Le Monde - 13.03.2020

(Nancy Kaufman) #1

6 |planète VENDREDI 13 MARS 2020


0123


8

Cap des 1 000
contaminations

12 462

1 1261 128

2 505
2 281

1009

Cap des 10 000
contaminations

Connement
de l’ensemble
de l’Italie

Les premiers foyers
de contamination locale
font l’objet de mesures
de connement

22 23 24 25 26 27 28

1
mars

2 3 4 5

29

6 7 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22

Premier tour
des élections municipales

Second tour
des élections municipales

1
mars

(^2345678910)
FRANCE
février
ITALIE^21
29
11
février
8
1009
février
21
29
février
1 1261 128
29
8
0
2 000
4 000
6 000
8 000
10 000
12 000
Epidémie de Covid-19 : une progression similaire mais décalée dans le temps entre l’Italie et la France
Nombre total de cas
Infographie : Le Monde Sources : OMS, Protection civile italienne, agences régionales de santé
France Italie
Le cap des 1000 patients a été dépassé le 29 février en Italie et le 8 mars en France.
En faisant coïncider ce moment, le graphique montre un rythme de progression
similaire avec un décalage temporel.
A l’hôpital,« le stade 3, on y est »
Dans de nombreux hôpitaux, la tension monte devant l’afflux de malades. L’exécutif veut éviter la panique
L
a vague a commencé de
monter, et nul ne sait
pour l’instant quelle hau­
teur elle atteindra. Si le
stade 3 de l’épidémie de Covid­
n’a toujours pas été formelle­
ment annoncé, la France est en
état d’alerte. « Tous les jours, les
autorités annoncent un cran sup­
plémentaire pour responsabiliser
sans faire paniquer », résume un
directeur d’hôpital.
Après avoir interdit, dimanche
8 mars, tout rassemblement de
plus de 1 000 personnes, le minis­
tre de la santé, Olivier Véran, a dé­
crété, mercredi 11 mars, l’interdic­
tion jusqu’à nouvel ordre de
toutes les visites aux personnes
âgées en établissement d’héber­
gement pour personnes âgées dé­
pendantes. Une interprétation
extrême des « restrictions de visi­
tes » recommandées par le plan
pandémie grippale de 2011. L’en­
jeu : éviter à tout prix un pic épi­
démique périlleux pour le sys­
tème de santé français, alors que
l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) qualifie désormais le
Covid­19 de « pandémie ».
Une « bataille capacitaire »
Si le passage au stade 3 est pré­
senté comme « inexorable », il
n’aurait pas encore été décidé,
même s’il n’est pas exclu que le
chef de l’Etat l’annonce lors d’une
prise de parole solennelle, prévue
jeudi à 20 heures. Craignant un
mouvement de panique à son ac­
tivation, l’exécutif tente de mini­
miser sa portée. « Je pense qu’il ne
faut pas considérer qu’il va y avoir
à un moment donné dans notre
pays une grande bascule où tout
va changer. Il faut qu’on reste ex­
trêmement adaptable et à chaque
moment, selon la différenciation
des territoires », a expliqué le
président de la République,
mardi 10 mars, lors d’une visite
au centre d’appels (15) du SAMU
de l’hôpital Necker­Enfants
malades à Paris.
Au sein de l’exécutif, on défend
la stratégie des petits pas adoptée
depuis le début de la crise. « Notre
stratégie, c’est de gagner du
temps, pour augmenter de 40 % le
nombre de places en réanimation
et pouvoir absorber le pic de l’épi­
démie. Nous sommes dans une
bataille capacitaire », explique­
t­on à l’Elysée.
A la tête de l’Etat, on réfute no­
tamment toute comparaison
avec l’Italie, qui prendrait davan­
tage la mesure de la menace que
la France. « On ne peut pas cal­
quer notre réponse sur celle de
nos voisins italiens : leur système
hospitalier n’est pas dans le même
état que le nôtre, nous n’avons pas
la même pyramide des âges... »,
explique un conseiller. « Nous de­
vons en permanence naviguer
entre deux écueils : le trop et le pas
assez. Mais notre stratégie est la
bonne, nous avons moins de
morts que nos voisins, notre hôpi­
tal tient le choc », ajoute un pro­
che d’Emmanuel Macron.
Dans de nombreux hôpitaux,
cependant, la tension monte : la
vague épidémique est déjà aux
portes des services, avec l’aug­
mentation rapide du nombre de
cas depuis le week­end. « Que ce
soit politiquement difficile de l’an­
noncer en période électorale, on le
