Le Monde - 23.02.2020 - 24.02.2020

(Brent) #1

28 | 0123 DIMANCHE 23 ­ LUNDI 24 FÉVRIER 2020


0123


S’


il existait un palmarès
des députés macronis­
tes les plus chahutés
dans leur circonscrip­
tion, Jean­Baptiste Moreau mérite­
rait sans doute de monter sur le
podium. Accompagnateur d’Em­
manuel Macron au Salon de l’agri­
culture, à l’occasion de la visite que
celui­ci devait effectuer samedi
22 février, l’élu, lui­même agricul­
teur, vit un mandat agité en
Creuse, département dont il est le
seul représentant à l’Assemblée
nationale. Rares sont les mois du­
rant lesquels il n’est pas, au mieux,
brocardé, au pire, pris à partie par
des citoyens en colère – « gilets
jaunes », syndicalistes agricoles,
grévistes opposés à la réforme des
retraites. Le mécontentement so­
cial, M. Moreau paie de sa per­
sonne pour en apprécier l’éventail.
En vertu d’un rituel éprouvé par
un certain nombre de députés de
La République en marche (LRM),
sa permanence a été murée. Elle
l’a même été à deux reprises, avec
des parpaings d’abord, puis des
plaques de plâtre. « L’avantage,
ironise­t­il à moitié ce jour­là,
dans sa ferme d’Aulon, c’est que
les tags sont plus vite nettoyés, vu
qu’ils sont écrits à même ces murs,
que les militants “marcheurs”
viennent démonter illico. »
Des branches, des sacs de lisier
ont également été déposés au
pied de ses bureaux situés à
proximité de la gare de Guéret


  • gare devant laquelle se réunis­
    sent, tous les jeudis soir, les dé­
    tracteurs creusois de la réforme
    des retraites. A plusieurs reprises,
    la cour permettant d’accéder à la
    permanence du député s’est trou­
    vée investie par les chants et les
    slogans des opposants, au grand
    dam des locataires de l’apparte­
    ment du dessus, qui ont fini par
    déménager. La grille est désor­
    mais fermée à clé, le soir.


Rompu à l’« engueulade »
Eleveur de vaches limousines,
Jean­Baptiste Moreau subit paral­
lèlement les foudres de sa corpo­
ration, qui lui reproche d’avoir
voté, en juillet 2019, en faveur du
CETA, l’accord de libre­échange
avec le Canada. Ses confrères ne le
ménagent pas, comme l’élu a pu
le vérifier lors d’un salon de l’éle­
vage, à Cournon (Puy­de­Dôme),
en octobre, qu’il a dû quitter sous
la pression d’une délégation de la
FNSEA et des Jeunes Agriculteurs.
Sa fonction de rapporteur de la loi
EGalim, visant à rétablir l’équili­
bre des relations commerciales
entre les producteurs et la grande
distribution, lui vaut par ailleurs,
régulièrement, des remarques
acerbes dans les fermes de la
Creuse, où les effets du dispositif
tardent à se faire sentir.
Mais l’homme tient bon. Ex­pré­
sident d’une coopérative d’éle­
veurs du Limousin et d’un abat­
toir à Montmorillon (Vienne), il se
dit rompu à l’« engueulade » : « J’en
ai connu des bien pires dans ma vie
d’avant. » Les intimidations n’ef­
fraient pas cet ancien pilier de
l’équipe de rugby de La Souter­
raine : « Les mêlées, les bagarres
générales, je connais. Je ne suis pas
du genre à tendre la joue droite si
l’on me gifle la gauche. »
La recrudescence d’une cer­
taine violence dans la société ne

