Carton vert pour le sport
Pierre Demoux
@pdemoux
A moins que l’épidémie d e coronavi-
rus ne continue de chambouler le
calendrier sportif mondial, les
joueurs de l’Olympique lyonnais
doivent se rendre à Turin, le 17 mars,
pour gagner leur billet pour les
quarts de finale de la Ligue des
champions. Un court déplacement
de 300 kilomètres qu’ils effectue-
ront... en avion. A l’heure où les
enjeux environnementaux impo-
sent une frugalité des émissions car-
bone, le choix ne paraît pas très
écolo. Mi-février, l’OL s’était fait
tacler pour avoir pris son jet privé
afin de venir à Paris, alors que le tra-
jet prend deux heures en train. Un
même carton vert avait été adressé
au P SG p our avoir réservé u n
Boeing 737 pour aller jouer à Dijon...
pendant que le bus du club faisait
l’aller-retour à vide pour emmener
l’équipe du tarmac jusqu’au stade.
Les clubs mettent en avant l’argu-
ment logistique : dans des calen-
driers surchargés, embarquer dans
un avion privé dès la fin du match,
souvent tard le soir, est la solution la
plus simple et la moins coûteuse
pour la récupération des joueurs. Le
train peut pourtant se révéler une
solution viable, c omme l’ont montré
l’Ajax Amsterdam et Lille pour leurs
déplacements en Ligue des cham-
pions. Et nombre de clubs italiens
empruntent depuis plusieurs
années le Frecciarossa, le TGV local,
pour certains déplacements. Mais,
face à l’exigence de résultats sur le
terrain, l’écologie reste en général
sur le banc des remplaçants.
Le sujet ne se limite évidemment
pas au football. Dans leur saison-
marathon de 82 matchs au mini-
mum, étalés à l’é chelle d’un conti-
nent (avec des rencontres jusqu’en
Europe), les basketteurs de NBA
passent leur vie en transit aérien,
quand les joueurs de tennis, eux,
volent de tournoi en tournoi.
« L’usage de l’avion illustre le conflit
entre le sport professionnel, avec ses
impératifs de haute performance et
ses spectacles commercialisés, et les
enjeux écologiques et sociaux » ,
estime Mathieu Djaballah, spécia-
lisé dans la RSE des organisations
sportives à l’université Paris-Saclay.
Le constat vaut pour les sports
dits « verts » comme le VTT, le surf,
ou la course à pied sur sentiers. Avec
un paradoxe : ces disciplines prisées
pour leur côté nature drainent des
foules vers des sites naturels... au ris-
que de les abîmer. Malgré ses efforts
pour limiter son impact, l’UTMB
(Ultra-Trail du Mont-Blanc)
n’échappe pas aux critiques sur les
conséquences pour le massif de voir
débarquer 10.000 coureurs et
50.000 visiteurs en un week-end.
Dans la course à pied, les organi-
sateurs louent désormais leur
dimension écolo, à l’image de l’Eco-
Trail Paris, tandis que les plus enga-
gés s’adonnent au « plogging », en
ramassant des d échets pendant leur
footing. Les équipementiers, eux,
injectent de plus en plus de maté-
riaux recyclés dans leurs chaussu-
res et travaillent sur des modèles
recyclables, voire biodégradables.
La quadrature du cercle est de
réussir à mettre du vert sans affecter
les performances des produits pour
des athlètes en q uête permanente de
records. Sur mer, remplacer les
fibres de carbone des voiliers par des
matériaux biosourcés, comme le
préconisent des navigateurs enga-
gés, ralentit la vitesse des bateaux.
Un coup pour l’imaginaire du plus
vite, plus haut, plus fort...
Reste que la réalité environne-
mentale rattrape le champ sportif.
« Le changement climatique a désor-
mais des répercussions directes sur
les épreuves » , poursuit Mathieu Dja-
ballah. Pour ses JO, Tokyo a dû délo-
caliser la marche et le marathon
sous le climat plus frais de Sapporo,
afin de ne pas revivre le fiasco des
Mondiaux de Doha, avec des cou-
reurs tombant comme des mou-
ches sous l’effet des fortes chaleurs.
