04 // ÉVÉNEMENT Mercredi 11 mars 2020 Les Echos
Le virus qui assagissait
la politique
P
arole de candidats
sur le terrain :
le coronavirus a des
vertus anesthésiantes sur
la campagne municipale.
Les citoyens restreignent
leurs sorties, des réunions
publiques sont annulées,
les débats se sont réduits
à un seul : comment se
protéger? Campagne
en apesanteur.
En réalité, l’effet va bien au-
delà. Depuis la polémique
sur la tenue du match Lyon-
Juventus, il y a quinze jours,
la gestion de la crise n’a plus
suscité ces controverses
enflammées dont le pays
a le secret. Comparée aux
César, la politique
ressemble à un fleuve
assagi, où la population suit
et les oppositions
acquiescent. A l’exception
du RN, qui pointe une
mondialisation devenue
danger pour la santé, les
partis de gauche et de droite
jouent le jeu de l’unité
nationale. Les critiques sont
sur le reste, sur l’hôpital qui
nécessite un collectif
budgétaire (Olivier Faure,
PS), sur les difficultés
économiques qui imposent
soit « d’aller plus loin » pour
aider les entreprises (Eric
Woerth, LR), soit de revenir
sur les nouvelles règles de
l’indemnisation chômage
(Laurent B erger, CFDT). Pas
sur la crise sanitaire.
De façon inédite depuis
trois ans, l’exécutif s’est mis
en marche. Chacun à sa
tâche, les rôles sont tenus.
Un duo crève l’écran. Olivier
Véran, ministre de la Santé,
capable de résumer la plus
délicate (et souvent contre-
intuitive) des stratégies
en mots simples et en
graphique limpide ;
Jérôme Salomon, son
directeur général de la
Santé, qui fait son point
d’étape tous les soirs. Un
autre entre en scène, Bruno
Le Maire-Muriel Pénicaud,
pour aider les entreprises
à passer le cap.
Le Premier ministre
s’assure de la coordination
ministérielle et de la
cohésion des forces
politiques. Informer, être
transparent, telle est la
règle. Enfin, le chef de l’Etat
peut prendre sa juste place,
impliqué mais seulement
sur l’essentiel, en soutien
aux personnels de santé, et
en leçons de responsabilité
vis-à-vis des Français.
Comme dans une
parenthèse, il est soudain
possible de dire des choses
et de concilier des
contraires. Emmanuel
Macron invite les malades
au « civisme » , dans un pays
qui n’aime rien tant que
contourner les règles. Il
peut dire dans la même
intervention « nous n’en
sommes qu’au début » de
l’épidémie, et inviter
chacun à « beaucoup de
calme ». Il parle, et toujours
pas de polémique. Dans un
pays malade de sa politique,
la normalité n’émerge que
dans les moments de crise.
[email protected]
Moins de polémiques, des oppositions qui acquies-
cent, un président qui trouve sa place, mais que se
passe-t-il donc au temps du coronavirus?
LE FAIT
DU JOUR
POLITIQUE
Cécile
Cornudet
Retrouv ez Nicolas Barré dans
le journalde7hpour« L’ éditoéco »
dansle 6h-9h de MatthieuBelliard
Faure demande plus de fonds pour
l’hôpital, « au bord de la crise de nerfs »
POLITIQUE Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a jugé
mardi « impératif de voter dans les prochaines semaines une loi de
finance rectificative » qui permette de débloquer des fonds pour
l’hôpital public qui fait face à la crise du nouveau coronavirus. Si
la crise est, « pour l’instant, bien gérée » e n France, « notre système
de santé est au bord de la crise de nerfs », a-t-il insisté sur Radio
Classique. Le ministère de la Santé avait annoncé le 3 mars que
les hôpitaux publics et les cliniques privées allaient récupérer
260 millions d’euros correspondant aux crédits « non consom-
més » en 2019, une somme qui venait s’ajouter aux 415 millions
mis en réserve début 2019 et « dégelés » en décembre.
en bref
Dessins Kim roselier pour
« Le
s Echos »
Thomas Samson / AFP
Yann Rousseau
@yannsan
—Correspondante à Tokyo
et Yann Verdo
Désormais, plus de 117 pays ont
repéré sur leurs territoires des cas
de coronavirus. Identifié en Chine
en décembre, le Covid-19 a gagné
tous les continents, forçant chaque
gouvernement à déployer des stra-
tégies de lutte originales, souvent
très divergentes.
