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DIMANCHE 23 LUNDI 24 FÉVRIER 2020
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
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Mésentente européenne sur le budget commun
Après trentesix heures de négociations tendues, les VingtSept ne sont pas parvenus à un compromis
RÉCIT
bruxelles envoyée spéciale
C
e devait être le grand
rendezvous de l’Europe
avec la relance de son
projet après l’entrée en
vigueur du Brexit, sa remobili
sation – notamment pour le
« Green Deal » –, sa modernisa
tion, et l’affirmation de sa capa
cité à tenir son rang sur la scène
mondiale. L’occasion, également,
pour les nouveaux dirigeants
de l’Union européenne (UE) – le
Belge Charles Michel au Conseil et
l’Allemande Ursula von der Leyen
à la Commission – d’affirmer leur
rôle. Mais ce fut surtout un échec.
Après deux jours de négocia
tions denses, et souvent tendues,
les vingtsept chefs d’Etat et de
gouvernement ont quitté Bruxel
les, vendredi 21 février dans la
soirée, sans parvenir à se mettre
d’accord sur le budget européen
pluriannuel pour la période 2021
2027, fixé, selon la proposition
faite par Charles Michel, à
1 094,8 milliards d’euros, soit
1,074 % du revenu national brut
européen. Aucune unanimité
ne s’est dégagée autour de cette
feuille de route amputée des
75 milliards d’euros de contribu
tion britannique.
Le sommet s’est tout au
contraire achevé sur le sentiment
d’un flagrant désaccord que
quelques discours se voulant se
reins n’ont pas apaisé. « Ce n’est
pas une catastrophe », tentait de
relativiser le libéral néerlandais
Mark Rutte qui, durant deux
jours, aura retoqué toutes les ten
tatives de compromis, en prenant
la tête du camp des « frugaux ».
« Il n’y avait pas de plan B »
Ce club, dit aussi des « 4 + 1 »
(Autriche, Danemark, PaysBas,
Suède, et Allemagne), n’a en effet
eu de cesse de monopoliser les
négociations pour obtenir no
tamment le maintien de leurs ra
bais – un héritage légué par Mar
garet Thatcher en 1984 lors de sa
fameuse sortie « I want my money
back » (« Je veux qu’on me rende
mon argent »), qui permet aux
contributeurs nets d’obtenir une
réduction évaluée, globalement, à
5 milliards d’euros par an.
Paris et d’autres capitales ont
bien tenté, jusqu’au bout, de met
tre un terme à cette pratique ju
gée par trop symbolique et injus
tifiée. En vain. Interrogé sur le fait
de savoir s’il représentait le « nou
veau RoyaumeUni », Mark Rutte
a préféré botter habilement en
touche. « Non, nous ne parlons pas
la même langue. »
Lors d’une brève intervention,
la chancelière allemande Angela
Merkel feignait, elle aussi, de mi
nimiser l’impact de trentesix
heures de négociations serrées
pour rien. « On savait qu’un ac
cord ne serait pas possible tout de
suite. Les différences étaient trop
importantes. » Elle ajoutait, en
guise de critique (feutrée) adres
sée au Conseil et à la Commission,
auteurs d’une proposition de der
nière minute, qu’en réalité « il n’y
avait pas de plan B, avec une expli
cation quant à ce qu’il aurait signi
fié pour l’Allemagne ». Laquelle, se
lon plusieurs sources, refusait
surtout de voir le montant de son
rabais plafonné : il devait, selon la
proposition mise sur la table, res
ter stable, mais seulement en
terme nominal.
Face à cette impasse, Charles Mi
chel a refusé de parler d’échec, re
connaissant toutefois que la né
gociation avait été « très difficile,
spécialement après le Brexit ». « La
bonne nouvelle est qu’il y a un
consensus sur la modernisation de
l’UE, mais réussir à mettre des chif
fres [pour cela] est un exercice plus
difficile », ajoutaitil. Et de tenter
une boutade : « Comme disait ma
grandmère : “Pour réussir, il faut
essayer.” »
A quelques mètres de là, les
yeux cernés, le président français
Emmanuel Macron lâchait toute
fois, après avoir tenté de forcer un
accord à tout prix : « Les Euro
péens n’ont pas besoin de la Gran
deBretagne pour faire montre de
désunion. »
La faute a été collective. Au
terme de deux réunions plénières
pour la seule journée de vendredi,
de rencontres bilatérales à foison
dans tous les formats, d’allersre
tours incessants entre déléga
tions, les dirigeants des Vingt
Sept se sont divisés en petits
groupes soudés par des intérêts
particuliers.
