6 |planète DIMANCHE 23 LUNDI 24 FÉVRIER 2020
0123
La propagation du coronavirus inquiète l’OMS
Les autorités sanitaires mondiales s’interrogent sur de nouveaux modèles de transmission du virus
pékin correspondant
L
a Chine est en train de
perdre son pari. Elle espé
rait montrer au monde
que les mesures draco
niennes et inédites de confine
ment de sa population avaient
permis de protéger le reste de la
planète du coronavirus. En fait,
celuici semble prendre les autori
tés sanitaires mondiales de vi
tesse. L’épidémie touche désor
mais plus de 77 700 personnes
dans le monde dont plus de 1 500
hors de Chine. Plus de trente pays,
sont concernés. L’épidémie a
déjà été mortelle au Japon, en
Corée du Sud, à Taïwan, Hon
gkong, Singapour, aux Philippi
nes, mais aussi hors d’Asie, en
Iran, en France et en Italie où elle a
fait, vendredi, sa première vic
time européenne.
Les EtatsUnis, qui ont, dès le
2 février, fermé leurs frontières à
toute personne venant de Chine,
s’inquiètent, après le rapatriement
de 300 Américains qui se trou
vaient à bord du navire de croi
sière DiamondPrincess. « Le jour
pourrait venir où nous pourrions
avoir besoin de mettre en place les
mêmes mesures qu’en Asie », a pré
venu, vendredi 21 février, Nancy
Messonnier, une des directrices
du Centre pour le contrôle et la
prévention des maladies, une
agence fédérale américaine, en ré
férence aux divers types de confi
nement mis en place notamment
en Chine et en Corée du Sud.
L’Organisation mondiale de la
santé (OMS) ne cache plus son in
quiétude. « Ce virus est très dange
reux. C’est l’ennemi public numéro
un et il n’est pas traité comme tel,
s’est alarmé, vendredi, Tedros Ad
hanom Ghebreyesus, le directeur
général. Au moment où nous par
lons, nous sommes encore dans
une phase où il est possible de con
tenir l’épidémie. » Mais la « fenêtre
de tir se rétrécit », atil averti.
L’OMS s’inquiète notamment
de l’apparition de cas en dehors
de Chine « sans lien épidémiologi
que clair, tels que les antécédents
de voyage et les contacts avec un
cas confirmé ». « Nous voyons que
la situation évolue », a souligné
Sylvie Briand, la directrice du dé
partement Préparation mondiale
aux risques infectieux à l’OMS :
« Non seulement le nombre des
cas augmente, mais nous voyons
aussi différents modèles de trans
mission dans différents endroits. »
L’OMS ne parle toutefois pas de
pandémie. L’organisation inter
nationale considère qu’il y a « des
épidémies différentes, montrant
des phases différentes ».
Optimisme
Alors que l’OMS appelle à des
moyens supplémentaires pour
combattre le coronavirus, le pré
sident Xi Jinping luimême a re
mercié vendredi 21 février la Fon
dation Bill et Melinda Gates qui
s’était engagée début février à
investir 100 millions de dollars
pour aider des organisations sani
taires, des gouvernements et le
secteur privé dans leurs efforts
pour endiguer l’épidémie de
pneumonie virale. Une façon
d’essayer d’apaiser la rivalité sino
américaine sur le sujet.
Si désormais l’accent est plutôt
mis sur l’évolution mondiale du
coronavirus, la situation en Chine
reste préoccupante, tant l’amélio
ration des chiffres de ces derniers
jours semble fragile. L’évolution
du discours officiel en témoigne.
Dimanche 16 février, Mi Feng, le
porteparole de la commission
nationale de la santé, était opti
miste. « On peut déjà voir les effets
de la prévention et du contrôle
de l’épidémie dans diverses parties
du pays », indiquaitil.
Mais lors d’une réunion du bu
reau politique du Parti commu
niste chinois présidée par le chef
de l’Etat, Xi Jinping, vendredi, les
participants ont au contraire sou
ligné qu’ils voyaient clairement
que le « pic [de l’épidémie] n’était
pas encore arrivé » et que la situa
tion restait « complexe » dans le
Hubei. Symbole de ces difficultés,
un médecin de 29 ans est mort à
Wuhan, l’épicentre de l’épidémie.
