Les Echos - 04.03.2020

(Darren Dugan) #1

04 // ÉVÉNEMENT Mercredi 4 mars 2020 Les Echos


RETROUVEZDOMINIQUESEUX
DANS «L’ÉDITOECO »
À7H
DULUNDIAUVENDREDI

SUR


Au t otal, 400 élèves sont touchés par
ces écoles fermées, selon le maire
sans étiquette Dominique Sma-
guine, qui a toutefois décidé de
maintenir un service exceptionnel
d’accueil pour les parents qui n’ont
pas de solution de garde. « Le droit de
retrait s’exerce dans le cadre d’un ris-
que ou d’un danger imminent, ce qui à
mon sens n’est pas le cas, estime-t-il.
Ce n’est pas comme si la toiture de
l’école s’écroulait. Mais je comprends
l’inquiétude des professeurs des éco-
les. Car le paradoxe, c’est que les ensei-
gnants qui habitent Crépy-en-Valois
et Lagny-le-Sec [deux communes qui
font partie du foyer de contamina-
tion, NDLR] n’ont pas le droit de venir
faire classe. Leurs collègues qui habi-
tent juste à côté de ce village sensible se
posent donc des questions. »
Le secrétaire départemental du
SNUipp-FSU de l’Oise, Pierre Ripart,
indique, de son côté, que les cas de
droit de retrait sont « principale-

ment » ceux d’enseignants « qui
vivent dans des communes limitro-
phes » du foyer de contamination.
« Mais l’émotion commence à gagner
des secteurs où il y a des cas de coro-
navirus, sans que l’Agence régionale
de santé » les ait qualifiés comme
foyers officiels. Pour Pierre Ripart,
« le manque de transparence et de
clarté participe à la psychose généra-
lisée q ui s’étend ». L e syndicaliste cite
le cas de Senlis : « Tous les militaires
qui travaillent sur la base de Creil –
d’où on pense que le virus est parti –
vivent à Senlis, où crèches, cantines et
activités périscolaires sont fermées,
mais pas les écoles. Cela nourrit
l’incompréhension générale. »

Autorisation spéciale
d’absence
Les cas de droit de retrait de l’Oise
sont, selon Pierre Ripart, « plutôt
dans les écoles que dans les collèges et
lycées ». Mardi soir, le rectorat de

l’académie d’Amiens n’était pas en
mesure de confirmer le nombre
d’enseignants concernés.
« La situation risque de se démul-
tiplier dans les jours à venir », pré-
vient Stéphane Crochet, secrétaire
général du SE-Unsa. Les syndicats
d’enseignants réclament des mesu-
res particulières pour les plus fragi-
les. « Il faudrait, pour ces personnes,
une attention particulière ou des
mesures spécifiques, confiait lundi
Benoît Teste, à la tête de la FSU. Elles
doivent pouvoir faire valoir leur droit
de retrait, dans des circonstances
qu’il faut définir. »
Au ministère de l’Education, on
s’en tient aux consignes publiées
dimanche soir : le droit de retrait
« ne devrait trouver à s’exercer q ue de
manière exceptionnelle et après exa-
men au cas par cas », en raison des
mesures qui ont été prises pour
« assurer la sécurité et préserver la
santé de ses personnels ».n

Dans l’Oise, « au moins vingt-cinq » enseignants concernés


Marie-Christine Corbier
@mccorbier


To ut a commencé, lundi, par une
dizaine d’enseignants de l’Oise qui
ont exercé leur droit de retrait.
Mardi, le principal syndicat du pre-
mier degré, le SNUipp-FSU, en
dénombrait « au moins vingt-cinq »
dans ce département.
Les premiers enseignants à avoir
exercé leur droit de retrait sont des
professeurs d’écoles du Plessis-Bel-
leville, commune limitrophe de
Lagny-le-Sec, qui appartient au pre-
mier foyer de contamination quali-
fié comme tel par le gouvernement.


Les premiers concernés
vivent dans des communes
limitrophes du foyer de
contamination. Mais les cas
sont en train de s’étendre
à d’autres localités, selon
le SNUipp-FSU.


