Le Monde - 14.03.2020

(WallPaper) #1

14 |coronavirus SAMEDI 14 MARS 2020


0123


BCE : Lagarde


en appelle à


la responsabilité


des Etats


La présidente de la Banque centrale


européenne, qui estime que le choc


de la pandémie sera « majeur », demande


aux gouvernements d’user massivement de


l’arme budgétaire pour soutenir l’économie


londres ­ correspondance

F


ace à une salle de presse à moitié
vide, de nombreux journalistes
n’ayant pas pu se déplacer pour
cause de coronavirus, Christine
Lagarde a lancé, jeudi 12 mars, un
appel à l’aide.
La pandémie se répandant, la présidente de
la Banque centrale européenne (BCE) de­
mande aux gouvernements européens
d’agir d’urgence pour soutenir l’économie et
les entreprises. « La réponse doit d’abord être
budgétaire. Il ne faut pas s’attendre à ce que
les banques centrales soient la première ligne
de défense. » Laissant de côté tout langage di­
plomatique, elle ne cache pas son exaspéra­
tion face à la faiblesse des réactions jusqu’à
présent. « En additionnant les différentes me­
sures prises dans la zone euro, on atteint
27 milliards d’euros. C’est un quart de 1 % du
produit intérieur brut [PIB]. O.K.? C’est pour
ça qu’on en appelle à une réponse budgétaire
ambitieuse et collective. »
Alors qu’elle parlait, les marchés dévis­
saient. Choqués par l’annonce unilatérale du
président américain, Donald Trump, d’inter­
dire les liaisons aériennes depuis l’Europe
vers les Etats­Unis, les investisseurs poursui­
vaient leur fuite vers les valeurs refuges tra­
ditionnelles, notamment les obligations
d’Etats jugées « sûres ».
Le taux allemand à dix ans reste ainsi
autour de – 0,8 %, proche du plus bas de son
histoire. En revanche, l’inquiétude entoure
les obligations italiennes, avec un taux qui
s’est brusquement tendu à 1,7 %, contre 1 % le
3 mars.
Quant aux marchés boursiers, ils ont
connu une nouvelle journée noire : – 12,3 %
pour le CAC 40, – 16,9 % pour le FTSE MIB,

l’indice de la Bourse de Milan, ce qui repré­
sente le pire recul en un jour de l’histoire des
deux Bourses.
Mme Lagarde a­t­elle donc échoué là où son
prédécesseur, Mario Draghi, avait réussi à
calmer les marchés en 2012, en promettant
de faire « tout ce qui serait nécessaire »
(« whatever it takes ») pour endiguer la crise
de la zone euro?
La BCE a bien annoncé, jeudi, une série de
mesures importantes. Elle n’a pas baissé son
taux de dépôt, qui était déjà à – 0,5 %, et elle
ne peut guère aller plus bas, mais elle a
fourni de nouvelles facilités de liquidités
pour financer les entreprises. En particulier,
les banques qui font des prêts aux entrepri­
ses, notamment aux PME, pourront désor­
mais se financer à long terme au taux de


  • 0,75 %, contre – 0,25 % actuellement. « Diffi­
    cile de battre ça », estime la présidente de la
    Banque centrale européenne.


« ÇA PEUT PRENDRE DU TEMPS »
La BCE va aussi intervenir plus fortement sur
les marchés, en achetant pour 120 milliards
d’euros supplémentaires d’obligations, vi­
sant notamment celles des entreprises (pro­
gramme dit de « QE », pour quantitative
easing). Cette enveloppe, qui vient s’ajouter à
celle de 20 milliards d’euros par mois, doit
être dépensée d’ici la fin de l’année.
Enfin, les banques de l’union monétaire
pourront réduire leurs fonds propres. La BCE
étant désormais le régulateur des grandes
institutions financières, elle a le contrôle des
« tampons contracycliques », qui obligent ces
entreprises à avoir plus de capitaux quand
l’économie va bien et permet de les réduire
en cas de crise. C’est ce que la BCE a fait, jeudi,
en leur permettant d’utiliser « pleinement »
ces tampons.

Ces annonces n’ont pourtant pas suffi. En­
tre la publication de ces mesures et la fin de
la conférence de presse de Mme Lagarde, les
marchés européens ont reculé de 4 % supplé­
mentaires. « Ça peut prendre du temps [avant
que les annonces soient bien comprises] »,
tentait de rassurer la présidente de la BCE.

QUELQUES PHRASES MALADROITES
En filigrane de ses déclarations, son vrai
message était cependant qu’il ne revient pas
à la Banque centrale de faire le travail, mais
aux pouvoirs exécutifs, que ce soient les
gouvernements des Vingt­Sept ou la Com­
mission européenne.
La crise actuelle n’est pas celle de 2008, qui
était issue de la finance. Le danger vient
aujourd’hui des entreprises, qui subissent
un violent choc de trésorerie. Il peut s’agir
d’un restaurant qui n’a plus de clients, d’un
tour­opérateur sans touristes ou d’une usine
qui ne peut pas obtenir les pièces détachées
nécessaires. Ces difficultés seront par nature
passagères, le temps que la pandémie se ré­
sorbe, mais elles peuvent suffire à couler de
nombreuses sociétés.
Dans ces circonstances, l’ampleur de la
crise économique à venir dépendra de « la vi­
tesse, la force et la coordination » des répon­
ses, estime Mme Lagarde. Elle va jusqu’à citer
précisément la date à laquelle elle souhaite
des annonces : « J’espère qu’à la réunion de
l’Eurogroupe [les ministres de l’économie de
la zone euro] lundi [16 mars], il y a aura une
action décisive. »
Mais Christine Lagarde a aussi inquiété les
marchés avec quelques phrases maladroites,