comprend. Mais le stade 3, on y
est », lâche Djillali Annane, chef
du service de réanimation à l’hô­
pital Raymond­Poincaré de Gar­
ches (Hauts­de­Seine). Pour ce
médecin, pas de doute : la France
doit se préparer à vivre « la même
chose que l’Italie, avec huit à dix
jours de retard ».
Partout, les équipes de direc­
tion multiplient les réunions de
crise pour se préparer à un fort
afflux de patients dans les servi­
ces de réanimation. En Ile­de­
France, les médecins­réanima­
teurs ont créé un groupe Whats­
App pour connaître en temps
réel les capacités en lits dans la
région. « L’idée est de ne pas être
pris de court par l’épidémie, on
essaie d’avoir deux coups
d’avance », insiste Alexandre
Demoule, réanimateur à la Pitié­
Salpétriêre à Paris, l’un des cen­
tres de référence pour le Co­
vid­19. Cet hôpital travaille main
dans la main avec Tenon et Saint­
Antoine : au total, jusqu’à 80 lits
pourront être ouverts en cas de
besoin dans ces trois établisse­
ments. Ils pourraient vite se
remplir : à la Pitié, « nous avions
deux cas graves il y a une semaine,
et quinze aujourd’hui », poursuit
le médecin.
Mardi 10 mars, le directeur gé­
néral de la santé, Jérôme Salo­
mon, a annoncé que 5 000 lits de
réanimation étaient disponibles
en France et 7 364 lits dans les uni­
tés soins intensifs. Si besoin, des
places supplémentaires peuvent
être rapidement dégagées en
annulant des opérations pro­
grammées. « Arrêter l’activité pro­
grammée pourrait ne pas être suf­
fisant », met cependant en garde
un directeur d’hôpital.
Dans le service de réanimation
de Garches, six des dix­huit lits
de réanimations sont déjà consa­
crés au Covid­19, et huit lits sup­
plémentaires peuvent être mobi­
lisés. « Nous sommes prêts mais si
la vague dure plus d’une semaine,
ce sera difficile, et si elle dure un
mois, je ne sais pas comment on
fera », avance Djillali Annane.
« On a tort de dire que notre sys­
tème de santé est mieux armé que
les Italiens », ajoute­t­il.
Une des difficultés auxquelles
les soignants devront faire face
est la durée d’hospitalisation. Un
patient souffrant d’une pneumo­
nie peut sortir au bout de quel­
ques jours, mais les malades souf­
frant d’un syndrome de détresse
respiratoire aiguë – un SDRA dans
le jargon – doivent être ventilés et
hospitalisés pendant une à deux
semaines. « Il y a un risque d’em­
bolisation totale du système », pré­
vient Anne Geffroy­Wernet, la
présidente du Syndicat national
des praticiens hospitaliers anes­
thésistes­réanimateurs.
Davantage que le risque d’un
manque de matériels, les respon­
sables hospitaliers s’inquiètent
des ressources humaines dispo­
nibles sur une durée aussi lon­
gue. « Le problème, ce sont les res­
sources humaines car il s’agit
d’unités très chronophages », es­
time Nicolas Van Grunderbeeck,
infectiologue à l’hôpital d’Arras.
Le ratio est de deux infirmiers
pour cinq malades.
Plusieurs agences régionales de
santé ont récemment demandé
aux établissements de réfléchir à
des organisations avec 20 % de
leur personnel absent, en raison
d’une contamination ou de
mesures de confinement excep­
tionnelles. « Si les écoles sont fer­
mées, qui va garder les enfants des
infirmières? Ce n’est pas très facile
de créer ex nihilo ces structures
d’accueil », explique Bertrand
Guidet, anesthésiste­réanimateur
à Saint­Antoine.
Pas de report des municipales
En dépit, de toutes ces inconnues
sur l’ampleur de l’épidémie, l’exé­
cutif assure qu’il n’a « jamais » été
question de reporter les élections
municipales, même si certains
s’interrogent sur les risques in­
duits par le rassemblement de
millions de Français dans les bu­
reaux de vote dimanche. « Nourri
de l’expertise du directeur général
de la santé, le président estime que
le scrutin peut se dérouler de ma­
nière satisfaisante », assure l’Ely­
sée. « Reporter serait envoyer un
signal contradictoire. Pourquoi
pourrait­on aller travailler si on ne
peut pas aller voter? Il faut être
capable de traiter la crise sans
créer une peur qui bloquerait le
pays. La vie continue, il faut
montrer que la France est plus
forte que le virus », abonde l’en­