Depuis dimanche, le musée du Louvre a fermé ses portes à la suite du droit de retrait invoqué par ses salariés. P hoto Rafael Yaghobzadeh/AP/Sipa


Leïla de Comarmond
@leiladeco


Ils tra vaillent au Louvre, i ls habitent
dans une commune de l’Oise identi-
fiée comme un foyer de contamina-
tion ou « cluster » de coronavirus,
ils sont chauffeurs de bus. Ces sala-
riés ont un point commun : tous
viennent d’invoquer leur droit de
retrait pour cesser le travail tout en
continuant à être rémunérés par
leur employeur. Avec le développe-
ment de l’épidémie, on pourrait
assister à une multiplication de ces
mises sous protection du Code du
travail. A tort ou à raison?
Si un salarié a « un motif raison-
nable de penser [qu’une situation de
travail] présente un danger grave et
imminent », il « peut se retirer d’une
telle situation ». C’est la loi. Avec le
Covid-19, ce qui est en cause, c’est le
risque médical de contagion. Or « il
y a peu de jurisprudence et surtout,
elle est peu transposable », souligne
Jean-Paul Teissonnière, avocat spé-
cialisé sur les questions de santé au
travail côté salariés. « A ma connais-
sance, c’est la première fois qu’une
épidémie de cette ampleur touche la


France, on ne peut donc pas raison-
ner par analogie avec un précédent »,
note Cédric Jacquelet, avocat côté
employeur chez Proskauer Rose.
Une chose est sûre : « La perspec-
tive d’une épidémie ne donne pas au
salarié un droit de retrait généra-
lisé », insiste Jean-Paul Teissonière.
Chaque situation doit donc être exa-
minée en fonction de ses spécifici-
tés. A cet égard, les directives de
l’Education nationale ont pu semer
la confusion. Le ministère l’a écrit
noir sur blanc : ses personnels rési-
dant dans un « cluster » « ne doivent
pas rejoindre [...] leur lieu de travail ».
Mais ce qui vaut pour eux et a con-
duit des collègues situés en limite de
zone à exercer leur droit de retrait
ne vaut pas pour les autres actifs.
Lundi, le secrétaire général de la
préfecture de l’Oise l’a confirmé lors
d’une réunion avec les s yndicats e t le
patronat du département. Aller tra-
vailler fait partie des « déplacements
strictement nécessaires » autorisés,
souligne le délégué général du
Medef Oise, Christophe Heymès.
« La formulation du Code du travail
est assez large, mais il faut effective-
ment que le risque soit en lien avec la

situation de travail du ou des sala-
riés », confirme Cédric Jacquelet.
Le cas des chauffeurs de bus tout
comme celui des personnels du
Louvre montre q ue cette probléma-
tique n’est pas simple. « Tout doit
s’examiner au cas par cas », s ouligne
Jean-Paul Teissonière. « Concer-
nant le Louvre, par exemple, on
pourrait se demander si le nombre de
personnes présentes simultanément

dans des espaces restreints et la diver-
sité de leurs provenances géographi-
ques ne constitue pas un facteur
d’aggravation du risque », précise
Cédric Jacquelet.
Il soulève cependant la question
de la gravité du risque encouru. Le
Covid-19 est dangereux pour les p lus
fragiles. Un salarié souffrant d’une

pathologie pulmonaire pourrait
ainsi être légitime à faire valoir son
droit de retrait et pas ses collègues.
« En tout cas, si tant est que l’em-
ployeur soit informé de cette fragilité,
je conseillerais d’adapter le poste pour
empêcher tout contact avec le virus »,
indique un responsable patronal.

Droit d’alerte des salariés
Le droit de retrait n’exonère pas en
effet l’employeur de ses responsabi-
lités en matière de santé au travail,
où il a une obligation de résultat. Ce
n’est donc pas un hasard si le droit
de retrait accompagne un droit
d’alerte des salariés. Le Code du tra-
vail p récise que « le travailleur alerte
immédiatement l’employeur de
toute situation de travail dont il a un
motif raisonnable de penser qu’elle
présente un danger grave et immi-
nent pour sa vie ou sa santé ». Et
« dans la mesure où un risque existe,
l’employeur est tenu de procéder à
son évaluation et de prendre les
mesures pour sinon le supprimer, le
réduire au plus bas niveau pour
offrir au salarié d es conditions de tra-
vail normales », explique Jean-Paul
Teissonnière.n

lSi un salarié a « un motif raisonnable de penser qu’une situation de travail


présente un danger grave et imminent », il peut se retirer, dit le Code du travail.


lChaque situation doit être examinée en fonction des conditions spécifiques


de travail du salarié, voire de son état de santé.