laissant l’impression que la BCE n’était pas
forcément derrière l’Italie. « Nous ne sommes
pas là pour réduire le spread [l’écart entre le
taux allemand et le taux italien], il y a
d’autres acteurs et d’autres outils pour ça. »
Quelques instants après sa conférence de
presse, elle a dû se rattraper avec une rapide
intervention à la télévision, soulignant que
le spread était bien sûr au cœur des soucis de
la politique monétaire. « Par ailleurs, Chris­
tine Lagarde a par inadvertance donné l’im­
pression que la boîte à outils de la BCE est lar­
gement vide », estime Olivier Rakau, écono­
miste à Oxford Economics.

AU MIEUX, LA CROISSANCE FRÔLERA ZÉRO
Certes, les mesures prises jusqu’à présent
par les gouvernements vont dans le bon
sens : autorisation de repousser le paiement
de cotisations sociales, de TVA ou d’impôts ;
garanties de l’Etat pour les entreprises qui
ont besoin de prêts de trésorerie ; aides aux
particuliers forcés d’arrêter de travailler...
Mais ces décisions sont pour l’instant limi­
tées et elles relèvent des Etats, pas de la BCE.
Mme Lagarde ne pouvait pas être plus claire.
Les gouvernements l’ont­ils entendue?
Sur le fond, la plupart des spécialistes sont
d’accord avec l’analyse de la présidente de
l’institution de Francfort. « La BCE joue son
rôle, estime Moritz Sterzinger, directeur de
Chatham Financial, une firme de conseil en
gestion des risques financiers. Mais comme
les autres banques centrales, Christine La­
garde et le conseil des gouverneurs ont dû re­
connaître que la politique monétaire ne peut
pas réparer les chaînes logistiques ou stimuler
la consommation quand les gens restent chez
eux de peur d’être contaminés. »
Mme Lagarde ajoute qu’il est désormais évi­
dent que le choc économique de la pandé­
mie sera « majeur ». Ses prévisions officielles
de croissance pour la zone euro, qui datent
d’avant la pandémie et ne sont plus à jour,
n’étaient déjà que de 0,8 % de croissance
pour 2020. Au mieux, la croissance de
l’union monétaire va donc frôler zéro.
En attendant, Mme Lagarde va aussi s’occu­
per du coronavirus de façon concrète dans
son institution à Francfort, où une per­
sonne a été testée positive à la maladie. Avec
son vice­président, Luis de Guindos, qui
était à ses côtés lors de la conférence de
presse, elle va désormais monter deux équi­
pes de direction séparées, qui ne se rencon­
treront pas, pour minimiser les risques de
contamination.
éric albert

ENTRE LA 


PUBLICATION DES 


MESURES ET LA FIN 


DE LA CONFÉRENCE 


DE PRESSE DE 


CHRISTINE LAGARDE, 


LES MARCHÉS


ONT ACCENTUÉ


LEURS PERTES


La présidente de la BCE, Christine Lagarde, à Francfort, jeudi 12 mars. KAI PFAFFENBACH/REUTERS

Les tests de résistance bancaire
reportés en 2021
L’Autorité bancaire européenne (EBA) a annoncé, jeudi
12 mars, le report en 2021 des tests de résistance ini-
tialement prévus cette année, afin de permettre aux
établissements bancaires de se concentrer sur les con-
séquences de l’épidémie de Covid-19. A défaut, le ré-
gulateur mènera cette année un exercice pour obtenir
des informations actualisées sur les expositions des
banques et la qualité de leurs actifs. L’EBA recom-
mande en outre aux superviseurs nationaux « de plani-
fier leurs activités de surveillance, y compris les inspec-
tions sur place, de manière pragmatique et souple, et
de reporter éventuellement celles qui sont jugées non
essentielles ». La Banque centrale européenne a, de
son côté, autorisé les banques de la zone euro à opé-
rer temporairement en dessous de certaines exigences
de fonds propres et de liquidité en vigueur.

APPRENTI SSAGE, CONTRATS COURTS

Il n’y apas queles CDI danslavie! Alors que lataxede 10 euros sur les CDD
d’usage estapplicableà partir de 2020 , lerecours de plusen plus fréquentdes
entreprisesaux contrats courts estsouvent dénoncé. Ces contrats etl’alternance
constituent-ilsune alternativeauxCDI ?Lapolitique devotre entreprise enla
matière a-t-elleévoluéces dernierstemps?

Rencontre animéeparGilles Van Kote,Le Monde
Enprésence de MonsieurGilbert Cette, éc onomiste

Evénement réservéaux DRH sur invitation auprèsderp@groupel emonde.fr

Le 24mars 2020 de 08h30 à 10h00 à Paris

Venezparticiperànotreprochainerencontre

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