Le Monde - 13.03.2020

(Grace) #1

20 |coronavirus MARDI 17 MARS 2020


0123


Une participation « faiblissime » au premier tour


Dans le contexte d’épidémie due au SARS­CoV­2, moins d’un électeur sur deux s’est rendu aux urnes dimanche


ANALYSE


A


u fil de la journée, les
chiffres ont confirmé
les craintes. Malgré les
mesures sanitaires
dans les bureaux de vote, l’épidé­
mie due au coronavirus a
détourné les Français des urnes
pour le premier tour des élections
municipales, dimanche 15 mars.
Lundi matin, le taux d’abstention
s’élevait à 55,36 %, soit près de
20 points de plus qu’en 2014.
« C’est un record absolu d’absten­
tion, dans une élection polluée par
l’impact direct du coronavirus »,
analyse Frédéric Dabi, directeur
général adjoint de l’IFOP, qui évo­
que une participation « faiblissime
pour un scrutin municipal ». Mal­
gré le passage du pays au stade 3 de
l’épidémie, malgré la fermeture
des écoles, collèges, lycées puis
celle des restaurants et des com­
merces non essentiels, le gouver­
nement avait décidé de maintenir
le scrutin de dimanche, prenant le
risque d’une abstention record.
Les villes qui ont été les premiers
foyers de contamination l’illus­
trent. Les chiffres de participation

et d’abstention se sont inversés
par rapport à ceux du premier tour
de 2014. A La Balme­de­Sillingy, en
Haute­Savoie, seuls 39,63 % des
électeurs se sont déplacés. C’est
presque le taux d’abstention de
2014 (37,59 %) dans cette com­
mune, dont le maire sortant a été
contaminé. Il a été battu diman­
che soir. A Crépy­en­Valois (Oise),
62,47 % des électeurs ont boudé les
urnes, l’équivalent du taux de par­
ticipation en mars 2014 (62,25 %). A
Mulhouse (Haut­Rhin) seuls
26,04 % des électeurs se sont
déplacés, 20 points de moins que
lors des précédentes municipales.
Dans les grandes villes, où la
participation est traditionnelle­
ment plus faible, les électeurs se
sont peu déplacés aux urnes. A
Marseille, l’abstention a atteint
67,24 %, contre 46,47 % au premier
tour de 2014. A Lyon, elle atteint
61 % (43,9 % en 2014), à Bordeaux à
64 % pour 44,7 % lors des derniè­
res municipales. A Paris, la chute
est moins importante, 57,7 %
contre 43,7 % en 2014.
« Il y a une double abstention :
celle d’une catégorie qui tradition­
nellement ne vote pas mais aussi

de personnes âgées, de cadres
supérieurs », note M. Dabi. « Beau­
coup de personnes âgées se seront
abstenues pour la première fois de
leur vie, note Céline Braconnier,
professeure en sciences politi­
ques, spécialiste de l’abstention.
Cela s’explique facilement par le
double discours de ces derniers
jours : jeudi soir, dans son allocu­
tion, le président de la République a
précisément nommé les personnes
de plus de 70 ans en les incitant à
ne pas sortir de chez elles. Ça n’est
pas très cohérent avec l’autre mes­
sage qui était de maintenir le scru­
tin, observe la chercheuse. Au fil de

la journée, cette contradiction a été
renforcée par les incitations d’un
certain nombre d’acteurs, notam­
ment médicaux, à rester chez soi. »
Selon Mme Braconnier, l’absten­
tion « a été encore plus importante
chez ceux qui votent d’ordinaire le
moins, et en particulier les
jeunes ». La perturbation de la fin
de la campagne par l’épidémie y
est pour beaucoup. « Il n’y a pas eu
de campagne, de porte­à­porte,
qui a un effet très fort, dans les dix
jours qui précèdent le scrutin, pour
mobiliser les électeurs, en particu­
lier dans les quartiers populaires »,
ajoute­t­elle. Et ce alors même
que, pour les élections municipa­
les, « les gens se décident très
tardivement » sur leur vote.

« Des élections de la peur »
Ce constat s’inscrit dans une
hausse tendancielle de l’absten­
tion aux municipales. « En 1983,
elle était de 21,5 %, en 2014 de
36,5 % », compare M. Dabi. Malgré
tout, ces élections restaient « les
plus mobilisatrices avec la prési­
dentielle », rappelle Mme Bracon­
nier. Or, elles risquent, pour ce
premier tour, d’atteindre des taux

