Libération - 11.03.2020

(lily) #1
6 u Libération Mercredi 11 Mars 2020
ÉVÉNEMENT

L’


image la plus tangible de la
peur qui règne en Espagne
face au coronavirus est celle
des files d’attente devant les super-
marchés. Mercadona, le plus popu-
laire d’entre eux, est assailli par des
cohortes de consommateurs prêts
à se livrer à ce qu’on appelle ici «les
courses du bunker» – autrement dit
un approvisionnement à base de

conserves et de féculents qui per-
mettrait de rester chez soi pendant
un moment sans avoir à en sortir.
Aussitôt, les directions du Corte In-
glés et de Carrefour ont fait savoir
que l’achalandage de leurs produits
était «garanti» pour les semaines à
venir. Cette ruée sur les supermar-
chés fait suite à la décision de la
région de Madrid de fermer écoles,
lycées et universités jusqu’à la fin
du mois. «Comment vais-je faire
avec les petits à la maison ?» est
l’une des phrases les plus enten-
dues ces derniers jours. Angoisse
qui a provoqué une avalanche
d’offres d’étudiants intitulées «co-
ronavirus baby-sitters».

Télétravail. Dans un pays qui
compte plus de 1 200 cas et une tren-

taine de morts, les foyers se concen-
trent dans la capitale, dans la Rioja
(qui a aussi décrété le gel de l’acti-
vité éducative), au Pays basque et en
Catalogne. Avec plus de la moitié
des cas, Madrid est de loin la région
espagnole qui prend le plus au sé-
rieux l’expansion du Covid-19. Non
seulement 1,5 million d’élèves reste-
ront confinés chez eux, mais il est
recommandé aux employés de re-
courir au télétravail. Les centres de
soin poussent les personnes âgées
à rester chez elles. Quant à la santé
publique régionale, elle est débor-
dée. Les autorités ont dû embaucher
en urgence 300 personnes supplé-
mentaires et maintenir jusqu’à nou-
vel ordre les 1 300 auxi liaires recru-
tés pour prévenir une épidémie
de grippe. «Entre 2010 et 2018, la

population madrilène a augmenté
de 50 %, alors qu’on compte dans le
même temps 3 300 professionnels sa-
nitaires de moins», rappelle le quoti-
dien El Diario. Malgré tout, le sys-
tème sanitaire demeure de bonne
qualité, au-dessus de la moyenne
européenne.

Meetings. En retard dans la ges-
tion de cette crise (premier cas de
contagion aux Canaries fin janvier,
premier décès le 3 mars), le chef du
gouvernement socialiste, Pedro
Sánchez, a pris le taureau par les
cornes. Accusé par le chef de l’op-
position, Pablo Casado, d’être «trop
mou», il s’est inquiété pour l’éco -
nomie, en particulier pour le sec-
teur crucial du tourisme, et a pré-
venu que la réduction du déficit

public à 1,8 % du PIB ne serait pas
respectée cette année.
L’interrogation concerne surtout
les grandes manifestations : faut-il
les autoriser (comme celle, mons-
tre, de la journée internationale
des droits des femmes, dimanche)
ou bien les interdire? L’exécutif a
demandé aux fédérations sportives
de faire disputer les rencontres à
huis clos. Pour autant, les grandes
concentrations festives du prin-
temps, telles que les fallas de Va-
lence, la feria de Séville ou les pro-
cessions de la semaine sainte, sont
maintenues. C’est aussi le cas des
rassemblements politiques, comme
celui du parti de droite dure popu-
liste Vox, dimanche dernier à
Madrid. Le secrétaire général de la
formation, Javier Ortega Smith, a
depuis été testé positif au Covid-19 :
Vox s’est excusé d’avoir organisé
le meeting.
FRANÇOIS MUSSEAU
Correspondant à Madrid

L’ Espagne prend le taureau par les cornes


Le pays, qui dénombre
une trentaine de morts,
essaie de rattraper son
retard, mais peut
compter sur un
système sanitaire
de bonne qualité.

