Le Monde - 13.03.2020

(Grace) #1
0123
MARDI 17 MARS 2020 coronavirus| 21

LR se défend d’avoir voulu


maintenir le scrutin


Larcher et Baroin sont accusés par LRM d’avoir exercé des pressions sur Macron


I


ls étaient beaucoup moins
nombreux qu’en 2014, mais
ils y sont allés quand même.
Ils ont pris leur propre stylo,
se sont désinfecté les mains et ont
voté. Pourtant, parmi ces votants
et parmi ceux qui sont restés chez
eux, une question a hanté ce pre­
mier tour des élections municipa­
les : au milieu d’une crise sanitaire
d’une telle importance, pourquoi
le gouvernement n’a­t­il pas
ajourné les élections? Pourquoi le
président de la République, Em­
manuel Macron, et ensuite son
premier ministre, Edouard Phi­
lippe, qui ont demandé aux Fran­
çais de rester chez eux et de garder
une distance de sécurité les uns
avec les autres, n’ont­ils pas décalé
le scrutin, comme les Britanni­
ques l’ont fait avec leurs élections
locales prévues le 7 mai prochain?
Ce week­end, certains membres
de La République en marche (LRM)
ont accusé une partie de l’opposi­
tion d’avoir exercé des pressions
sur le chef de l’Etat. Les personnali­
tés de droite, notamment Gérard
Larcher, le président du Sénat, et
François Baroin, patron de l’Asso­
ciation des maires de France, ont
été visées. « La question qui se pose
(...), c’est celle de l’union nationale.
Or, sur ce point, l’attitude de Gérard
Larcher et François Baroin a été ir­
responsable. Faire du chantage à la
rupture de l’union nationale pour
préserver leurs intérêts électoraux
est incompréhensible », affirmait
samedi Guillaume Chiche, député
LRM des Deux­Sèvres.
Le parti Les Républicains (LR) ne
veut cependant pas porter la res­
ponsabilité d’une décision incom­
prise par nombre de Français et
politiquement dévastatrice en cas
d’aggravation fulgurante de l’épi­
démie dans les prochains jours.
Oui, Gérard Larcher a parlé à Em­
manuel Macron. Oui, il était pour
un maintien du scrutin. Mais non,
il ne lui a pas fait de chantage, ex­
plique l’entourage du président du
Sénat. « Nous sommes outrés par
de telles insinuations », s’indigne
une source proche de l’élu.
Car, rappelle­t­on dans l’entou­
rage du président de LR, Christian
Jacob, la situation jeudi n’était ab­
solument pas celle d’aujourd’hui.
« Si nous avions su que le stade 3
était si proche, notre position
n’aurait pas du tout été la même »,
abonde un cadre du parti.

Pas les mêmes informations
Jeudi matin, le premier ministre
avait reçu les présidents des deux
chambres, des partis d’opposition
et des groupes. Au menu, des dis­
cussions sur le coronavirus, mais
« en aucun cas il n’est question de
report des municipales à ce mo­
ment­là », affirme Damien Abad, le
président du groupe LR à l’Assem­
blée nationale. Au contraire, expli­
que un proche de Christian Jacob,
« l’exécutif est plutôt rassurant sur
la situation sanitaire ».
Ce jour­là, Bruno Retailleau, pa­
tron du groupe LR au Palais du
Luxembourg, et Gérard Larcher
déjeunent ensemble. Il ne sera pas,
là non plus, question d’un report.
Mais la rumeur enfle dans l’après­
midi. Gérard Larcher s’entretient
alors avec le président de la Répu­
blique, qui lui fait part de son ques­
tionnement. Mais le rassure im­
médiatement. « Quand ils se par­

lent jeudi, le chef de l’Etat explique
que son comité scientifique est ras­
surant, que les conditions sanitai­
res permettent un vote », relate un
proche du patron des sénateurs.
Christian Jacob discute, lui, au té­
léphone avec Edouard Philippe,
qui ne laisse rien deviner d’une
quelconque inquiétude quant à
une possible dégradation de la si­
tuation. « Comment vouloir tout
annuler 48 heures avant, avec une
campagne qui a duré six mois, des
comptes de campagne déposés...
Avec les informations dont nous
disposons aujourd’hui, la teneur
des conversations n’aurait pas été
la même », regrette un cadre.
En clair, à les entendre, la forma­
tion de droite et ses ténors ne dis­
posaient pas des informations
aujourd’hui publiques pour peser
en faveur d’un report. Rue de Vau­
girard, tous se disent « scandali­
sés ». « C’est misérable, commente
Brice Hortefeux, après tout, c’est le
président de la République qui dé­

cide. Donc si c’est le bon choix, c’est
lui, mais en revanche en cas d’er­
reur ou de doute, ce sont les
autres! » « Depuis quand le prési­
dent nous écoute­t­il autant? »,
plaisante, narquois, un cadre.
LR se dit d’autant plus « outré »
que certains de ses membres sont
frappés de plein fouet par la mala­
die. Plusieurs parlementaires, au
premier rang desquels Christian
Jacob, ont été testés positifs au co­
ronavirus. Des réunions ont été
annulées et le siège fermé jusqu’à
nouvel ordre.
Samedi soir, peu après l’annonce
de la fermeture des commerces
non essentiels par Edouard Phi­
lippe, ils étaient quelques­uns à ré­
clamer une annulation. « Compte
tenu des décisions graves annon­
cées ce soir par le premier ministre,
il est incompréhensible de mainte­
nir les élections municipales de­
main et dimanche prochain », a dé­
claré Xavier Bertrand, le président
de la région Hauts­de­France.

