Le Monde - 14.03.2020

(WallPaper) #1

10 |coronavirus SAMEDI 14 MARS 2020


0123


RÉCIT


T


out sera mis en œuvre
pour protéger nos sala­
riés et pour protéger nos
entreprises quoi qu’il en
coûte », a promis Emmanuel Ma­
cron lors de son allocution sur le
coronavirus, jeudi 12 mars. Une
annonce alors que la pandémie a
déjà contraint 3 600 entreprises à
mettre en place des mesures de
chômage partiel. Soit quatre fois
plus qu’en fin de semaine der­
nière. Aujourd’hui, environ
60 000 salariés français sont
concernés.
Le président de la République a
annoncé pour « les jours à venir »,
« un mécanisme exceptionnel et
massif de chômage partiel » allant
« plus loin » que les mesures ac­
tuelles. L’idée est de maintenir les
niveaux de salaire même au chô­
mage partiel. Ce dispositif per­
met d’éviter les licenciements en
cas de baisse d’activité, l’Etat pre­
nant en charge l’indemnisation
des salariés. Selon la ministre du
travail, Muriel Pénicaud, la situa­
tion est particulièrement inquié­
tante dans quatre secteurs : le tou­
risme, la restauration, l’événe­
mentiel et les transports.
Gérant de L’Aunette Cottage, pe­
tit hôtel de quatorze chambres à
Chamant, dans l’Oise, Jean­Phi­
lippe Aelvoet évoque une « catas­
trophe ». « Pour le mois de mars,
on était complet de chez complet.
En avril, quasi. On comptait dessus
pour rattraper l’hiver, compromis

par les grèves. » Mais voilà que, le
26 février, le premier décès dû au
coronavirus en France est un ha­
bitant du département. « Dès le
lendemain, les gens ont com­
mencé à annuler. Je n’ai plus de ré­
servation pour mars, et on com­
mence à avoir beaucoup d’annula­
tions en avril », se désole M. Ael­
voet, qui a mis ses deux salariés
en chômage partiel.

Mesures d’aides
Avec 25 000 euros de charges
mensuelles, sa trésorerie s’en­
fonce dans le rouge. « Je suis
à moins 15 000 euros, et encore
parce que mes parents m’ont prêté
de l’argent. A cette heure, personne
d’autre ne m’a aidé financière­
ment. » Il loue, cependant, les pre­
mières mesures d’aides annon­
cées par Bercy, notamment le re­
port des cotisations sociales et
des impôts.
« C’est comme si l’Oise était un
département pestiféré !, constate
de son côté Pierre Robert, pro­
priétaire de l’Hôtel Le Chenal, à
Beauvais. Les groupes ne veulent
plus venir, congrès et formations
sont annulés. On souffre plus de la
psychose que du virus! » Selon
une enquête de la Confédération
des petites et moyennes entre­
prises (CPME), 72 % des sociétés
de l’Oise subiraient une perte
d’activité.
Jeudi, la région Hauts­de­France
a annoncé le déblocage d’un
fonds de 50 millions d’euros pour
aider les commerçants, les arti­

sans et les entreprises en diffi­
culté. Délais de paiement ou
prêts, des mesures d’urgence ont
également été prises par les ré­
gions Grand­Est, Auvergne­Rhô­
ne­Alpes ou Occitanie.
En Ile­de­France, les entrepre­
neurs les plus affectés pour
l’heure sont ceux qui travaillent
avant tout avec les entreprises.
C’est le cas de Thomas Traiteur,
quarante salariés, installé à Cour­
bevoie, dans les Hauts­de­Seine.
Les entreprises de la Défense
constituent 80 % de son chiffre
d’affaires. Evénements, cocktails
et séminaires ont été rayés des
calendriers des prochaines se­
maines. « La situation est
d’autant plus compliquée pour
nous que l’on sort d’une procédure
de redressement judiciaire, et
donc la demande de remise de
dette d’un an a été refusée », dé­
plore Marie Favre­Félix, la direc­
trice commerciale.
Dimitri Heidet, lui, est à son
compte et propose des sessions
ludiques de team building aux so­
ciétés autour du thème du choco­
lat. Il va de soi que, par temps de