manque toutefois pas de l’in­
quiéter, « celle que les organisa­
tions établies, comme les syndi­
cats, ne parviennent plus à canali­
ser », indique­t­il encore. En août
2019, des affiches à son effigie
accompagnées de la mention
« Wanted JB Moreau » ont été pla­
cardées dans plusieurs rues de
Guéret. Le parlementaire a dé­
posé plainte, pour la première
fois, « car l’acte n’est pas revendi­
qué, et parce qu’il s’agit d’une at­
taque personnelle », justifie­t­il.
Plus récemment, une autre com­
posante de la population locale l’a
pris en grippe : la mouvance ultra­
gauche du plateau de Millevaches,
en raison de son soutien à la maire
d’un village, Gentioux­Pigerolles,
ayant eu maille à partir avec ses
représentants. Fin janvier, la pré­
fecture de la Creuse l’a alerté sur le
projet d’une « centaine d’éléments
radicalisés » d’assister aux vœux
qu’il comptait prononcer dans la
commune de Felletin. Le député a
préféré déplacer à Jarnages, à
50 kilomètres plus au nord, sa cé­
rémonie... à laquelle ont tenté de
s’inviter des « gilets jaunes » venus
d’Ussel (Corrèze).
Ces turpitudes à répétition ébré­
cheraient la foi de ce néophyte en
politique s’il ne vouait pas une ad­
miration sans borne à Emmanuel
Macron. Membre d’En marche! à
sa création, en 2016, c’est à l’occa­
sion du Salon de l’agriculture de
l’année suivante qu’il rencontre le
futur président. Celui­ci lui aurait
alors « tendu la perche » pour qu’il
se présente aux législatives. Deux
semaines de réflexion plus tard,
Jean­Baptiste Moreau envoyait
« une lettre de motivation et un
CV » à celui qu’il n’appelle plus dé­
sormais que par son prénom.
Elu au second tour avec 58,22 %
des voix, ce fils de militant socia­
liste s’est vite trouvé confronté
aux réalités du jeu politique et de
la vie publique. Quelques Tweet
malheureux lui ont valu de faire
le buzz, comme celui envoyé
après l’envahissement du siège
de la CFDT par des grévistes CGT
et SUD­Rail, mi­janvier : « Islamis­
tes et syndicalistes radicaux,
même combat contre la Républi­
que et la démocratie. »
En 2018, un précédent message
avait également enflammé les ré­
seaux sociaux, après sa rencon­
tre avec un dignitaire saoudien
de passage à Paris : « Nous por­
tons le même idéal de paix, de to­
lérance et d’ouverture entre les re­
ligions et les peuples. » Du « se­
cond degré », nuance aujourd’hui
celui qui préside le groupe d’ami­
tié France­Arabie saoudite à l’As­
semblée nationale – fonction
embarrassante s’il en est, dont il
a hérité, faute de candidats.
Pour la Creuse, Jean­Baptiste Mo­
reau nourrit de grands projets. Il
rêve de revitaliser l’agriculture lo­
cale en développant la culture de
cannabis thérapeutique. Il vou­
drait aussi favoriser l’héberge­
ment de migrants, « régularisés ou
en attente de l’être », afin de com­
penser le déficit de population ac­
tive, dans les zones les plus recu­
lées. Il ne désespère pas, enfin,
d’accueillir chez lui le chef de
l’Etat. Le député­paysan lui a pro­
posé à trois reprises de s’arrêter en
Creuse. « Emmanuel » a toujours,
jusque­là, décliné l’invitation.

E


n Algérie, la protestation contre le
« système » se poursuit, impertur­
bable. Un an après avoir déferlé
dans les grandes villes du pays, et à re­
bours de tous les clichés sur un pré­
tendu immobilisme de la société algé­
rienne, le Hirak (le « mouvement ») n’en fi­
nit pas de défier le pouvoir.
Vendredi 21 février, à la veille du premier
anniversaire de ce soulèvement pacifique
inédit dans l’histoire du pays, une mobili­
sation massive a de nouveau réuni des
foules impressionnantes dans les rues
d’Alger, de Constantine, d’Oran, d’Annaba
pour réclamer « un Etat civil et non mili­
taire ». Le message est clair : le Hirak conti­
nue, démentant les pronostics sur son iné­
vitable essoufflement.