Lorsque des premiers malades
apparaissent dans un pays, toutes
les autorités tentent d’abord
d’étouffer l’infection en identifiant
leur « patient zéro » et en reconsti-
tuant ses mouvements des der-
niers jours afin de contacter et
d’isoler toutes les personnes qu’il
est susceptible d’avoir contami-
nées. Mais cette traque n’e st possi-
ble que dans les premières semai-
nes de l’épidémie.
Dès que les foyers se sont multi-
pliés, les gouvernements doivent
changer de stratégie et définir leur
politique de dépistage. Faut-il opter
pour des campagnes de t ests massi-
ves ou préférer des tests au compte-
Alors que 117 pays sont
désormais concernés
par l’épidémie, les plus
exposés ont adopté des
stratégies très diver-
gentes en matière de
tests diagnostiques.
Désormais, 117 pays sont touchés par l’épidémie de Covid-19. Photo by Thomas Kienzle / AFP
par le gouvernement de Pedro San-
chez ce mardi.
Mais le « plan choc » promis aux
entreprises pour les aider à faire face
au coronavirus se fait encore atten-
dre. Il devrait être présenté dans les
jours qui viennent, après consulta-
tion des partenaires sociaux. D’ici là,
la porte-parole du gouvernement,
Maria Jesus Montero, a donné quel-
ques pistes en évoquant l’idée d’allé-
ger la charge des entreprises afin de
« stimuler l’activité économique des
secteurs les plus touchés », et de
revoir les conditions de mise au chô-
mage partiel pour éviter le recours
au licenciement.
« Nous sommes passés d’une situa-
tion de contention à une contention
renforcée », insiste le ministre de la
Santé, Salvador Illa, qui décrit une
« situation évolutive ». De fait, le
bond de la contagion est notable ces
derniers jours, tout spécialement
dans la région de Madrid, qui con-
centre plus de la moitié des contami-
nations et des décès du pays
(1.622 cas et 35 décès au total). Le
ministère de la Santé a par ailleurs
identifié deux autres foyers de
contagion incontrôlés, au Pays bas-
que et dans la Rioja, au nord du pays.
Revirement de stratégie
Cette accélération a conduit à des
mesures drastiques dans les zones
concernées, avec l’interdiction de
rassemblement de plus de 1.000 per-
sonnes, la désinfection quotidienne
des transports en commun, la fer-
meture des crèches, écoles, universi-
tés et centres d’accueil du troisième
âge. Il s’agit d’un revirement de stra-
tégie, alors que le responsable du
centre de coordination des urgences
sanitaires craignait jusqu’ici que la
mesure soit contre-productive,
puisque les enfants (vecteurs de
contagion) risquent de se retrouver
à la charge de leurs grands-parents
(population vulnérable).
Reste que le gouvernement n’a
pris aucune mesure claire sur les
célébrations traditionnelles et pro-
cessions liées aux fêtes de Pâques,
qui doivent commencer dans les
prochains jours. Il se contente
d’assurer que les décisions se pren-
dront « au cas par cas », laissant
implicitement le dernier mot aux
autorités régionales, qui ont semblé
jusqu’ici réticentes à assumer seules
des décisions impopulaires.n
L’ Espagne ferme les écoles dans les foyers
de forte contagion
Cécile Thibaud
@CecileThibaud
—Correspondante à Madrid
Fe rmetures des écoles et universités
dans les zones de forte contagion,
tenue de tous les événements spor-
tifs à huis clos, annulation de tous les
vols entre l’Espagne et l’Italie, appel
au télétravail et prise en charge assi-
milée à celle des accidents de travail
des personnes mises en isolement
préventif... Ce sont quelques-unes
des premières mesures annoncées
Le gouvernement annonce
la fermeture des établisse-
ments scolaires dans
les zones les plus touchées
et ordonne le huis clos pour
les événements sportifs.
gouttes sur une catégorie de popu-
lation très précise? « La solution est
probablement entre les deux » , souf-
fle le professeur Kentaro Iwata, un
spécialiste des maladies infectieu-
ses à l’université de Kobe, au Japon.