En montagne, la neige artificielle
devient indispensable par endroits
face au manque d’enneigement. La
polémique sur les hélicoptères à
neige à Luchon Superbagnères
illustre le dilemme qui se pose entre
coût écologique et besoin d’assurer
l’avenir économique des territoires.
Ce qui amène à repenser l’organi-
sation des grands événements spor-
tifs. L e Comité international o lympi-
que (CIO) a beau avoir intégré la
protection de l’environnement dans
sa charte dès 1996, le critère ne pèse
pas lourd dans le choix des villes
hôtes. Pékin va bâtir de toutes pièces
des stations capables d’accueillir les
Jeux d’hiver 2022, avec des pistes ali-
mentées par des canons à neige,
comme l’a fait la Russie à Sotchi,
laissant la facture la plus élevée de
l’histoire. La palme de l’aberration
écologique revient peut-être à la
Coupe du monde de foot au Qatar
avec ses stades climatisés.
Le CIO a donc revu sa charte pour
inclure la notion d’héritage. Le but :
limiter l’inflation de nouvelles
infrastructures à construire. Un
moyen également de convaincre
des opinions publiques de plus en
plus réticentes à accueillir ce genre
de grand-messe. Face à la raréfac-
tion des candidatures, la possibilité
désormais de présenter des dossiers
portés par plusieurs villes, régions
ou pays permettra de mutualiser les
coûts et de réutiliser au maximum
des infrastructures existantes.
Une logique poussée à son
paroxysme pour l’Euro de foot, qui se
tiendra cet été dans 12 pays et 20 vil-
les. Revers de la médaille : de Bakou à
Dublin et de Bilbao à Saint-Péters-
bourg, les équipes et les spectateurs
vont battre des records de kilomètres
parcourus. Or, la première source
d’émissions carbone de ces rendez-
vous du sport provient justement des
déplacements des masses de fans.
A sa manière, l’é pidémie de coro-
navirus est en train d’apporter sa
contribution au débat, avec des
épreuves à huis clos, voire annulées
purement et simplement. Radical,
mais efficace.n
L’ANALYSE
DE LA RÉDACTION
Face à l’exigence
de résultat et de
performance, le sport
professionnel
cantonne souvent
l’écologie sur le banc
des remplaçants.
Mais la réalité envi-
ronnementale
rattrape de plus en
plus les terrains,
tandis que les polémi-
ques se multiplient.
Les grands événe-
ments comme les
Jeux Olympiques ou
les Coupes du monde
de football sont
désormais forcés de
se mettre davantage
au vert.
Pascal Garnier pour
« Le
s Echos »
D
Les points à retenir
- De plus en plus de clubs
sportifs sont pointés du doigt
pour faire voyager
systématiquement leur
équipes en avion, y compris
pour les vols nationaux. - Les sports dits « verts »
- VTT, escalade, surf... – sont
eux aussi sur la sellette car ils
drainent paradoxalement des
foules vers des sites naturels
au risque de les abîmer.
- VTT, escalade, surf... – sont
- La réalité environnementale
rattrape le champ sportif : en
montagne, par exemple, les
canons à neige se multiplient
pour assurer l’avenir de
certaines stations, en dépit du
coût environnemental. - Le critère environnement ne
pèse pas lourd non plus dans le
choix des villes hôtes des JO. - Désormais plusieurs villes,
pays, ou régions peuvent
présenter des dossiers
de candidature et ainsi
mutualiser les coûts. - L’Euro de foot qui se tiendra
cet été dans 12 pays et 20 villes,
a été organisé dans cet esprit.
Mais les déplacements des
équipes et des spectateurs sont
aussi une source considérable
d’émissions carbone.
LA CHRONIQUE
DU CERLCE
DES ÉCONOMISTES
de Valérie Mignon
La Chine tousse et le pétrole se grippe
L
e sommet de l’Opep + des 5 et
6 mars 2020 réunissant à
Vienne les 13 membres de
l’Opep et leurs 10 alliés, dont la Rus-
sie, s’est soldé par un échec des
négociations. L’Opep souhaitait en
effet réduire la production de
pétrole de 1,5 million de barils par
jour jusqu’à la fin de l’année 2020,
mais la Russie s’y est opposée.