L’avertissement à l’adresse du régime est
cinglant. Depuis le 12 décembre, date de la
tenue d’une élection controversée, le nou­
veau président, Abdelmadjid Tebboune,
semblait à l’offensive. Il incarnait la rési­
lience d’un « système » capable de faire le
dos rond afin de mieux désarmer l’adver­
sité. Loin de fustiger la protestation,
M. Tebboune a loué le « Hirak béni » dont
la « maturité », à l’en croire, aurait « pré­
servé le pays d’un effondrement total ».
Cette bienveillance formelle ne signifie
pourtant nullement un changement de
logiciel politique.
Car, si le pouvoir consent à des gestes, il
entend bien conserver la maîtrise exclusive
de l’initiative dans un cadre fixé par lui
seul. Ainsi de cette idée d’une révision
constitutionnelle pilotée par ses soins et
sans rien céder aux revendications expri­
mées par le Hirak, à savoir la mutation d’un
régime de facto contrôlé par l’armée vers
un Etat authentiquement civil. De la même
manière, si des détenus ont été libérés,
d’autres demeurent sous les verrous et les
intimidations policières n’ont pas cessé.
Le malentendu vient de ce que, pour
M. Tebboune, les exigences du Hirak ont été
pour l’essentiel satisfaites ; la protestation
n’a dès lors plus de justification. Le Hirak
n’a­t­il pas obtenu le départ de l’ex­chef de
l’Etat Abdelaziz Bouteflika, dont la candida­

ture à un cinquième mandat avait allumé la
flamme de la révolte il y a an? Ou l’arresta­
tion de dizaines de figures de l’ancienne
équipe dirigeante (« la bande ») impliquées
dans divers complots et malversations?
Fort de ces purges et autres concessions,
le pouvoir algérien tente de convaincre
qu’il a réellement changé. Ce narratif ren­
contre un certain écho auprès d’une frange
de la population sensible aux risques d’ins­
tabilité que comporterait une protestation
prolongée. Il trouve également des oreilles
attentives auprès de partenaires étrangers
de l’Algérie inquiets de voir le pays fragilisé
dans un environnement régional volatil
(Libye, Sahel). Les uns comme les autres
sont prêts à accorder à M. Tebboune le bé­
néfice du doute.
Pour autant, le message des foules massi­
ves du Hirak doit être entendu. Il objecte
que la vraie question, à savoir la réalité d’un
pouvoir militaire s’étant doté en la per­
sonne de M. Tebboune d’une simple façade
civile, n’est toujours pas sérieusement po­
sée en haut lieu. Depuis l’indépendance de
1962, l’armée a toujours camouflé sa préé­
minence derrière des hommes liges. Il se­
rait illusoire d’espérer apaiser le Hirak sans
aborder de front cette question de la « con­
fiscation » du pouvoir, qui nourrit cette in­
lassable revendication populaire d’une
« nouvelle indépendance ».

PAS UN MOIS NE  


PASSE SANS QU’IL 


SOIT, AU MIEUX 


BROCARDÉ, 


AU PIRE PRIS 


À PARTIE


ALGÉRIE : 


L’INLASSABLE 


DÉFI DU HIRAK


L’AIR DU TEMPS |CHRONIQUE
pa r f r é d é r i c p o t e t

Le mandat agité


du député Moreau


CES TURPITUDES 


ÉBRÉCHERAIENT SA FOI 


S’IL NE VOUAIT PAS 


UNE ADMIRATION 


SANS BORNE 


À EMMANUEL MACRON


Tirage du Monde daté samedi 22 février : 185 475 exemplaires

Bosnie,Croatie,Monténégro etAlbanie,
là oùl’Occidentrencontrel’Orient, cevoyage
vousferadécouvrir la richessemais aussi
la complexité, dumétissagebalkanique.

Avecvous :
Durantle séjour,Jacques Rupnik
Politologueethistorien,spécialiste
desproblématiquesdel’Europe centrale
et orientale, professeur àSciencesPo
Parisetdirecteur derechercheauCERI.

ÀSarajevo,Rémy Ourdan
Grandreporter auMonde,
il évoquerasonexpérience,
danscettevillequ’ilconnaîtbien
pour avoircouvert le conflit surplace.

ENTREORIENTETOCCIDENT


Du 14 au 25 septembre 2020


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