coronavirus, l’heure est plutôt au
télétravail qu’aux réunions de co­
hésion d’équipe. De sorte qu’avec
un chiffre d’affaires à zéro et un
mois de trésorerie devant lui le
jeune homme se retrouve à de­
voir faire le dos rond. Tout en se
félicitant au moins de n’avoir pas
contracté de crédit : « Si je meurs,
au moins je ne laisserai pas de
dette », ironise­t­il.
Le smartphone de Christophe,
45 ans, maître d’hôtel chez des
traiteurs dans l’événementiel vi­
bre d’un nouveau message : « Et
voilà, nouvelle annulation samedi
de l’ordre des avocats », se lamen­
te­t­il. « Je devais bosser cent tren­
te­huit heures ce mois­ci. Bilan : je
vais faire zéro », calcule­t­il. A ses
côtés, Laurent, 48 ans, maître
d’hôtel lui aussi, égraine les con­
trats qui s’envolent : « Depuis
qu’ils ont annoncé l’interdiction
des grands rassemblements, ça
n’arrête plus. »
Les deux hommes sont em­
ployés en CDD d’usage, ce qu’on
appelle des « extras » ou « permit­
tents » qui alternent contrats
courts et période d’inactivité,

courants dans ce secteur. « Ils
vont aider les entreprises, permet­
tre du chômage partiel pour les
CDI. Mais nous, les vacataires,
quand on nous annule, il n’y a pas
de chômage partiel, on touche
zéro! », souligne Christophe. C’est
aussi le souci d’Hermine Mauzé,
fondatrice de Yunikon Produc­
tion, une société de production
qui travaille avec une poignée de
grands groupes où « tout est gelé
jusqu’à nouvel ordre ». « Si besoin,
je peux mettre certains salariés en
chômage partiel, mais, en ce qui
me concerne, si l’activité s’arrête,
je n’ai droit à rien, pas de chô­

mage, ni aucune aide particu­
lière », dit­elle.
Dans ce contexte, Christophe
s’affole de l’entrée en vigueur, au
1 er avril, des nouvelles règles de
calcul des indemnités chômage,
très pénalisantes pour les « per­
mittents », selon une étude d’im­
pact diffusée par l’Unédic. Le
montant de l’indemnité sera cal­
culé sur le revenu moyen men­
suel et non plus sur les seuls jours
travaillés. « Si on ne peut plus tra­
vailler pendant trois mois, com­
ment renouveler nos droits?
Quelle sera notre indemnité? »,
s’interroge le maître d’hôtel, qui
tente de mobiliser sa profession
sur ces questions.
Cette semaine, la CFDT, la CGT,
FO, la CFE­CGC et l’UNSA ont de­
mandé au gouvernement de re­
noncer à ces nouvelles règles
d’indemnisation des deman­
deurs d’emploi. Interrogée jeudi
12 mars sur LCI, la ministre Mu­
riel Pénicaud est restée évasive,
évoquant des annonces dans les
prochains jours.
aline leclerc
et béatrice madeline

Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, rend visite aux traiteurs de Butard Enescot, à Colombes, jeudi 12 mars. ERIC PIERMONT/AFP

« C’est comme
si l’Oise était
pestiférée!
On souffre plus
de la psychose
que du virus! »
PIERRE ROBERT
hôtelier à Beauvais

« Je devais bosser


138 heures


ce mois­ci, je vais


faire zéro! »


Hôteliers, entrepreneurs


et salariés dans l’événementiel


évoquent « une catastrophe »


Les hôteliers et tour­opérateurs de plus en plus fragilisés


L’interdiction de l’accès des Européens aux Etats­Unis menace la venue des Américains sur le Vieux Continent et l’activité des voyagistes


U


ne catastrophe! » C’est
ainsi que voyagistes et
hôteliers français ont
réagi, jeudi 12 mars, quelques
heures après la décision de Do­

nald Trump d’interdire l’accès des
Etats­Unis aux Européens « pour
les trente prochains jours ». Une
mesure, a­t­il dit, destinée à limi­
ter la propagation du Covid­19,

qualifié de « virus étranger ». La
mesure du président américain,
critiquée par l’Union euro­
péenne, va aussi pénaliser l’acti­
vité touristique de son pays (11 %
des visiteurs internationaux), qui
n’a cessé de perdre des parts de
marché depuis cinq ans. Ven­
dredi 13 mars, Disney a annoncé
la fermeture de ses parcs aux
Etats­Unis et en France, l’une des
premières destinations touristi­
ques en Europe.