« Minorités de blocage »
C’était à qui voulait réduire sa
contribution, à qui réclamait le
maintien de sa quotepart de
la politique agricole commune
(PAC), ou les aides accordées au ti
tre des fonds de cohésion desti
nés aux régions pauvres. Un cata
logue de revendications porté par
une configuration de « clubs ».
« Ce n’est pas la bonne méthode
d’essayer de diviser les choses, et
de former ainsi des minorités de
blocage », regrettait Emmanuel
Macron. « On ne peut pas trouver
un consensus basé sur des posi
tions minoritaires », protestait de
son côté le premier ministre por
tugais Antonio Costa.
Décidé à occuper le vide média
tique pendant les longues heures
de tractation stérile, le premier
ministre hongrois Viktor Orban
ajoutait à la confusion lors de son
apparition devant la presse. Po
sant en chef de file des « amis
d’une Europe ambitieuse » – nou
velle appellation des « amis de la
cohésion » adoptée en plein mi
lieu des négociations –, il prônait
alors un budget à... 1,3 % du re
venu national brut européen, soit
la revendication du Parlement,
très éloignée de la position de
M. Michel. Il faudrait « un mira
cle » pour parvenir à un accord,
prédisait encore le Hongrois dans
l’aprèsmidi, en dénonçant la fo
calisation sur le groupe des « fru
gaux ». Du côté français aussi, la
nervosité montait : « S’il le faut, on
expliquera que les “4 + 1” ont pris
en otage l’Europe », menaçait une
source officielle française.
L’ultime proposition élaborée
en fin de course par les services de
Charles Michel et d’Ursula von
der Leyen a été rapidement ba
layée, malgré des concessions fai
tes aux différents « clubs ». Elle
préservait les rabais (en l’aug
mentant même pour l’Autriche).
Les Néerlandais auraient vu leur
part dans les droits de douane
qu’ils perçoivent pour l’UE aug
menter de 15 % à 25 % pour la pé
riode 20212023. Davantage d’ar
gent aurait été octroyé au Fonds
de transition juste et aux fonds de
cohésion qui bénéficient surtout
aux pays de l’est et du sud de l’UE.
Et la France pouvait tabler sur une
hausse des moyens en faveur de
ses agriculteurs.
En contrepartie, cependant, se
lon cette ébauche un peu impro
visée, la part des fonds pour la
défense et l’espace, les projets
de mobilité militaire, la poli
tique de voisinage, ou l’aide
Le premier ministre hongrois, Viktor Orban, répond aux journalistes à sa sortie du sommet européen, à Bruxelles, le 21 février. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »
C’était à qui
voulait réduire
sa contribution,
à qui réclamait
le maintien
de sa quote-part
de la PAC
au développement, aurait été ré
duite. Nouvelles divisions. A ce
stade, les VingtSept ont préféré
jeter l’éponge.
Aucune date n’a pour l’heure
été fixée pour un autre sommet.
Charles Michel « réfléchit ». Les
propos qu’il aura entendus de la
part du camp des radicaux,
vendredi soir, ne l’auront sans
doute pas rendu très optimiste. Et
il sait aussi que, si un accord finit
par être trouvé, il devra ensuite
franchir le cap du Parlement de
Strasbourg.
« Valeur ajoutée » de l’UE
« Nous avons besoin d’un budget
à 1,3 % », avait ainsi indiqué, jeudi,
au premier jour de l’ouverture
du sommet, l’Allemand Manfred
Weber, chef du groupe du Parti
populaire européen (conserva
teur), dans le quotidien Frankfur
ter Allgemeine Zeitung.
L’élu de l’Union chrétienneso
ciale (CSU, alliée de la CDU de
Mme Merkel), endossant l’objectif
fixé par une majorité du Parle
ment, prenait ainsi clairement le
contrepied de la chancelière An
gela Merkel. Prônant « la fin des
égoïsmes nationaux », l’eurodé
puté invitait aussi à prendre en
compte « la valeur ajoutée » de
l’UE : son pays, expliquaitil, ne re
çoit, par exemple, pas d’argent en
retour pour le contrôle des fron
tières mais bénéficie, en termes
sécuritaires, des moyens alloués
à d’autres Etats membres.