Valérie Pécresse, à la tête de la ré­
gion Ile­de­France, y est allée de
son appel : « Au vu de la gravité des
décisions prises ce soir, comment
maintenir le vote aux élections mu­
nicipales? Je demande au gouver­
nement de prendre ses responsabi­
lités et de protéger les Français », a­
t­elle déclaré sur Twitter.
Le second tour? Il va falloir y ré­
fléchir, affirment des élus de la for­
mation de droite. Beaucoup appel­
lent à un ajournement du second
tour. « L’élection doit être considé­
rée acquise pour toutes les listes au­
dessus de la barre des 50 %. Dans les
autres communes, le second tour
ne pourra manifestement pas se te­
nir dans de bonnes conditions. C’est
ce que je dirai à Edouard Philippe
lors de la réunion des responsables
politique », a ainsi affirmé Bruno
Retailleau sur Twitter.
« Nous demandons au premier
ministre de recevoir dès demain
les chefs de parti politique et de
nous présenter en toute transpa­
rence les recommandations du
conseil scientifique. Seule prime la
santé des Français! C’est notre uni­
que boussole : s’il faut reporter le se­
cond tour pour protéger la santé de
nos concitoyens, il faudra le faire
évidemment dans un esprit de con­
corde et de responsabilité », confie
Guillaume Peltier, député du Loir­
et­Cher et numéro deux du parti.
Reste à voir si l’unité nationale re­
prendra le dessus.
sarah belouezzane

« Depuis quand
le président nous
écoute-t-il
autant? »,
plaisante,
narquois, un
cadre du parti
Les Républicains

Est­il possible


de reporter


le second tour?


Les constitutionnalistes ont des avis opposés
au sujet d’une éventuelle annulation

L’


éventualité d’un second
tour des municipales ap­
paraissant de plus en plus
improbable, il va falloir trouver
des solutions juridiques. Et peut­
être improviser... « Dans notre si­
tuation, il n’y a pas de loi appli­
cable », prévient d’emblée Romain
Rambaud, professeur de droit pu­
blic à l’université Grenoble­Alpes.
Ce n’est pourtant pas totalement
inédit. En 1973, sur l’île de La Réu­
nion, rappelle M. Rambaud, le se­
cond tour des législatives avait
été empêché par un cyclone. Déjà,
« le Conseil constitutionnel s’était
plaint de ce que le droit ne prévoyait
pas grand­chose dans ce cas de fi­
gure », souligne le professeur.
Les choses n’ont guère évolué de­
puis. Juridiquement, peut­on re­
porter un second tour alors que le
premier a eu lieu? Non, assure Di­
dier Maus, universitaire spécia­
liste du droit constitutionnel. Car,
dit­il, l’élection municipale est « un
bloc », une élection unique com­
posée de deux éléments. Et ce
principe est posé par l’article L. 227
du code électoral. Le même article
indique d’ailleurs que l’élection a
lieu en mars et que le mandat
des conseillers est de six ans. Cela
signifie donc qu’il s’achèvera le
31 mars cette année.
Le code électoral indique égale­
ment que le second tour doit inter­
venir « le dimanche suivant le pre­
mier tour » (article L. 56). Pour
M. Maus, il n’y a que deux solu­
tions. Soit reporter l’élection d’une
semaine, au 29 mars : « Aucun inté­
rêt », balaie le constitutionnaliste.
Soit renvoyer toute l’élection à
plus tard, ce qui implique de « pas­
ser par perte le premier tour ». Car
« il faut rouvrir le jeu ». Mais, recon­
naît­il, « vous faites beaucoup de
malheureux », ceux qui ont été
élus dès le premier tour.
D’autres experts considèrent ce­
pendant que rien ne s’oppose, en
droit, à la dissociation des deux
tours d’une élection municipale.
« Ce n’est pas compliqué », assure
Bruno Daugeron, professeur de
droit public à l’université Paris­
Descartes. Les électeurs ont été
convoqués aux urnes par un dé­
cret pris en conseil des ministres le
4 septembre 2019. Il suffit d’en
prendre un nouveau pour revenir
sur cette convocation.
Une loi devra ensuite être adop­
tée pour définir les modalités :
prorogation du mandat de six ans,
dérogation à la règle du « diman­
che suivant », du renouvellement
intégral des conseils municipaux,
changement du mois du scrutin
(puisque c’est mars, en principe)...
Mais « cela ne pose pas de pro­
blème juridique, assure Romain
Rambaud. Le législateur a le droit
de reporter une élection. »

