Les Echos - 11.03.2020

(Ron) #1

18 // ENTREPRISES Mercredi 11 mars 2020 Les Echos


VIN


Marie-Josée Cougard
@CougardMarie


Déconsommation en France, chute
des exportations en Chine, surtaxes
aux Etats-Unis, Brexit outre-Man-
che et, maintenant, le coronavirus
partout. Face à cette avalanche de
plaies, les vignerons bordelais mul-
tiplient les initiatives pour échapper
au marasme. « Il n’y a pas de recette
miracle »
, concède Bernard Farges,
le président du Conseil interprofes-
sionnel des vins de Bordeaux
(CIVB).
La première tâche sera de se
débarrasser de l’image « tradition,
héritage, cherté » attachée aux bou-
teilles de bordeaux. « Nous som-
mes les grands crus mais pas seule-
ment
, clame Bernard Farges. Nous
produisons aussi une multitude de
vins très accessibles – des rouges, des
blancs, des rosés, des crémants. Der-
rière ces vins, il y a des gueules, des
histoires, des jeunes, des femmes, des
créatifs, des hipsters, des fous... »
En
clair, le bordeaux veut descendre de
son piédestal et se rapprocher du
consommateur.
Les actions de promotion sont
« largement réorientées » en direc-
tion des prescripteurs. Viticulteurs
et négociants sont allés ensemble
pour la Saint-Vincent aux « quatre
coins de la France raconter leurs his-
toires et promouvoir leurs vins »
. La


semaine dernière à New York, les
femmes bordelaises ont fait la pro-
motion des grands formats dans
70 restaurants. Du 18 au 21 juin, c’est
la fête du vin sur les quais de Bor-
deaux, vaste opération à 3 millions
d’euros, qui réunit des vieux grée-
ments, une multitude d’attractions
et 600.000 personnes en temps nor-
mal. Si la situation sanitaire le per-
met... L’œnotourisme, qui attire
2 millions de personnes par an dans
les vignes bordelaises, est une force
mais aussi un point de fragilité
dans les circonstances actuelles de
coronavirus.

Chute des ventes de 20 %
en cinq ans
Le CIVB affirme que les difficultés
sur le marché ne sont pas liées à une
quelconque surproduction. Les
stocks, à 7,7 millions d’hectolitres,
sont les cinquièmes plus faibles en
vingt ans. La question du rende-
ment revient régulièrement sur la
table. Mais les vignerons ne sont pas
prêts à réduire leur production,
même s’il n’est pas exclu que cer-
tains vignobles soient mis en som-
meil, dit Allan Sichel, le vice-prési-
dent du CIVB. « Le problème n’est
pas la surproduction mais l’insuffi-
sance des ventes. Bordeaux a perdu
des places sur le marché mondial. »
Sur le seul marché français, qui
pèse encore 56 % des volumes de
bordeaux, la chute des ventes est
estimée à 20 % en cinq ans. Le mou-
vement n’affecte pas les grands crus
au-dessus de 22 euros la bouteille,
mais plutôt les vins proposés entre 3
et 5 euros par les supermarchés.
L’objectif est donc à la fois de rega-
gner les consommateurs perdus et
d’en conquérir de nouveaux. Après
enquête, le CIVB constate que 64 %
des volumes perdus sont liés à la
déconsommation. Les Français ont
massivement changé leurs habitu-
des. Ils mangent moins de bœuf, la
viande étroitement associée au bor-
deaux, et boivent moins tout court.
« Ceux qui buvaient six verres par

semaine n’en boivent plus que deux et
parfois plus aucun , explique Ber-
nard Farges. L’abstinence est notre
première concurrente. »
Mais elle n’est pas seule. La bière
est l’autre grande concurrente.
Selon l’interprofession, elle expli-
que une grande partie des 32 % de
perte des ventes de bordeaux. « La
bière recrute massivement au sein
d’un public jeune, depuis qu’elle surfe