« La pire des dispositions »
Face à l’urgence de la situation, le
secrétaire d’Etat aux affaires
étrangères chargé du tourisme,
Jean­Baptiste Lemoyne, devait re­
cevoir, vendredi 13 mars au matin,
les responsables d’un secteur pe­
sant plus de 7 % du produit inté­
rieur brut et représentant 1,2 mil­
lion d’emplois (équivalents
temps­plein). C’est un nouveau
coup porté à des entreprises alors
qu’elles sont déjà fragilisées par le
tarissement des flux en prove­
nance ou à destination de l’Asie.
Or, l’Amérique du Nord et certains
pays d’Amérique latine étaient de­
venus les rares destinations loin­
taines encore accessibles. Ils cons­
tituent à eux seuls un marché
considérable pour les tour­opéra­
teurs français, qui y connaissait
une croissance à deux chiffres.

« C’est la pire des dispositions
pour nous, a déclaré à l’AFP René­
Marc Chikli, président du SETO, la
fédération des tour­opérateurs
regroupant l’essentiel de la pro­
fession. C’est la catastrophe, on se
demande ce qu’il nous reste à ven­
dre comme destinations. » Jean­
Pierre Mas, président des Entre­
prises du voyage (EdV), qui repré­
sente les agences de l’Hexagone,
juge la situation « très inquié­
tante », surtout pour les sociétés
ayant besoin d’un flux de trésore­
rie permanent.
« Si cela dure plus d’un mois, pré­
vient­il, il y aura de la casse. » Car
ce sont 180 000 à 200 000 Fran­
çais par mois qui se rendent
outre­Atlantique à cette période
de l’année. M. Mas ne décolère
pas contre le président américain.
« Dans sa décision, il y a un côté
plus que punitif économiquement,
je dirais raciste, à l’encontre des
Européens et des Chinois, dénon­
ce­t­il. Comme si le virus allait s’ar­
rêter aux frontières! »
La décision de M. Trump a été
renforcée par les consignes du dé­
partement d’Etat, qui exhorte les
citoyens à éviter tout voyage à
l’étranger. Les hôteliers français,
et surtout franciliens, redoutent
donc une désaffection brutale des
Américains, premier contingent
de touristes étrangers en Ile­de­

France, devant les Chinois, avec
2,6 millions d’arrivées en 2019.
« Cinq millions d’Américains sont
venus en France. Ils représentent la
clientèle internationale long­cour­
rier la plus importante, rappelle
Roland Héguy, président de
l’Union des métiers et des indus­
tries de l’hôtellerie. Les préconisa­
tions du département d’Etat vont
aggraver la situation, et d’autres
pays suivront cette mesure. L’im­
pact économique sera considéra­
ble. » Il suggère que les deux plus
grandes plates­formes – améri­
caines – de réservation en ligne,
Booking et Expedia, fassent un
geste : « A minima, réduire le mon­
tant des commissions prélevées
sur nos hôteliers. »

Eviter « des dépôts de bilan »
Confrontés à des « demandes
massives de remboursement en
numéraire, justifiées ou non », les
tour­opérateurs (SETO) et les
agences de voyages (EdV) récla­
ment aussi, dans une lettre adres­
sée à MM. Le Maire et Lemoyne,
un « dispositif exceptionnel » des­
tiné à éviter « des dépôts de bilan
immédiats » et « une importante
destruction d’emplois ». Pour M.
Chikli et M. Mas, il est impératif
de « maintenir en vie les entrepri­
ses les plus fragiles ». D’ores et
déjà, le gouvernement a annoncé

des reports de charges sociales et
fiscales par un simple envoi de
mail, l’annulation d’impôts au
cas par cas. Ou le renforcement et
l’accélération de la procédure de
chômage partiel annoncés par la
ministre du travail, Muriel Péni­
caud, et confirmé par le président
de la République jeudi soir. De
son côté, le ministre de l’écono­
mie, Bruno Le Maire, a promis la
création d’un fonds de solidarité
pour les entreprises les plus vul­
nérables et le relèvement de la ga­
rantie de Bpifrance de 70 % à
90 % des prêts souscrits. « Il faut
maintenant travailler sur un
plan de relance avec Bpifrance »,
souligne M. Mas.
Les géants de l’hôtellerie eux­
mêmes ne sont pas immunisés.
L’annonce de M. Trump a fait re­
culer de 7 % à 12 % le cours des ac­
tions de Marriott, Hilton et Inter­
continental. Le titre du numéro 6
mondial, le français Accor, a dé­
croché de 29,5 % en cinq jours − et
de 13,5 % pour la seule journée de
jeudi. Le groupe avait annoncé,
mercredi 11 mars, un « net repli »
de son activité en janvier­février.
Et, depuis fin février, il accuse
« une forte accélération de la
baisse d’activité en Europe », no­
tamment en Italie, en France et en
Allemagne.
jean­michel bezat

Chaque samedi


20H –21h


Aurélie
Luneau

L’esprit
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