Confusion
La Chine, qui accueille actuelle
ment une mission de l’OMS, a
d’ailleurs dû se résoudre à accep
ter que celleci se rende à Wuhan,
samedi 22 février. Cette mission de
12 scientifiques internationaux,
accompagnés de 12 scientifiques
chinois, devait d’abord se rendre à
Pékin, dans le Sichuan et dans le
sud, dans le Guangdong, mais pas
dans le Hubei, ce qui avait suscité
de nombreuses critiques.
Les derniers chiffres publiés par
la Chine se veulent rassurants. Le
nombre quotidien des nouveaux
cas de contamination au coronavi
rus est en baisse, avec 397 cas an
noncés samedi par la commission
nationale de la santé contre près
de 900 vendredi. Les nouvelles
morts dues au virus sont au nom
bre de 109, selon la commission, ce
qui porte le total national à
2 345 décès. Il y en avait eu 118 la
veille. Le nombre des contamina
tions sur l’ensemble de la Chine
continentale est de plus de 76 000.
Mais ces chiffres sont soumis à
caution. Pour la deuxième fois en
dix jours, la Chine a annoncé une
nouvelle méthode de calcul. Jeudi
13 février, la province du Hubei
expliquait qu’elle allait désormais
accepter de considérer comme
malades confirmés des person
nes dont les tests d’amplification
des acides nucléiques étaient né
gatifs mais dont les radios des
poumons révélaient la présence
d’un virus. D’où une augmenta
tion spectaculaire du nombre de
cas. Une semaine plus tard, la
Chine annonçait au contraire ne
plus prendre en compte que les
malades ayant été déclarés posi
tifs au test d’acide nucléique.
Ce qui explique une partie de la
baisse annoncée le lendemain.
Pour accroître la confusion,
vendredi, le nombre de nouveaux
cas dans le Hubei s’élevait à 631,
selon la commission nationale de
la santé, mais à 411 « seulement »
selon les autorités de la province.
Il semblerait que ces dernières
n’aient pas inclus tous les prison
niers atteints de la maladie dans
leurs statistiques. Or, les prisons
constituent un nouveau motif
d’inquiétude. Plus de 512 cas d’in
fection au SARSCoV2 ont été re
censés, vendredi, dans au moins
cinq prisons du pays. Dans le
Shandong, il semblerait qu’un
gardien ait dissimulé s’être rendu
récemment dans le Hubei et
aurait contaminé 200 prison
niers et sept membres du per
sonnel. Immédiatement, des res
ponsables ont été sanctionnés.
Dernière illustration de l’in
quiétude des dirigeants chinois :
ces derniers ont également rap
pelé que les mesures de préven
tion devaient être correctement
mises en œuvre dans la capitale
où il semble que la reprise, pour
tant très partielle, de l’activité
économique favorise l’apparition
de nouveaux cas.
frédéric lemaître
Forte inquiétude en Italie face à l’épidémie de Covid
Les autorités ont annoncé, vendredi 21 février, la première victime, qui ne s’était ni rendue en Chine ni n’avait eu de contact avec un malade
rome correspondant
L’
inquiétude concernant
les progrès de l’épidémie
de Covid19 a connu en
Italie, dans les dernières heures,
une nette augmentation, avec
l’annonce de dixsept nouveaux
cas, quinze en Lombardie et deux
en Vénétie. Vendredi soir 21 fé
vrier, peu avant 23 heures, les
autorités ont annoncé le premier
décès sur le sol italien depuis le
début de la crise. Et son profil
comme son parcours n’ont rien
de rassurant : en effet, il n’a ja
mais mis les pieds en Chine et n’a
jamais été en contact avec un
malade connu.
La victime s’appelle Adriano
Trevisan. Cet homme de 78 ans,
maçon à la retraite, était hospita
lisé depuis dix jours à Schiavonia,
dans la province de Padoue (Véné
tie). Il a commencé à développer
la maladie alors qu’il était conva
lescent d’autres pathologies. Ex
trêmement faible, il n’avait ja
mais été jugé transportable dans
l’hôpital du cheflieu.
Selon les informations trans
mises par le gouverneur de la ré
gion Vénétie, Luca Zaia, il n’avait
eu aucun contact suspect du
rant les derniers jours, pas plus
que le second malade identifié,
un homme de 67 ans originaire
du même petit bourg de Vo
Euganeo. Des données de na
ture à jeter le trouble, faisant
craindre un avancement réel de
l’épidémie beaucoup plus im
portant que ne le pensaient les
autorités sanitaires.
Des tests doivent être pratiqués
dans les prochaines heures sur
pas moins de 4 200 personnes,
des habitants des environs et des
membres du personnel médical.