de participation définitifs équiva­
lents à ceux des dernières législa­
tives. En juin 2017, 57,36 % des ins­
crits avaient boudé le second
tour. « Dans les grandes villes, le
premier parti de France est absten­
tionniste, ce qui est complètement
inédit pour des municipales. », ex­
plique M. Dabi.
Rien, jusqu’à il y a quelques
jours, n’indiquait que la chute se­
rait aussi brutale. « Le nombre de
listes est similaire à celui de 2014,
s’il y avait eu une démobilisation,
on l’aurait vu sur le nombre de can­
didatures, ce n’est pas le cas », rap­
pelle Martial Foucault, directeur
du Cevipof. Il ajoute que la « dépo­
litisation plus forte que les années
passées » des listes était, elle aussi,
source de possible mobilisation.
Pour expliquer la chute de partici­
pation, « je ne vois que la sagesse
des électeurs face aux consignes
données depuis samedi soir »,
conclut­il. « On est sur des élections
de la peur », ajoute Frédéric Dabi.
« Les gens vont poser la question
de la validité du scrutin, ajoute
Martial Foucault. Dans un pays
viscéralement attaché au fait
majoritaire, une participation en

deçà de 50 %, c’est extrêmement
symbolique. Cela introduit un
doute dans l’esprit des électeurs
sur la légitimité des décisions pri­
ses. Cela fragilise la démocratie
locale et va mettre en difficulté les
équipes municipales élues », ajou­
te­t­il. « Cela va donner des argu­
ments à tous ceux qui avaient mis
en garde sur l’organisation des
élections et à ceux qui vont dire
que le second tour n’a aucun
sens », devine Frédéric Dabi.
« Avoir considéré que le vote était
au­dessus des conditions de sécu­
rité des habitants va renforcer le
sentiment des électeurs que les po­
litiques sont déconnectés, analyse
encore Céline Braconnier. Le pre­
mier tour a été maintenu au nom
de l’impératif démocratique, mais
les conditions de campagne et de
participation ne sont pas à mettre
au crédit de la bonne santé démo­
cratique, ajoute la chercheuse. En
quoi reporter l’élection dans six
mois ou un an aurait abîmé la dé­
mocratie? En revanche, organiser
une élection dans ces conditions,
cela abîme la démocratie et cela
questionne pas mal les gens. »
manon rescan

Martinique

La Réunion

Mayotte

Guadeloupe

Guyane

Landes

Paris

Côtes-d'Armor Essonne

Haute-
Loire

Yvelines

Oise

Haute-Savoie

Indre-
et-Loire

Charente

Haut-Rhin

Mayenne

Lot-et-
Garonne

Morbihan

Tarn

Loire-
Atlantique

Loire-
Atlantique

Haute-Corse

Territoire
de Belfort

Ariège

Rhône

Gers

Yonne

Puy-de-
Dôme

Var

Charente-Maritime

Ardennes

Drôme

Ain

Nord

Bas-Rhin

Seine-Maritime

Loiret

Alpes-de-
Hte-Provence

Haute-
Saône

Pyrénées-
Atlantiques

Dordogne

Vendée

Loire

Maine-
et-Loire

Cantal

Savoie

MancheManche

Lozère

Marne

Haute-
Marne

Vosges

Bouches-
du-Rhône

Bouches-
du-Rhône

Deux-
Sèvres

Indre

Côte-
d'Or

Saône-
et-Loire

Aveyron

Ille-et-
Vilaine

Hauts-
de-Seine

Hérault

Creuse

Vaucluse

Seine-St-Denis

Seine-
et-Marne
Finistère

Aisne

Cher

Pas-de-Calais

Doubs

Eure

Hautes- Aude
Pyrénées

Somme

Moselle

Alpes-Maritimes

Vienne

Calvados

Haute-
Garonne

Ardèche

Gard

Orne

Loir-
et-Cher

Isère

Allier

Lot Hautes-Alpes

Pyrénées-
Orientales

Haute-
Vienne

Val-de-Marne

Corse-du-Sud

Meuse

Tarn-et-
Garonne

Val-d'Oise

Jura

Nièvre

Meurthe-
et-Moselle

Gironde

Sarthe

Eure-
et-Loir

Corrèze

Ecarts en points par rapport au taux d’abstention
du premier tour des élections municipales de 2014


  • 1,



  • 9,5 + 15 + 17,5 + 20 + 27



  • 1,


+ 27

Taux d’abstention au premier tour
des élections municipales, en % des inscrits

30,3 35 45 55 65,
65,

30,

Taux d’abstention aux élections municipales depuis 1965,
en % des inscrits
Premier tour

21,

29,
24,

26,

21,122,4 21,620,

2 7,126,

30,6^32
32,633,9 33,

34,8 36,

37,

1965 1971 1977 1983 1989 1995 2001 2008 2014 2020

Second tour

55,


50 %

Une abstention inédite
Taux d’abstention aux élections municipales, en % des inscrits

Ecart en points

2014

28,

37,

53,

47,

48,

63,

62,

73,

65,

62,

+ 34,

+ 24,

+ 20,

+ 17,

+ 14,

Ajaccio

Crépy-en-Valois

Mulhouse

Montpellier

Creil

2020

Dans les premiers foyers de contamination,
moins d’un tiers des électeurs se sont déplacés

Source : ministère de l’intérieur Infographie Le Monde

« Le premier parti
de France est
abstentionniste,
ce qui est
complètement
inédit pour
des municipales »
FRÉDÉRIC DABI
directeur adjoint de l’IFOP
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