tourage du premier ministre,
Edouard Philippe.
Sur le plan politique, un relatif
consensus règne entre les partis.
Seul le Rassemblement national a
dénoncé un « manque manifeste
d’anticipation » et réclamé la fer­
meture des frontières. Après une
première réunion la semaine der­
nière, Edouard Philippe devait de
nouveau réunir, jeudi matin à Ma­
tignon, les présidents des Assem­
blées, les présidents des groupes
parlementaires, les chefs de parti
et les présidents des associations
d’élus, afin de les informer de
l’avancée de l’épidémie.
françois béguin,
chloé hecketsweiler
et cédric pietralunga
POUR DJILLALI ANNANE, 
MÉDECIN À L’HÔPITAL 
DE GARCHES : 
LA FRANCE DOIT 
SE PRÉPARER À VIVRE 
«  LA MÊME CHOSE 
QUE L’ITALIE, AVEC 
HUIT À DIX JOURS 
DE RETARD »
P A N D É M I E D E C O V I D ­ 1 9
les parisiens seraient­ils immunisés
contre le nouveau coronavirus? Selon les
dernières données communiquées par
l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile­de­
France, à la date du mercredi 11 mars, seu­
lement 80 cas avaient été identifiés parmi
les habitants de la capitale. Un chiffre
étonnamment bas pour une ville de plus
de 2 millions d’habitants et aux transports
en commun toujours bondés. A titre de
comparaison, les départements du Haut­
Rhin (760 000 habitants) et de l’Oise
(820 000), les deux principaux foyers de
propagation du virus, totalisent respecti­
vement déjà plus 360 cas, dont trois décès,
et 150 cas, dont 10 morts.
A l’ARS, comme dans les hôpitaux pari­
siens, on reconnaît que le chiffre est sans
doute largement sous­estimé. La première
explication est d’ordre technique, selon
l’autorité sanitaire : sur les 512 cas confir­
més à l’échelle de l’Ile­de­France, le lieu de
résidence reste à déterminer pour 155
d’entre eux, « à la suite d’une difficulté tech­
nique dans la transmission des données »
par les laboratoires en charge de l’analyse
des tests de dépistage. « En Ile­de­France,
l’épidémie est très disséminée », commente
Aurélien Rousseau, le directeur de l’ARS. Le
10 mars, on recensait 59 cas dans le
Val­d’Oise, 56 dans les Yvelines, 31 dans le
Val­de­Marne ou encore 47 dans les Hauts­
de­Seine. « A la différence de l’Italie, nous
sommes confrontés à une propagation en
patchwork, en mosaïque, avec des zones en
stade 2 + et d’autres encore en stade 1, avec
des niveaux de riposte différents », précise le
professeur Xavier Lescure, infectiologue à
l’hôpital Bichat.
Dépistage non systématique
« Ce n’est pas à Paris que le virus circule le
plus, mais cela va peut­être changer dans les
prochains jours », estime l’infectiologue,
qui rappelle que globalement le « nombre
de cas est multiplié par 2,5 tous les quatre à
cinq jours ». A la différence de l’Oise ou du
Haut­Rhin, aucun cluster (regroupement
de cas) n’a pour l’heure été identifié dans
Paris intra­muros. « On a seulement des
clusters nosocomiaux dans certains hôpi­
taux liés à des chaînes de transmissions à
partir de patients, plus faciles à endiguer »,
indique le professeur Lescure.
Le faible nombre de contaminés à Paris
tient aussi à la politique de dépistage, non
systématique. « Nos capacités sont ciblées
sur les personnes âgées avec comorbidités
et sur les personnels soignants », assume
Aurélien Rousseau. Le but est de se
préparer au passage au stade 3 de l’épidé­
mie et de limiter l’engorgement des
hôpitaux. « Notre objectif n’est pas tant de
connaître avec précision le nombre de cas
de contamination, mais d’arriver à modéli­
ser le nombre de cas graves pour savoir s’il
faut s’apprêter à accueillir 100, 200 ou
500 personnes en services de réanimation »,
précise le patron de l’ARS.
Pour Xavier Lescure, de l’hôpital Bichat, le
plus dur est à venir. « Il faut veiller à ce que,
quand on va arriver en phase 3, tous les tests
de virologie ne soient pas épuisés. Et c’est
valable aussi pour les équipes, du SAMU aux
services de réanimation, alerte le profes­
seur Lescure. Il faut se préparer et ménager
la monture, car cela va durer des mois. »
stéphane mandard
A Paris, un nombre de cas sous-estimé

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