Les vignerons bordelais cherchent


la parade à une avalanche de coups durs


Frank Niedercorn
@FNiedercorn
— Correspondant à Bordeaux

La Semaine des primeurs. C’est
chaque a nnée un des moments clés
pour le vignoble bordelais, qui
voit plusieurs milliers de distribu-
teurs, importateurs, journalistes,
blogueurs, venir à Bordeaux pour
goûter le nouveau millésime.
Mais, cette fois, le coronavirus
pourrait bien gâcher l’événement.
L’Union des grands crus, l’organi-
sateur, devait décider aujourd’hui
si elle maintient une manifestation
qui devait se dérouler du 30 mars
au 2 avril. « Un conseil d’administra-
tion et une assemblée générale doi-
vent se tenir ce mercredi. Il est
prévu qu’une décision soit prise à
l’issue de ces deux réunions » , expli-
quait-on mardi à l’Union des
grands crus, qui réunit 134 des plus
grandes propriétés.
La Semaine des primeurs con-
siste à faire déguster le nouveau

millésime qui est encore en cours
d’élevage dans les chais des pro-
priétés. Des dégustations organi-
sées par l’Union des grands crus
mais aussi par les propriétés et les
appellations. Pour les grands crus,
soit environ 200 propriétés, le
moment est crucial puisqu’ils ven-
dent une partie substantielle de
leur production en primeur. Ce sys-
tème de vente par anticipation con-
siste à vendre du vin alors qu’il est
en cours d’élevage. S’il est spécifi-
que à Bordeaux, il concerne moins
de 5 % des volumes produits en
Gironde tout en pesant très lourd,
soit environ 20 % des ventes de la
filière.

Une manifestation « light
et franco-française »
Po ur cette semaine de dégustation,
les propriétaires comptaient ainsi
faire déguster aux professionnels
leur millésime 2019 vendangé à
l’automne dernier. Attendant
ensuite les n otes des critiques et d es
journalistes spécialisés pour fixer
le prix de leur vin vendu avant l’été
mais livré dix-huit mois plus tard.
La préfecture de la Gironde, qui
recueille en ce moment l es données
de tous les événements rassem-
blant plus de 1.000 personnes, doit
également donner son aval. S’il
n’est guère vraisemblable de repor-

ter la manifestation, l’Union des
grands crus pourrait décider de
jouer profil bas en la réorganisant
sur un format plus réduit. « De
toute façon, la plupart des partici-
pants annulent, notamment les
Asiatiques, les Américains et les
Anglais sans parler des Italiens. On
risque donc d’avoir une semaine pri-
meur light et franco-française » ,
estime un bon connaisseur.

Baisse des prix
Est-ce pourtant une catastrophe
pour les grands crus, dont les ven-
tes se portent plutôt bien, à l’opposé
de la majorité de la production de la
filière des vins de Bordeaux? Leurs
vins sont en effet exclusivement
vendus par les négociants borde-
lais, qui les dégustent généralement
avant même le début de la Semaine
des primeurs. « Cette année, les
négociants vont retrouver leur rôle de
prescripteur auprès de leurs clients
distributeurs et importateurs, et dis-
tributeurs » , estime Bernard Le
Marois, directeur général du site de
vente en ligne bordelais Winean-
dco. La mauvaise nouvelle, liée à
l’épidémie de coronavirus, pourrait
même avoir un effet positif : calmer
la hausse des prix sur les grands
crus et relancer les ventes en pri-
meur en nette perte de vitesse
depuis des années.n

La cruciale Semaine des primeurs


des vins de Bordeaux compromise


Si la manifestation phare de
l’Union des grands crus de
Bordeaux n’est pas annulée,
en raison des risques liés
au coronavirus, la partici-
pation sera de toute façon
bien plus faible que
les années précédentes.

sur les produits craft et le côté artisa-
nal. Une dimension que nous devons
réactiver au travers des histoires des
vignerons » , dit Bernard Farges.
L’interprofession veut faire « évo-
luer les vins vers des produits plus
fruités et plus souples. Le fruit sur-
mûri, les vins bodybuildés n’étaient
pas le choix de Bordeaux » , mais
ceux qui étaient privilégiés par le
célèbre critique Robert Parker.n

lConfrontés à une forte déconsommation, les vins de Bordeaux


testent de nouvelles manières d’aborder le marché.


lObjectif : amortir les chocs conjugués de la baisse des achats chinois,


des taxes américaines, du coronavirus et du Brexit.