Les conditions du droit


de retrait pour les salariés


Les fonctionnaires de
l’Education nationale
résidant dans un
« cluster » ne doivent
pas rejoindre leur
lieu de travail.

nons tous les stocks et la produc-
tion de masques de protection.
Nous les distribuerons aux pro-
fessionnels de santé et aux Fran-
çais atteints par le coronavi-
rus », a surenchéri Emmanuel
Macron via Twitter. Les réser-
ves stratégiques sont estimées
à 160 millions de masques.
Pour les semaines à venir,
une commande de 200 millions
d’unités supplémentaires a été
lancée. L’épidémie « va d urer des
semaines et même sans doute des
mois », par conséquent, « nous
sommes et nous serons mobilisés
dans la durée », a déclaré le chef
de l’Etat mercredi lors de sa
visite au centre des urgences
sanitaires (Corruss).
Néanmoins, les profession-
nels de santé s’inquiètent des
vols de masques ou de solution
hydroalcoolique : pour éviter le
chapardage à l’entrée d es
chambres, ils sont obligés de
centraliser le matériel dans des
salles réservées au personnel,
ce qui désorganise leur travail.
Malgré cette précaution,
2.000 unités ont été dérobées
dans un hôpital de Marseille.

Manque de prévoyance
Ces masques chirurgicaux per-
mettent de ne pas contaminer
les autres, mais pour se proté-
ger soi-même, il faut des modè-
les plus sophistiqués. Et ces
masques FFP2 sont réservés
aux services de réanimation ou
d’infectiologie. « Si le nombre de
cas explose, les patients vont
déborder dans d’autres services,
or nous ne sommes pas équi-
pés », s’insurge Thierry Amou-
roux, président du Syndicat
national des professionnels
infirmiers, qui n’exclut pas que
certains soignants puissent
exercer leur droit de retrait à
l’avenir. « La grippe fait
10.000 morts par an, nous savons
relativiser. Mais nous n’accep-
tons pas de ne pas disposer du
matériel adapté dans la cin-
quième puissance mondiale »,
proteste cet infirmier parisien,
fustigeant le manque de pré-
voyance du gouvernement.n

Solveig Godeluck
@Solwii

Renforcer l’hôpital pour qu’il
tienne bon face au coronavirus.
Alors que l’épidémie gagne le
pays, le ministre d e la Santé, Oli-
vier Véran, a annoncé mardi
matin le déblocage de 260 mil-
lions d’euros pour les établisse-
ments. Il ne s’agit pas d’une
ligne budgétaire supplémen-
taire, mais du reliquat des cré-
dits hospitaliers mis en réserve
pour l’exercice 2019. A l’au-
tomne, 415 millions de crédits
avaient déjà été dégelés par la
précédente ministre de la
Santé, Agnès Buzyn.

Des moyens financiers qui
tombent à pic, alors que les
157 hôpitaux de référence con-
tre le coronavirus sont actuelle-
ment sur le pied de guerre.
S’agit-il d’un signe annoncia-
teur de la volonté du gouverne-
ment d’aller plus loin et de révi-
ser l’enveloppe budgétaire des
hôpitaux pour 2020? Ce n’est
pas le sentiment qui domine à la
Fédération hospitalière de
France, où l’on rappelle que les
cr édits hospitaliers sont désor-
mais programmés sur trois ans.

Vols de masques
Dans l’immédiat, l’hôpital a
surtout besoin de matériel
pour travailler. Olivier Véran a
annoncé le prélèvement de
15 millions de masques anti-
projections dans les stocks
constitués par l’Etat, afin de les
distribuer, dans les pharmacies
et les hôpitaux, aux profession-
nels de santé et aux personnes
à risque. « Nous réquisition-

Les derniers crédits de
2019 pour l’hôpital ont
été dégelés. Les établis-
sements vont pouvoir
s’approvisionner en
masques chirurgicaux.
Cependant, le personnel
soignant s’inquiète
du rationnement
des modèles les plus
sophistiqués.

Des moyens


supplémentaires


mobilisés


pour l’hôpital


Ces moyens
financiers tombent
à pic, alors que les
157 hôpitaux de
référence contre
le coronavirus sont
sur le pied de guerre.

S’agit-il d’un signe
annonciateur
de la volonté du
gouvernement de
réviser l’enveloppe
budgétaire des
hôpitaux pour
l’année 2020?

« La grippe fait
10.000 morts par
an, nous savons
relativiser. Mais
nous n’acceptons
pas de ne pas
disposer du
matériel adapté
dans la
cinquième
puissance
mondiale. »
THIERRY AMOUROUX
Président du Syndicat
national des professionnels
infirmiers
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