Les Echos - 04.03.2020

(Darren Dugan) #1
Le patron de la Réserve
fédérale américaine,
Jerome Powell, après
ses annonces surprise,
mardi à Washington.
Ph oto Kevin Lamarque/Reuters

tôt dans l a matinée, le président de la
Fed avait participé à une réunion des
sept grands pays. Le communiqué
publié à l’issue, et qui n’avait guère
convaincu les investisseurs, indi-
quait que les banquiers centraux
s’engageaient à « soutenir la stabilité
des prix et la croissance économique
tout en maintenant la résilience du
système financier ».
Le mouvement de la Réserve f édé-
rale était, ces derniers jours, devenu
de plus en plus probable, selon les
économistes de Bank of America.
D’abord parce que « ce qui ressem-
blait à un simple choc d’offre suite de
la rupture des chaînes d’approvision-
nement devient maintenant aussi un
choc de demande ». Ensuite parce
que « la Fed a appris de la grande crise
financière q u’elle doit être agile », avec
pour objectif le maintien de « l’accès
au crédit et au financement ». Et enfin
parce qu’elle a fondé ses baisses de
taux l’an dernier sur une doctrine
assurantielle, « proactive » plutôt
que « réactive ».

Donald Trump mécontent
« La politique monétaire fonction-
nant a vec un certain décalage, le fait de
procéder à des coupes maintenant
permettra d’accélérer la reprise lors-
que les inquiétudes concernant le
coronavirus seront passées », juge
aussi Satyam Panday, économiste
chez S&P Global Ratings. Alors que
l’activité a déjà ralenti aux Etats-Unis
l’an dernier, à 2,3 %, les économistes
ont commencé à réviser en baisse
leurs prévisions de croissance en rai-
son du coronavirus. Oxford Econo-
mics a indiqué ne plus tabler que sur

1,3 % de croissance aux Etats-Unis
cette année, contre 1,7 % précédem-
ment. Bank of America n’a révisé sa
prévision de croissance que de 0,
point, à 1,6 %.
Après avoir baissé de 0,75 point
les taux à l’été et à l’automne dernier,
la Fed avait engagé une pause ces
derniers mois. Avec des taux d’inté-
rêt aujourd’hui plus élevés aux
Etats-Unis qu’en Europe ou au
Japon, la Réserve fédérale bénéfi-
ciait d’un outil immédiatement
mobilisable, ce qui pourrait être plus
compliqué pour d’autres pays.
La décision de la Fed n’a pas suffi à
Donald Trump. « La Réserve fédérale
est en train de réduire ses taux, mais
elle doit encore assouplir sa politique
et, surtout, s’aligner sur les autres
pays/concurrents. Nous ne sommes
pas sur un pied d’égalité. Ce n’est pas
juste pour les États-Unis », a-t-il réagi
sur Twitter, en inlassable défenseur
d’une baisse des taux pour soutenir
l’économie et la Bourse.
Auditionné au Congrès, le secré-
taire américain au Trésor, Steven
Mnuchin, a de son côté jugé que la
Fed avait « bien fait de prendre les
devants », sans annoncer de coup de
pouce budgétaire. Samedi, Donald
Trump avait confirmé qu’il envisa-
geait une réduction d’impôts pour
les classes moyennes avant l’élection
présidentielle prévue début novem-
bre. Les candidats démocrates
étaient de leur côté trop accaparés
par les élections du Super Tuesday
pour réagir.

(


Lire nos informations
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l La banque centrale américaine a annoncé mardi une


baisse surprise de ses taux. L’ ’épidémie « fait peser des


risques évolutifs sur l’activité économique », estime la Fed.


lDes économistes commencent à réviser en baisse


leur prévision de croissance aux Etats-Unis.


Coronavirus : l a Fed


opte pour un


traitement de choc


Véronique Le Billon
@VLeBillon
—Bureau de New York


C’est un mouvement surprise e t qua-
si-inédit en dehors de ses réunions
traditionnelles. La Réserve fédérale
a annoncé, mardi, une baisse des
taux d’un demi-point (dorénavant
entre 1 et 1,25 %) pour tenter de ras-
surer et limiter les conséquences de
l’épidémie de coronavirus sur l’acti-
vité. « Les fondamentaux de l’écono-
mie américaine restent solides. Toute-
fois, le coronavirus fait peser des
risques évolutifs sur l’activité écono-
mique », a justifié la Réserve fédé-
rale. La décision a été prise à l’unani-
mité des dix membres présents au
comité de politique monétaire
exceptionnel, organisé alors que la
prochaine réunion n’était prévue
que dans deux semaines.
« La baisse des taux ne va pas
réduire le nombre d’infections », mais
elle va contribuer à fluidifier les con-
ditions financières et « améliorer la
confiance » des entreprises, a expli-
qué le président de la Fed, Jerome
Powell, à l’occasion d’une confé-
rence de presse organisée dans la
foulée de l’annonce. Les marchés
financiers ont toutefois mal réagi,
plongeant dans le rouge pendant les
déclarations du banquier central...
Sans vouloir préempter les réac-
tions économiques des pays du G7 à
l’épidémie, Jerome Powell a indiqué
être « en discussion active » avec ses
collègues banquiers centraux. Plus