« Je suis inquiet, j’ai parlé avec
le maire de Vo Euganeo pour que
toutes les mesures soient adop
tées. Nous avons décidé de la fer
meture des écoles et des com
merces, tout en cherchant à re
constituer toutes les activités so
ciales et les contacts qu’ont eus
ces personnes, afin de compren
dre quel est le niveau du cordon
sanitaire à mettre en place », dé
clare Luca Zaia.
Tout sauf rassurant
La tâche s’annonce complexe
dans la zone, alors même qu’on
ne dispose d’aucune information
quant au moyen par lequel les
deux patients ont pu contracter la
maladie. « Ils ne ressemblent pas
aux habituels cas suspects », a
ainsi concédé le gouverneur, con
venant que ce dernier point était
tout sauf rassurant.
Si la situation en Vénétie est ju
gée préoccupante, c’est en Lom
bardie que l’épidémie a provo
qué dans les dernières heures la
mise en place des mesures les
plus radicales. Plus précisément
dans la province de Lodi, vers la
quelle tous les regards conver
gent désormais.
Là ont été identifiés quinze
nouveaux cas. Dix communes de
la zone, parmi lesquelles les plus
importantes sont Codogno, Cas
tiglione d’Adda et Casalpuster
lengo, ont été mises en « isole
ment ». Dans cette zone, rassem
blant environ 50 000 résidents,
les écoles, les administrations et
les bars ont été fermés, tandis
que les habitants étaient appelés
à rester chez eux. Des images de
Codogno, survolée par un drone
en fin de journée, montraient
une petite commune aux rues
soudain désertées, et aux airs de
ville fantôme.
C’est dans l’hôpital de la ville
que la situation paraît la plus dra
matique. Là est hospitalisé un pa
tient de 38 ans qui semble à l’ori
gine de la contagion. Hospitalisé
dans un état jugé très grave, il
aurait contaminé sa femme, en
ceinte de huit mois, ainsi qu’au
moins trois clients d’un bar où il
avait ses habitudes. Cinq mem
bres du personnel soignant ont
aussi été contaminés. Dans
l’aprèsmidi de vendredi, l’hôpital
a été fermé au public.
Recherche du « patient zéro »
Travaillant pour une multinatio
nale (le groupe Unilever), cet
homme n’a pas voyagé en Asie
ces derniers temps, mais les ex
perts évoquent la possibilité
d’une contamination survenue le
1 er février, lors d’une rencontre
avec un collègue qui, lui, revenait
de Chine. Ce dernier – que les spé
cialistes soupçonnent d’être le vé
ritable « patient zéro » local,
même s’il n’a jamais développé
les symptômes – vit dans la pro
vince voisine de Piacenza, en
EmilieRomagne, où la fermeture
des écoles a été décrétée, ainsi que
l’annulation des manifestations
sportives des prochains jours.
Dans une conférence de presse
tenue avec le ministre de la santé
Roberto Speranza, lequel a dé
taillé les dispositions spéciales
prises pour la zone de contagion,
le gouverneur de la région Lom
bardie, Attilio Fontana, a assuré
que ses concitoyens ne devaient
pas prendre peur et que « ces me
sures sont l’unique moyen possible
pour bloquer l’épidémie ».
Cela n’a pas empêché les alertes
de se multiplier, audelà des fron
tières de la province de Lodi.
Ainsi, dans la soirée de vendredi,
deux trains à grande vitesse ont
été immobilisés pendant plu
sieurs heures en raison de suspi
cions sur deux voyageurs. A
Lecce (Pouilles), un train est resté
à quai, portes closes, parce
qu’une passagère avait dénoncé,
dans son wagon, la présence d’un
jeune homme revenant de
Chine ; celuici n’a présenté
aucun symptôme.
Une mésaventure similaire
s’est produite sur un train en di
rection de Turin, dans lequel
voyageait un homme ayant con
fié qu’il avait côtoyé le patient in
fecté de Codogno lors d’une par
tie de football ; il a subi des tests
en gare de Bologne et de Milan,
tous négatifs.
jérôme gautheret
« Ce virus est
l’ennemi public
numéro un et il
n’est pas traité
comme tel »
TEDROS ADHANOM
GHEBREYESUS
directeur général de l’OMS
un nouveau mort et 142 cas supplémen
taires de Covid19. La situation prend une
tournure préoccupante en Corée du Sud,
qui compte désormais 346 malades du co
ronavirus, selon les chiffres rendus publics
samedi 22 février, dans un nombre crois
sant de régions.