Le bordeaux veut descendre de son piédestal et se rapprocher
du consommateur. Photo Hamilton/RÉA

Hong Kong, malgré la crise
politique qui l’agite, mais qui
impacte encore peu les exporta-
tions de vins de Bourgogne, selon
le BIVB, était en 2019 le 4e marché
export en valeur, en hausse de
8 %. La Chine demeure loin, 10e en
valeur, mais a progressé le plus en
volume, de 24,4 %. « Cette crois-
sance significative semble confir-
mer que de plus en plus de vins
arrivent désormais directement en
Chine continentale, sans passer
par Hong Kong » , analyse le BIVB.

Recul des ventes en valeur
aux Etats-Unis
Po ur autant, les vignerons et
négociants bourguignons restent
sobres dans leurs commentaires.
Le contexte sanitaire doublé de la
crise économique qu’il a déclen-
ché, sans compter la politique fis-
cale américaine et les conditions
à venir du Brexit, les incitent à la
prudence. De fait, ces deux pays
représentent à eux seuls quasi
40 % des volumes et du chiffre
d’affaires de la Bourgogne à
l’export. La hausse des droits de
douane imposée par les Etats-
Unis a déjà provoqué une baisse
de 17 % des ventes en valeur dans
ce pays au dernier trimestre 2019,
une première depuis la crise éco-
nomique de 2008, « si l’on exclut la
petite récolte de 2013 » , rappelle le
BIVB.
En France, à rebours d’un
rayon vin en difficulté dans les
grandes surfaces, les ventes de
vins de Bourgogne tranquilles
(non effervescents) ont progressé
en volume (+2,8 %) comme en
valeur (+5 %), les Français se por-
tant davantage sur les blancs que
sur les rouges. Sans ces aléas, le
cumul des millésimes 2018 et
2019 affiche un potentiel de com-
mercialisation supérieur de 7 % à
la moyenne des sorties de pro-
priété sur la période de 2009 à
2018, relève le BIVB.n

Antoine Boudet
@Aboudet

N’y auraient l’épidémie du coro-
navirus en cours, la taxe Trump
sur les importations de vins (au
moins jusqu’en août prochain) ou
encore les incertitudes liées au
Brexit, l’ambiance serait carré-
ment à l’euphorie dans le vigno-
ble bourguignon. Et pas seule-
ment pour avoir apprécié
quelques bons verres de vin dans
ses 84 appellations, certaines
mondialement connues. Car,
pour la première fois de son his-
toire, la Bourgogne a dépassé le
milliard d’euros en chiffre d’affai-
res à l’export de ses nectars en


  1. La hausse des ventes en
    volume de 9,2 % sur un an, à près
    de 90 millions de bouteilles, s’est
    traduite par une augmentation de
    10,3 % de son chiffre d’affaires, à
    1,038 milliard d’e uros.


Potentiel chinois
La région viticole exporte dans
168 pays, où elle réalise environ
49 % de ses ventes, communique
ce mardi le Bureau interprofes-
sionnel des vins de Bourgogne
(BIVB) en publiant ces chiffres.
Les cinq premiers marchés en
volume des vins de Bourgogne
l’an dernier restent les mêmes
que depuis 2011, à savoir les Etats-
Unis, le Royaume-Uni, le Japon, la
Belgique et le Canada. Ils regrou-
pent 63 % des volumes exportés,
pour 57 % du chiffre d’affaires. En
valeur, on retrouve le tiercé
gagnant dans le même ordre.

Po ur la première fois de
son histoire, la Bourgogne
a dépassé en 2019 le
milliard d’euros de chiffre
d’affaires à l’exportation
de ses vins. Mais la surtaxe
Trump, le Brexit et le
coronavirus font peser
des incertitudes pour 2020.

Après une année


gouleyante, les bourgogne


prudents pour 2020


« Nous sommes
les Grands crus
mais pas
seulement. »
BERNARD FARGES
Président du Conseil
interprofessionnel
des vins de Bordeaux

« L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A

consommer avec mo

dération.

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