ÉPIDÉMIE


Tous les gouvernements de la pla-
nète phosphorent. Tous ont la
même interrogation : que faut-il
faire pour soutenir l’activité écono-
mique au temps du coronavirus?
Coups de téléphone entre les grands
argentiers de ce monde, rencontre
avec des économistes à Bercy ce
mercredi... Le monde a des allures
post-faillite de Lehman Brothers.
Mais les solutions ne peuvent être
les mêmes puisque la crise n’est pas
d’origine financière. « Le problème,
c’est qu’il s’agit d’un choc inédit »,
explique Xavier Ragot, président de
l’Observatoire français des conjonc-
tures économiques (OFCE). « L’inté-
gration des chaînes de valeur est telle-
ment forte qu’on a du mal à estimer
l’ampleur de ce choc. » On ne connaît
pas non plus l’impact économique
des confinements à venir en Europe.
Une chose est sûre : l’offre sera
affectée puisque les entreprises
auront du mal à produire. Et la
demande le sera aussi parce que les
consommateurs seront peu enclins
à dépenser si l’épidémie prend de
l’ampleur. Avec un dilemme : plus la
réaction est forte sur le plan sani-


taire, plus les conséquences écono-
miques sont importantes à court
terme. Aujourd’hui, l’urgence est de
permettre aux économies et surtout
aux entreprises d’absorber ce choc.
« Il faut faciliter le recours aux crédits
de trésorerie, retarder le paiement des
impôts et des cotisations que les entre-
prises doivent à l’Etat », estime
Xavier Ragot. C’est ce que la France
et l’Italie ont fait immédiatement. Le
but, c’est d’éviter les faillites, les salai-
res i mpayés, les factures n on réglées,
bref, tout ce qui pourrait causer un
effet domino sur l’économie.

Endettement élevé
« Il faut aussi faciliter les mesures de
chômage partiel, ainsi que le prévoit
Bercy. Comme c’est le cas en Allema-
gne, c’est aux gouvernements de pren-
dre en charge u ne partie des salaires »,
considère Philippe Martin, direc-
teur général délégué du Conseil
d’analyse économique. Pour cet éco-
nomiste, « comme le coronavirus
touche d’abord quelques secteurs par-
ticuliers, il n’est pas impossible que
l’Etat soit obligé de venir à l’aide
d’entreprises. Dans ce cas, il faudrait
que la Commission européenne soit
plus souple dans l’acceptation des
aides d’Etat ».
« Dans un second temps, estime
Gilles Moec, chef économiste chez
AXA Investment Managers, il fau-
dra accompagner la reprise de l’acti-
vité par une relance budgétaire. Car

une partie du choc lié au coronavirus
sera permanente », explique-t-il.
Afin de donner plus de latitudes aux
politiques budgétaires nationales,
« le Pacte de stabilité et de croissance
européen prévoit expressément un
assouplissement des critères en cas de
crise », fait-il valoir. Avec tout de
même un problème que pointe
Patrick Artus, chef économiste de
Natixis, « puisque les déficits publics
et l’endettement public des pays déve-
loppés sont élevés, puisque les taux
d’intérêt sont bas, la capacité de réac-
tion des pays de l’OCDE à un choc
négatif non anticipé de croissance est
très limitée ».
La capacité d’action des autorités
est peut-être limitée, mais elle n’est
pas nulle. Les taux sur la dette publi-
que italienne ont certes grimpé dès
l’annonce du plan de soutien de
l’activité de 3,6 milliards d’euros,
mais l’Etat italien continue à se
financer sur les marchés à des taux
faibles. Et, « même si le taux de dépôt
de la Banque centrale européenne est
aujourd’hui négatif, la BCE dispose
d’armes. Elle pourrait, par exemple,
engager un programme de prêts à
court terme aux banques de la zone
euro conditionnés à leur financement
de PME. Cela permettrait aux établis-
sements financiers de respecter leurs
ratios de liquidité », propose Agnès
Benassy-Quéré, professeur à l’Ecole
d’économie de Paris.
—Guillaume de Calignon

Des futurs plans de soutien à l’activité


en deux temps


Pour les économistes,
l’urgence est de permettre
aux entreprises de survivre.
Dans un second temps,
il sera nécessaire d’utiliser
la politique budgétaire
pour atténuer le choc.