L’objectif de c ette b aisse coordon-
née de la production de pétrole
défendue par l’Opep visait à réduire
l’offre, excédentaire, et e nrayer ainsi
l’effondrement d es prix du brut p ro-
voqué par le coronavirus. Les cours
ont en effet chuté de près de 25 %
depuis le début de l’année 2020,
tombant à moins de 50 dollars le
baril. Comment expliquer une telle
panique sur le marché du brut?
Acteur majeur dans les importa-
tions mondiales de brut, la Chine
représente près de 15 % de la con-
sommation totale d’or noir et
compte pour 75 % dans la crois-
sance de la demande de pétrole.
L’épidémie de coronavirus fait tour-
ner l’économie chinoise au ralenti,
et ses besoins en hydrocarbures se
sont en conséquence fortement
réduits. Ses importations de brut
dégringolent, entraînant dans
son sillage une réduction de la
demande d’autres pays asiatiques
comme la Corée, l’Inde ou le Japon.
Le secteur des transports, et tout
particulièrement l’aérien fortement
consommateur de brut, voit lui
aussi son activité baisser drastique-
ment depuis le début de la crise
sanitaire.
De multiples entreprises dans le
monde étant dépendantes de la
Chine, leur activité est directement
impactée et les perspectives écono-
miques mondiales sont revues à la
baisse ; les prévisions de croissance
enregistrant un recul de 0,5 point.
Ce ralentissement économique
sons principales sont à même
d’expliquer l’absence d ’accord s igné
à Vienne. Tout d’abord, la Russie est
moins dépendante du pétrole que
ne le sont les pays du Golfe, Arabie
saoudite en tête. Ainsi, un baril à
50 dollars ne remet pas en cause
l’équilibre des finances publiques
russes, assuré à partir d’un baril à
42 dollars, alors qu’il plonge l’éco-
nomie saoudienne en situation de
déficit budgétaire. Ensuite, une
baisse de la production se traduit
par des exportations moindres. Les
recettes d’exportation de brut de la
Russie seraient en conséquence
réduites, une telle diminution étant
en outre accentuée par la tendance
à la dépréciation de la devise russe.
Enfin, réduire la production revient
pour la Russie à céder des parts de
marché aux Etats-Unis qui alimen-
tent le marché mondial avec le
pétrole de schiste et à renforcer
ainsi leur position de leader.
Dans un marché du brut déjà for-
tement excédentaire, l’échec des
négociations de l’Opep + pourrait
accentuer la dégringolade des cours.
Cela sera d’autant plus probable si
l’épidémie continue à se répandre au
niveau mondial et si les Etats-Unis,
premier producteur mondial de
brut, ne resserrent pas les vannes
concernant la production du pétrole
de schiste. L es p révisions de l’Agence
internationale de l’énergie révélées
le 9 mars renforcent ce scénario
puisque celle-ci anticipe une con-
traction de la demande de brut pour
2020, une première depuis la crise
de 2009 ; l’Arabie saoudite ayant de
son côté décidé unilatéralement de
réduire ses prix à la livraison.
Va lérie Mignon est professeure
d’économie à l’Université Paris
Nanterre, chercheuse
à EconomiX, et membre
du Cercle des économistes.
mondial pèse fortement sur la
demande de brut et tire ainsi le prix
du baril vers le bas.
Dans un tel contexte, comment
expliquer l’échec des négociations
de l’Opep +? Pourquoi l’Opep s’est-
elle heurtée au refus de la Russie?
La question se pose avec d’autant
plus d’acuité q ue l’Opep s’était enga-
gée à assumer les deux tiers de
l’effort demandé en réduisant sa
production d’un million de barils, le
tiers restant étant à la charge des dix
autres pays producteurs. Trois rai-
Réduire sa
production de pétrole
revient pour la Russie
à céder des parts
de marché
aux Etats-Unis.
Les Echos Mercredi 11 mars 2020 // 09