Stations de tests mobiles
Ces derniers jours, la Corée du Sud a
fait l’admiration de nombreux spé-
cialistes en organisant plus de
200.000 tests. Elle a ainsi repéré
rapidement 7.513 personnes conta-
minées, ce qui la propulse au qua-
trième rang des pays les plus infec-
tés de la planète, derrière la Chine,
l’Italie et l’Iran. Mais, en identifiant
très tôt des personnes n’ayant que
des symptômes légers, elle a pu affi-
ner leur prise en charge et n’a enre-
gistré que 54 décès, ce qui repré-
sente un taux de létalité de
seulement 0,7 %, très inférieur à
ceux enregistrés en Chine ou en Ita-
lie. « La C orée du Sud a été particuliè-
rement efficace avec ses stations de
tests mobiles organisées au bord des
routes , note Philippe Auvaro, le
vice-président du groupe pharma-
ceutique japonais CMIC. En cas
d’épidémie, il est crucial de ne pas
concentrer les gens sur un même site,
qui pourrait devenir un cluster
d’infection. »
Pour Kentaro Iwata, ce dépistage
massif n’est toutefois pas optimal.
« En testant tout le monde, on risque
de congestionner les infrastructures
médicales et les laboratoires, retar-
dant ainsi la détection d’un malade
ayant vraiment besoin d’être pris en
charge » , détaille le chercheur. Les
personnes symptomatiques – pré-
sentant un syndrome respiratoire
de type g rippe – mais ne présentant
pas de comorbidités, donc appa-
remment en bonne santé, seront
simplement priées « de rentrer chez
elles et de s’y soigner » , confirme
Vincent Enouf, le directeur adjoint
du Centre national de r éférence d es
virus des infections respiratoires
de l’Institut Pasteur. Il rappelle que,
dans 80 % des cas, l’infection au
coronavirus est bénigne et se con-
clut par une guérison spontanée.
Les tests ne visent plus qu’à identi-
fier les cas graves qui exigent des
soins immédiats, et leur utilisation
est donc limitée à cet effet.
Une limitation trop stricte des
tests à des personnes symptomati-
ques à risque n’est toutefois pas
non plus idéale, remarquent les
spécialistes. « Il existe un risque de
rater l’apparition de certains foyers
d’infection » , insiste Kentaro Iwata,
qui conseille au Japon d’élargir un
peu sa politique actuelle de dépis-
tage.
Avec 1.606 cas et 30 décès mardi
midi, la France est, elle aussi, sur le
point d’aménager sa propre politi-
que en matière de tests diagnosti-
ques. Alors que le pays s’apprête à
entrer en stade 3 – celui correspon-
dant à la circulation généralisée du
virus sur tout le territoire – , les auto-
rités sanitaires considèrent que
l’identification et la surveillance
individuelle des cas n e sont p lus j us-
tifiées. La priorité devenant l’atté-
nuation de l’épidémie par des
« mesures barrières » individuelles
(comme de se laver fréquemment
les mains, d’éviter les sorties non
nécessaires, etc.). « Dorénavant et de
plus en plus, on réservera les tests
aux cas graves et au personnel soi-
gnant » , confirme Vincent Enouf.
Analyse génétique
C’est que le nombre de kits de tests
dont disposent les différentes
nations et surtout le nombre de
laboratoires c apables d e les u tiliser,
ne sont pas illimités. Les écou-
villons servant à réaliser le prélève-
ment nasopharyngé ne constituent
que la partie émergée de l’iceberg :
une fois ce prélèvement effectué,
son analyse génétique nécessite la
mise au point d’« amorces » et de
« sondes » spécifiques au virus,
donc mises au point de façon ad
hoc. En France, ces amorces et son-
des, qui prennent la forme de petits
morceaux d’ADN, sont fabriquées,
entre autres organismes, p ar l’Insti-
tut Pasteur, qui les a mises à dispo-
sition de la soixantaine de labora-
toires hospitaliers ayant les
machines et le personnel nécessai-
res pour les utiliser.n
Quelle stratégie adopter : dépistage
massif ou tests au compte-gouttes?
Une chose est sûre :
les ressources
en matériel et
en hommes ne sont
pas illimitées.