Le sudest du pays est le plus touché,
principalement Daegu, la quatrième ville
du pays, qui compte 2,5 millions d’habi
tants, et la province voisine du Gyeong
sang du Nord.
Sur les 142 nouveaux cas, 38 ont été dé
couverts parmi les fidèles de la branche
de Daegu de la secte appelée Eglise de
Jésus Shincheonji (« nouveau monde »),
qui en comptait déjà plus d’une cen
taine. Parmi ces nouveaux cas, 92 l’ont été
parmi les patients et personnels de
l’hôpital Daenam du comté de Cheongdo
(Gyeongsang du Nord).
C’est dans cet hôpital que le premier décès
du coronavirus a été déploré mercredi.
C’est aussi là qu’était soignée, pour une
pneumonie chronique, la quinquagénaire
décédée vendredi. Après la découverte de
sa contamination, elle avait été transférée
en urgence vers un hôpital de Busan, le
grand port du sudest du pays.
Par ailleurs, des cas ont été confirmés
pour la première fois dans d’autres régions,
dont l’île de Jeju, le Chungcheong et le Jeolla
du Nord (centre et sudouest). Dans celle de
Gyeonggi, la province qui entoure Séoul, de
nouveaux malades ont été trouvés.
Une multiplication par onze
La Corée du Sud subit une multiplication
par onze du nombre de malades depuis
l’annonce, le 18 février, de la contamination
d’une femme de 61 ans, la « patiente nu
méro 31 », par ailleurs membre de la secte
Shincheonji. Cette femme pourrait repré
senter un cas de « superpropagateur », une
personne infectée pouvant transmettre le
virus à un grand nombre de personnes.
En réponse à la dégradation d’une situa
tion qualifiée de « grave » par le président,
Moon Jaein, le gouvernement a placé
Daegu et Cheongdo sous le statut de « zone
d’administration spéciale », permettant un
renforcement des moyens médicaux et de
contrôle. Il se refuse toutefois à élever son
niveau d’alerte, mais envisagerait différen
tes stratégies qui pourraient passer par une
interdiction des entrées dans le pays.
La ville de Daegu a demandé aux habi
tants de porter des masques et d’éviter de
sortir. Elle a aussi sollicité l’aide du gouver
nement central, notamment l’achemine
ment d’un million de masques et l’ouver
ture aux civils d’un hôpital militaire. Des
services d’urgence de certains hôpitaux de
la ville ont été fermés pour avoir reçu la vi
site de personnes contaminées. Les person
nels présents ont été placés en quarantaine.
La situation a par ailleurs conduit le
maire de Séoul, Park Wonsoon, à interdire,
vendredi, les rassemblements sur trois
grandes places du centreville « pour proté
ger les personnes âgées, qui sont fragiles
face au risque de contagion », atil expli
qué. Ces trois places, toutes proches de la
mairie, sont depuis plusieurs mois le théâ
tre de manifestations d’organisations con
servatrices, qui rassemblent nombre de
personnes âgées.
M. Park a également annoncé la ferme
ture de toutes les structures de la secte
Shincheonji. « Séoul n’est plus en sécurité.
Par précaution, nous avons pensé qu’il fal
lait prendre des mesures concernant l’église
Shincheonji », a expliqué l’édile, qui prévoit
également de fermer une centaine de cen
tres d’aide sociale.
philippe mesmer
(tokyo, correspondance)
A Séoul, des rassemblements interdits pour cause d’infection
LES DATES
31 DÉCEMBRE
L’Organisation mondiale de la
santé (OMS) est alertée sur plu-
sieurs cas de pneumonie « de
cause inconnue » dans la ville de
Wuhan (Chine), dans la province
du Hubei.
9 JANVIER
L’OMS et les autorités sanitaires
chinoises annoncent officielle-
ment la découverte d’un nou-
veau coronavirus (SARS-CoV-2).
23 JANVIER
La transmission interhumaine du
virus est confirmée par l’OMS.
30 JANVIER
L’OMS prononce une « urgence
de santé publique de portée in-
ternationale ». C’est aussi l’an-
nonce du premier cas de conta-
mination sur le sol français.
Des données
de nature à jeter
le trouble,
faisant craindre
un avancement
réel de l’épidémie
Si l’accent est
désormais mis
sur l’évolution
mondiale
du coronavirus,
la situation
en Chine reste
préoccupante