale pourrait reculer
pour la première fois depuis 2009. Cette
pression a fait exploser l’alliance entre le car
tel de l’OPEP et la Russie, et entraîné le mar
ché pétrolier en territoire inconnu. Même les
analystes les plus optimistes ne se risquent
pas à imaginer un retour à la normale dans
les prochains mois.
Moscou et Riyad vont payer un prix écono
mique élevé pour cette offensive, mais espè
rent que c’est le schiste américain qui souf
frira le plus. La situation n’est pas comparable
à celle de la crise financière de 2008, lorsque
l’exploitation de schiste était balbutiante,
produisant moins de 1 million de barils par
jour. Rien d’identique, non plus, avec l’effon
drement de 2014, lors de la dernière guerre
des prix lancée par les Saoudiens. A ce mo
mentlà, Wall Street et les investisseurs privés
s’étaient empressés de venir à la rescousse du
secteur, qui avait résisté à l’offensive au prix
de coupes budgétaires draconiennes. Sur
tout, à l’époque, l’industrie du schiste ne pro
duisait que 2 millions de barils par jour.
Aujourd’hui, plus de 60 % de la production
américaine proviennent de ces gisements.
Mais ces opérations ne sont pas jugées suffi
samment rentables par les investisseurs. De
fait, leur rentabilité est de l’ordre de 4 % des
capitaux investis, un niveau beaucoup trop
faible pour ce genre d’industrie, tandis que les
valeurs boursières affichent une sousperfor
mance durable. Depuis plusieurs trimestres,
les fonds d’investissement et les activistes
tentent de pousser les industriels à réduire
leurs volumes et à privilégier le cashflow.
Les mesures imaginées pour les pétroliers
n’ont pas été annoncées officiellement par la
LE KRACH
EST UNE
CATASTROPHE POUR
LES PRODUCTEURS
DU TEXAS, ÉTAT
DÉCISIF POUR
LA RÉÉLECTION
DU MILLIARDAIRE
AMÉRICAIN,
EN NOVEMBRE
En Alberta, « un coup d’arrêt aux projets de nouvelles exploitations »
Pour PierreOlivier Pineau, spécialiste des politiques énergétiques à HEC Montréal, la province canadienne va devoir diversifier son économie
ENTRETIEN
montréal correspondance
L
e Canada est le quatrième
producteur et exportateur
de pétrole au monde, avec
4,6 millions de barils par jour,
loin derrière les EtatsUnis, l’Ara
bie saoudite et la Russie. Avec une
particularité : une seule province,
l’Alberta (Ouest), concentre, à elle
seule, 80 % de la production, dont
l’essentiel provient de l’exploita
tion de sables bitumineux. Une
spécificité qui la place dans une
posture très délicate au regard de
l’effondrement des prix de l’or
noir, explique PierreOlivier Pi
neau, spécialiste des politiques
énergétiques à HEC Montréal.
L’Alberta peutelle encaisser le
plongeon des cours du pétrole?
L’Alberta a déjà été fortement
fragilisée lors de la première
chute des prix du pétrole, à
l’automne 2014. Le baril est passé
en quelques jours de 100 à 50 dol
lars [américains, soit de 88 à
44 euros, au cours actuel], sans ja
mais remonter de manière signi
ficative. Toute son économie s’en
est trouvée ralentie.
L’Alberta reste la province la
plus riche du pays, mais elle tire
l’essentiel de ses ressources fisca
les des taxes sur les hydrocarbu
res. En effet, il n’y a pas de taxe sur
les ventes [type TVA] et l’impôt
sur le revenu y très faible. Résul
tat : depuis 2014, le gouverne
ment local creuse ses déficits,
sans avoir ni constitué de bas de
laine ni engagé la diversification
de son économie. Aujourd’hui, il
va subir de plein fouet cette nou
velle chute des cours.
Fautil craindre des faillites
chez les compagnies pétroliè
res canadiennes?
Depuis 2014, de nombreuses en
treprises ont déjà réduit leurs
opérations. Le mouvement va
s’amplifier. Contrairement à
l’Arabie saoudite, où tout dépend
d’une seule grande compagnie
liée à la famille régnante [Saudi
Aramco], l’exploitation pétrolière
en Alberta concerne 362 sociétés.
Il s’agit bien sûr de quelques
majors comme Exxon, Suncor ou
Shell, mais surtout d’une my
riade de petites entreprises qui ne
produisent que 50 000 barils par
jour. Ce sont les plus exposées au
risque de faillite.
Les trois quarts de la production
albertaine proviennent du pé
trole bitumineux, un type d’ex
ploitation qui nécessite d’énor
mes investissements d’infras
tructures. Cependant, une fois
qu’ils sont réalisés, les coûts fixes
ne sont plus énormes. Donc elles
vont continuer à produire pour
grappiller quelques dollars de
profit. Mais si le prix du baril de
vait rester autour de 30 dollars
pendant plusieurs mois, elles n’y
survivraient pas.
Quel sera l’impact sur
les investissements?
Un tel niveau de prix va mettre
un coup d’arrêt à tous les projets
en cours pour de nouvelles
exploitations. L’entreprise Teck
Resources a renoncé, fin février, à
son énorme projet de mine de
sables bitumineux prévu en Al
berta, car elle s’est rendu compte
qu’à moins de 90 dollars le baril,
ce n’était pas rentable. Alors, ima
ginez aujourd’hui!
Les responsables politiques en
Alberta [conservateurs] ont voulu
mettre ce renoncement sur le dos
des opposants, des autochtones,
des Québécois, des écologistes...
Plutôt que de chercher des boucs
émissaires, ils auraient dû com
mencer à se préoccuper de diver
sifier leur économie.
Le gouvernement de Justin Tru
deau vatil secourir l’Alberta?
Les EtatsUnis ont déjà annoncé
des aides ciblées pour les secteurs
touchés par la crise du coronavi
rus. Cellesci pourraient s’appli
quer à l’industrie pétrolière. Le
gouvernement Trudeau pourrait
leur emboîter le pas. On se retrou
verait alors face à ce paradoxe : à
l’heure où le monde entier est
sommé de réagir face à l’urgence
climatique, des gouvernements
échafaudent des plans de sauve
tage pour l’industrie pétrolière.
propos recueillis par
hélène jouan
P É T R O L E
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Source : Boursorama
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Cours du baril de brent, en dollars
2 janvier 12 mars