«O


ui à la vigilance,
n o n à l ’a l a r -
misme.» Cette
phrase, prononcée lundi soir
par la ministre de la Recher-
che, Anja Karliczek, résume
l’attitude des autorités alle-
mandes face au Covid-19.
Si l’épidémie est prise très au
sérieux et que l’on s’attend
à une hausse des cas et à
de futures restrictions, les au-
torités se disent relativement
bien préparées.

Match fantôme. Depuis
mardi, les seize Länder du
pays sont concernés par le vi-
rus. On compte deux morts et,
mardi à la mi-journée, 1 139 cas
de contamination étaient si-
gnalés, une grande partie d’en-
tre eux étant concentrés en
Rhénanie-du-Nord-Westpha-
lie (484). Deux autres Länder
sont particulièrement affectés,
la Bavière et le Bade-Wurtem-
berg. A Berlin, on compte un
peu moins de 50 cas.
L’institut Robert-Koch, éta-
blissement fédéral de lutte
contre les épidémies, appelle
désormais les hôpitaux d’Alle-
magne à activer un plan d’ur-
gence : report des opérations
non indispensables, isolement
des patients infectés avec un
personnel dédié, protection
accrue des personnes âgées et
des malades chroniques. De-
puis une semaine, le pays
interdit l’exportation des

masques de protection. Di-
manche, le ministre de la
Santé, Jens Spahn, décon-
seillait la tenue de rassemble-
ments de plus de 1 000 per-
sonnes, sans formellement les
interdire. Sur ce point, chaque
Land peut légiférer comme il
le souhaite. Ainsi le gouverne-
ment de Bavière vient-il d’an-
noncer leur interdiction,
«dans le doute», et ce jusqu’au
19 avril. En football, le match
Mönchengladbach-Cologne
de ce mercredi soir doit se
jouer à huis clos : ce sera le
premier «match fantôme» de
l’histoire de la Bundesliga.
Un sujet inquiète tout particu-
lièrement outre-Rhin : les
conséquences sur l’économie
allemande, déjà fragilisée par
de multiples facteurs (diesel-

gate, Brexit, tensions commer-
ciales mondiales), et qui a
frôlé la récession à plusieurs
reprises ces derniers mois.
L’Institut allemand pour la re-
cherche économique estime
que cette fois, le pays n’y
échappera pas et que l’indus-
trie, la restauration et le tou-
risme devraient être particu-
lièrement touchés.

Lundi noir. Lundi, un plan
de soutien à l’économie était
annoncé par la grande coali-
tion, avec notamment le re-
cours facilité au chômage par-
tiel – outil largement utilisé
lors de la crise mondiale
de 2008 –, l’octroi de prêts en
cas de difficultés de trésorerie
et une enveloppe de 12,8 mil-
liards d’euros. Ces annonces
sont tombées le jour même du
lundi noir sur les marchés
mondiaux, où le Dax a connu
sa plus lourde chute depuis
le 11 septembre 2001 (-7,94 %).
Si les Allemands se montrent
relativement sereins face à
l’épidémie, on voit poindre çà
et là des signes de fébrilité : la
Croix-Rouge se plaint d’une
baisse significative de dons du
sang, et dans tout le pays les
supermarchés sont vidés de
leurs stocks de papier toilette
et de pâtes. Ce phénomène a
un nom, hamsterkäufe, les
«achats de hamster». «Voilà
bien quelque chose de typique-
ment allemand, s’amusait ce
week-end le chroniqueur
d’une émission satirique sur la
ZDF. L’apocalypse frappe à la
porte et que disent les Alle-
mands? Vite, il me faut
du PQ !»
JOHANNA LUYSSEN
Correspondante à Berlin

L’ Allemagne fait ses


«achats de hamster»


Malgré la ruée vers les supermarchés
et les mesures différentes selon les
Länder, les autorités se disent préparées,
mais s’inquiètent des conséquences
économiques.