Cette prise de position confirme
à quel point l’accord du Conseil
européen aura des difficultés à
passer le cap d’une assemblée où,
désormais, près de 400 élus sur
705 appartiennent à des forma
tions qui sont dans l’opposition
au niveau national. Et donc bien
moins susceptibles d’être sensi
bles aux appels que leur lancerait
leur gouvernement pour qu’ils
approuvent, malgré leur désac
cord, une épure élaborée par les
chefs d’Etat et de gouvernement.
Or, l’approbation du Parlement
est indispensable si l’UE veut évi
ter le gel, voire l’abandon, de cer
tains programmes.
isabelle mandraud
et jeanpierre stroobants
(bruxelles, bureau européen)
sans transition, à l’issue du sommet
européen consacré au budget des vingt
sept Etats membres, Emmanuel Macron
devait se rendre, samedi 22 février, au Sa
lon de l’agriculture de Paris. A l’évidence,
le président français ne pouvait s’y pré
senter les mains vides, et encore moins
pour dire à ses interlocuteurs qu’il aurait
dû accepter une éventuelle diminution
de la politique agricole commune (PAC).
« Un pilier historique » de la construction
européenne, comme il a tenu à le rappe
ler à Bruxelles. Un mastodonte qui a re
présenté, entre 2014 et 2020, plus de
410 milliards d’euros des dépenses de
l’Union, alors encore à VingtHuit.
Dans sa proposition pour le budget
20212027, le président du Conseil Char
les Michel suggérait une enveloppe (à
VingtSept) de 329,3 milliards. Même en
faisant la différence entre euros cou
rants (ceux d’aujourd’hui) et ceux d’hier
(constants), cela équivalait à une baisse
assez brutale (14 %), compensée en par
tie par des fonds pour le développement
rural. Une coupe difficile à accepter.
Les fonds pour l’agriculture ne doivent
pas pâtir du Brexit et de ses conséquen
ces sur le budget de l’Union, a insisté Em
manuel Macron à l’issue du sommet de
Bruxelles, assurant : « Nous n’avons pas
sacrifié la PAC et je l’ai dit très clairement :
ce n’est pas elle qui peut payer pour le
Brexit. » Le compte Twitter de la prési
dence diffusait peu après une courte vi
déo, dans laquelle le chef de l’Etat faisait
passer ce message : « Nous avons obtenu
des améliorations (...), mais elles sont à
nos yeux encore insuffisantes. »
Problème, ou couac de communica
tion : le matin même, son ministre
de l’agriculture Didier Guillaume avait
semé le trouble, en affirmant sur LCI que
la France avait « obtenu » à Bruxelles un
maintien du budget actuel de la PAC
pour la période 20212027, alors que rien
n’était acté à ce momentlà. « Nous avons
gagné la première bataille. La Commis
sion avait fait une proposition pas toléra
ble » de « 370 milliards d’euros », déclarait
le ministre, avant de rectifier son propos.
Modernisation du continent
Si la dernière proposition du Conseil et
de la Commission, déposée sur la table,
vendredi en fin de journée, avait été
retenue, la PAC aurait gagné 4,4 milliards
d’euros (2 milliards pour les paiements
directs, 2,4 milliards pour le développe
ment rural). Mais ce projet a été aussitôt
enterré, parce que les PaysBas et les pays
nordiques militent de longue date pour
la limitation des fonds en faveur de
l’agriculture, au profit de tout ce qui doit,
à leurs yeux, contribuer à la modernisa
tion du continent (recherche, politique
spatiale, technologies innovantes, etc.)
La fermeté de la France tout au long de
la négociation a également été analysée
comme une volonté d’apaiser les pro
ducteurs agricoles d’outremer, qui de
vaient être reçus par M. Macron, ven
dredi soir à L’Elysée. Or, le sommet euro
péen jouant les prolongations à Bruxel
les, ceuxci ont dû se contenter d’une
conversation par vidéo avec le président.
Le chef de l’Etat avait décidé d’inviter
directement à l’Elysée les ultramarins,
qu’il n’avait pu rencontrer en 2019. C’est
finalement son épouse Brigitte qui les a
reçus, en compagnie des ministres des
Outremer Annick Girardin et de l’agri
culture Didier Guillaume.
i. m. et j.p. s.
La politique agricole commune, nerf de la guerre pour la France
« On savait qu’un
accord ne serait
pas possible
tout de suite.
Les différences
étaient trop
importantes »
ANGELA MERKEL
chancelière d’Allemagne