Richard Hiault
@RHIAULT

Après le geste surprise de la
Réserve fédérale américaine qui a
assoupli sa politique monétaire, il
revient à l’Europe d’adopter des
mesures pour contrer les effets de
la crise du coronavirus sur l’acti-
vité. Les ministres des Finances de
la zone euro doivent s’entretenir
téléphoniquement, mercredi à
14 heures, sur le sujet. La pression
est au maximum au regard de la
réaction des marchés a près la con-
férence téléphonique, mardi, des
ministres des Finances du G7. La
publication d’un communiqué
laconique indiquant leur engage-
ment d’utiliser « tous les instru-
ments de politique appropriés pour
obtenir une croissance durable et
soutenable [...] » n’avait pas con-
vaincu les investisseurs.

Prévisions à la baisse
La référence des ministres à des
mesures budgétaires « là où c’est
approprié » pour répondre au défi
du coronavirus n’avait pas plus
convaincu. Avant que la banque
centrale américaine ne vienne à la
rescousse. Les Européens sont

dans les premières lignes du com-
bat contre l’épidémie. Lundi,
l’Organisation de coopération et
de développement économiques
(OCDE) a revu à la baisse d e 2,9 % à
2,4 % ses prévisions de croissance
mondiale p our 2020. La zone euro
est seulement créditée de 0,8 %
avec une Italie en stagnation.

Les marges de manœuvre euro-
péennes sont limitées. Les taux
d’intérêt de la Banque centrale
européenne (BCE) sont déjà très
faibles. De possibles réponses
seront discutées le 12 mars lors du
prochain Conseil des gouverneurs.
La BCE est prête à soutenir l’écono-
mie, mais il faut aussi que les gou-
vernements qui disposent de mar-
ges budgétaires agissent, a
souligné François Villeroy de Gal-
hau dans une interview mardi au
quotidien néerlandais « De Tele-
graph ». Aussi, c’est sur le plan bud-
gétaire que la réponse des Euro-
péens devrait porter. « Nous aurons
des réponses coordonnées, fortes,

rapides, face cette crise », a assuré
mardi, le ministre des Finances
français, Bruno Le Maire.
Dans la lignée de ce qu’a recom-
mandé l’OCDE lundi, il a appelé
Bruxelles à la « compréhension » et
à la « souplesse » sur les règles bud-
gétaires, affirmant que certaines
mesures décidées par les Etats peu-
vent être coûteuses pour les finan-
ces publiques. « On ne doit pas se
sentir empêché dans un moment (...)
où il y a un besoin de soutien total
aux acteurs économiques [...], on ne
doit pas être entravé par des règles
qui feraient qu’on serait là à compter
notre soutien aux PME, aux arti-
sans, aux commerçants », a-t-il dit
mardi après une réunion avec les
acteurs économiques français.

Réticences allemandes
« L’Union européenne est prête à
utiliser tous les outils à sa disposi-
tion si et quand cela sera nécessaire
pour préserver notre croissance »,
avait indiqué lundi le commis-
saire aux Affaires économiques,
Paolo Gentiloni. Le même jour, à
Berlin, la rencontre entre Bruno
Le Maire et son homologue alle-
mand, Olaf S cholz, a permis d’évo-
quer ce sujet. L’Allemagne est réti-
cente à tout assouplissement des
règles budgétaires européennes,
insistant sur le fait que ses finan-
ces publiques lui permettraient de
réagir. Les discussions, mercredi,
promettent d’être délicates.

(


Lire l’éditorial
d’Elsa Conesa
Page 16

L’ Europe attendue au tournant


sur ses réponses à la crise


Les ministres des Finances
de la zone euro s’entretien-
nent ce mercredi sur
les mesures à prendre.
Les marges de manœuvre
monétaires européennes
sont limitées. Paris milite
pour plus de souplesse et
de flexibilité budgétaire.

Les taux d’intérêt de
la Banque centrale
européenne sont
déjà très faibles.

Aussi, c’est sur
le plan budgétaire
que la réponse
des Européens
devrait porter.

ÉVÉNEMENT


Mercredi 4 mars 2020Les Echos

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