« Sincérité du scrutin »
Mais jusqu’à quand? « Si l’on main­
tient le premier tour, je suis scep­
tique sur l’idée de reporter à juin ou
septembre, poursuit le professeur.
Car cela pourrait porter atteinte à
“la sincérité du scrutin” », principe
reconnu par le Conseil constitu­
tionnel. « Cela ne pourrait être que
de quelques mois, six tout au plus,
abonde Marie­Anne Cohendet,
professeure de droit constitution­
nel à l’université Panthéon­Sor­
bonne. Le Royaume­Uni vient de
reporter d’un an ses élections muni­
cipales. c’est un grand maximum. »
Toutes ces modifications se fe­
raient sur la base des « circonstan­
ces exceptionnelles ». Les juges se
réfèrent à cette notion juridique
lorsqu’il s’agit d’apprécier des me­
sures privatives de libertés. Elles
doivent être nécessaires, adaptées
et proportionnées. « On n’utilise
pas un marteau­pilon pour écraser
une mouche », relève Mme Cohen­

det. « Le Conseil d’Etat a déjà validé
des mesures contraires à la légalité
au nom de circonstances excep­
tionnelles », rappelle Bruno Dauge­
ron. Et cela serait d’autant plus dif­
ficile à contester que ces mesures
auraient été adoptées dans une
concorde partisane.
Il existe des outils plus radicaux.
Défini par la loi du 3 avril 1955,
l’état d’urgence permet au pou­
voir de prendre un certain nom­
bre de mesures limitant la liberté
des citoyens. Il y a aussi l’article 16
de la Constitution, qui confère au
président de la République des
pouvoirs exceptionnels en pé­
riode de crise. « Cela règle toute
une partie du problème », recon­
naît M. Daugeron. Mais Didier
Maus considère que cela n’aurait
« aucun sens » : « l’Etat fonc­
tionne », insiste­t­il.
A supposer que le second tour
soit reporté, de nombreuses ques­
tions apparaîtraient. Quel sort ré­
server aux résultats du premier
tour? Ils sont valides, selon Ro­
main Rambaud. Mais la situation
étant exceptionnelle, le pouvoir
avance sur un terrain vierge. Tout
est envisageable. Cependant, an­
nuler le premier tour serait « une
monstruosité juridique, dit Bruno
Daugeron. Je ne vois pas comment
on pourrait le justifier ». D’ailleurs,
prévient­il, « le Conseil constitu­
tionnel regarderait cela d’un très
mauvais œil. Le droit de suffrage
est un droit fondamental ».
Une solution serait de considé­
rer que ceux qui ont été élus dès le
premier tour le resteraient. Mais
cela déclenche des problèmes en
cascade. Si l’on prolonge le mandat
des maires, les élus du 15 mars ne
pourraient mécaniquement pas
être désignés. Et c’est sans comp­
ter l’hypothèse d’un confinement
qui empêcherait les conseils mu­
nicipaux de se réunir.
Ce serait « une solution très ban­
cale », juge M. Maus, pour qui il n’y
a que deux cohérences : un second
tour le 22 mars ou tout recom­
mencer. D’autant que les conseils
des intercommunalités doivent se
réunir avant fin avril pour dési­
gner leur président. Les sénatoria­
les de septembre devraient aussi
être décalées. « On trouve toujours
des solutions, tempère Mme Co­
hendet. Il ne s’agit pas de problè­
mes juridiques insurmontables. »
Autre difficulté : les frais de cam­
pagne. « L’Etat devra rembourser
tout le monde, considère M. Ram­
baud. Sinon, vous tuez financière­
ment des centaines de personnes.
Pour les municipales, les gens s’en­
dettent. » Et de multiples ques­
tions sont à ce jour non réglées : si
la campagne doit repartir dans six
mois, avec quel argent les candi­
dats la financeront­ils? Comment
sera calculé le plafond de dépen­
ses? « Le droit n’a pas de réponse à
tout cela », rappelle M. Daugeron.
Reporter le second tour con­
duira l’exécutif « à la marge de la lé­
galité, prévient M. Rambaud. Faire
adopter une loi électorale entre les
deux tours d’une élection pourrait
conduire le Conseil constitutionnel
à considérer que l’on porte atteinte
à la sincérité du scrutin. » Mais, de
toute façon, note M. Daugeron,
avec l’épidémie, « on s’achemine
vers une suspension progressive de
la légalité normale ».
benoît floc’h

François Baroin réélu à Troyes
François Baroin (LR), président de l’Association des maires de France, a
été réélu dimanche dès le premier tour à Troyes, ville dont il est maire de-
puis 1995. M. Baroin a recueilli 66,78 % des suffrages, soit plus de 6 points
de plus qu’en 2014 (62,57 %). « C’est une grande fierté pour notre équipe
depuis vingt-cinq ans, mais cette élection a eu lieu à un moment particulier,
a-t-il commenté. Sur le vote, nous avons dit depuis le début de la crise que
nous nous alignions sur les autorités, nous étions favorables au maintien,
car, si on interdit le vote alors que les terrasses sont autorisées, ce n’est pas
compréhensible. Mais, si les libertés sont réduites, on va s’adapter. »

La situation étant
exceptionnelle, le
pouvoir avance
sur un terrain
vierge. Tout est
envisageable
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