O


n ne change rien et on continue
à se laver les mains, pendant
20 secondes minimum, «le temps
de chanter deux fois Happy Birthday»,
comme l’a expliqué le Premier ministre
britannique, Boris Johnson. Avec près
de 380 cas positifs et 6 décès (de person-
nes âgées de plus de 70 ans et souffrant
de pathologies antérieures), le gouverne-
ment a décidé de s’en tenir pour le
moment à la phase 1 de la lutte contre
l’épidémie, à savoir tenter de «contenir»
le virus. Aucune autre mesure n’a été
mise en place, si ce n’est, depuis lundi
soir, la recommandation d’éviter tout
voyage vers l’Italie, sauf en cas d’urgence
majeure. British Airways, Ryanair et
EasyJet ont suspendu tous leurs vols
vers et en provenance de ce pays. Mais
les rassemblements et événements spor-
tifs restent d’actualité. Les courses hippi-
ques du festival de Cheltenham ont com-
mencé mardi, 60 000 visiteurs sont
attendus quotidiennement pendant
quatre jours.
Pourtant, les autorités britanniques re-
connaissent qu’il ne s’agit plus que d’une
question de temps, sans doute «une di-
zaine de jours», avant que la situation ne
s’aggrave «de manière significative». Le
docteur Jenny Harries, conseillère spé-
ciale adjointe du gouvernement pour les
questions de santé, a laissé entendre
mardi que, très rapidement, les person-
nes présentant les symptômes d’un re-
froidissement pourraient être priées de
s’isoler chez elles. Des réunions Cobra,
qui rassemblent autour du chef du gou-
vernement les principaux ministres et ac-
teurs concernés par la lutte contre l’épi-
démie, sont organisées tous les deux

jours. La prochaine a lieu ce mercredi.
Les supermarchés ont été autorisés à mo-
difier leurs horaires de livraison, pour
leur permettre de reconstituer leurs
stocks. Les étalages sont vidés régulière-
ment par des achats compulsifs et pani-
qués, notamment de papier toilette, de
pâtes et de tomates en conserve.
Le gouvernement et Boris Johnson sont
critiqués pour leur apparente réticence
à prendre des mesures plus drastiques,
alors que l’expansion de l’épidémie sem-
ble inévitable. Le Premier ministre exp -
lique s’appuyer sur les avis des experts
médicaux, en insistant sur le fait que
«le risque est que si nous instaurons
des mesures trop tôt, les gens s’en lasse-
ront et cesseront de les respecter».
Mercredi, le chancelier de l’Echiquier,
Rishi Sunak, doit présenter le premier
budget post-Brexit. Il devrait annoncer
une série de mesures pour soutenir
le service de santé et l’économie. Des
banques, comme RBS et TSB, ont déjà
annoncé être prêtes à autoriser des re-
tards de paiement des prêts pour les plus
touchés par l’épidémie.
La question principale pour le National
Health Service (NHS), le service de santé
publique, est de savoir s’il aura la capa-
cité de répondre à cette crise, alors qu’il
est déjà à la limite de la saturation après
notamment des années de coupes bud-
gétaires. Le NHS s’est déjà placé en alerte
«quatre», son plus haut niveau. Trente
hôpitaux disposent d’unités de maladies
infectieuses capables de maintenir en
isolation les patients. En termes de lits
en soins intensifs, le Royaume-Uni se si-
tue en queue du classement européen,
avec 6,6 lits pour 100 000 personnes, très
loin derrière l’Italie (12,5), l’Allemagne
(29,2) ou la France (11,6) et bien en des-
sous de la moyenne européenne de (11,5).
Selon des données du NHS, ces lits en
soins intensifs sont déjà occupés en pé-
riode normale à «entre 70 et 80 %» de
leurs capacités.
SONIA DELESALLE-STOLPER
Correspondante à Londres

La Grande-Bretagne


s’en lave les mains


Le gouvernement de Boris
Johnson est critiqué pour
sa passivité dans un pays,
où, en plus, les services
de santé publique
étaient déjà saturés.

La Croix-Rouge
se plaint

d’une baisse


significative


de dons du


sang, et les
supermarchés

sont vidés de


leurs stocks de


papier toilette


et de pâtes.

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