Le Monde - 14.03.2020

(WallPaper) #1

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FRANCE


SAMEDI 14 MARS 2020

0123


Elections locales, enjeux nationaux ?


Une enquête Ipsos­Sopra Steria illustre l’attachement des Français au scrutin municipal


P


aradoxales municipales... Tous
les six ans, ce scrutin rythme la
vie politique locale. Dans les
isoloirs des 34 970 communes
de France, chacun peut confir­
mer son maire sortant ou voter
pour l’opposant du bout de la rue, se pronon­
cer sur l’aménagement du centre­ville ou
combattre le projet d’installation d’un inci­
nérateur. La démocratie de proximité par ex­
cellence. Et pourtant... Tous les six ans, les
municipales sont aussi les caisses de réso­
nance des tensions nationales. Comme si un
fil invisible reliait ces milliers de scrutins et
dessinait le paysage politique global du pays.
Le chef de l’Etat et sa majorité sortent­ils
renforcés ou affaiblis? Les partis désavoués à
la présidentielle vont­ils se refaire une
santé? Quelles forces émergent? Quelles
autres tombent, fauchées par le « déga­
gisme »? Au sortir de ces midterms à la fran­
çaise, le pouvoir en place est parfois relégi­
timé, souvent sanctionné, comme en 2008
avec de nombreuses victoires socialistes ou
en 2014 avec la « vague bleue ». Les municipa­
les, des élections locales aux multiples
conséquences nationales.

En 2020, le débat sur la réforme des retrai­
tes, puis une épidémie venue de Chine ont
perturbé les campagnes des 902 465 candi­
dats. Dans la dernière ligne droite avant le
premier tour du dimanche 15 mars, la pro­
pagation du coronavirus a obligé les têtes
de liste à tout bouleverser : annulation des
réunions publiques, visite des marchés
sans serrer les mains, live sur Internet plu­
tôt que porte­à­porte... Une campagne en
pointillé qui a même poussé l’exécutif à
s’interroger sur la possibilité de reporter ce
rendez­vous politique.
Une décision pas évidente à prendre. Car,
cette année encore, l’enquête Ipsos­Sopra
Steria pour Le Monde, le Cevipof et la Fonda­
tion Jean­Jaurès illustre à la fois l’attache­
ment des Français à cette élection (84 % des
sondés disent s’y intéresser) et à la figure du
maire (74 % des personnes interrogées lui
font confiance, bien loin devant le député ou
le sénateur, respectivement 39 % et 36 %).
Ce sondage réalisé sur un très large panel
de 8 218 personnes confirme également le
caractère profondément local de ce scrutin ;
20 % des sondés disent se déterminer en
fonction de la « situation politique natio­

nale » (80 % se positionnent en fonction des
questions de proximité). Dans ce contexte, le
vote sanction à l’égard de l’exécutif est mino­
ritaire ; 28 % des sondés affirment voter pour
exprimer leur opposition à Emmanuel Ma­
cron, 7 % pour le soutenir et 65 % ne choisis­
sent aucune de ces deux options.

PRIME AUX SORTANTS
A première vue, ce vote communal pourrait
même paraître dépolitisé. Seulement 7 %
des Français estiment qu’il est important
que le maire élu soit de la même sensibilité
politique que la leur, plaçant largement au­
dessus les critères d’honnêteté (67 %). Aussi,
88 % des sondés préfèrent que le locataire de
l’hôtel de ville « défende les intérêts des habi­
tants de la commune » et ils affirment se dé­
cider le jour du vote en fonction du « pro­
gramme annoncé par les candidats » (85 %),
du « bilan de l’équipe municipale sortante »
(81 %). A peine 53 % en fonction de l’étiquette
politique du candidat.
Attachement à la figure du maire, mé­
fiance vis­à­vis des questions nationales...
Dans ces conditions, il apparaît compliqué
de bousculer le jeu politique communal avec

une nouvelle force politique. Car, loin du dis­
crédit auquel sont confrontés les responsa­
bles politiques nationaux, le bilan des équi­
pes municipales est adoubé par les sondés.
Ainsi, 71 % des personnes interrogées esti­
ment « excellent » ou « bon » le travail de
l’équipe municipale sortante. Un satisfecit
qui diminue toutefois au fur et à mesure que
la taille de la ville augmente (seulement
60 % pour les villes de plus de 200 000 habi­
tants). Des données qui illustrent la « prime »
dont semblent bénéficier les maires sortants
dans les nombreux sondages réalisés dans
les grandes villes mais aussi la difficulté
d’implantation des candidats du parti prési­
dentiel La République en marche (LRM), sur­
tout dans les petites communes. 68 % des
sondés qui habitent une ville de moins de
2 000 habitants souhaitent une « victoire
pour la majorité qui dirige actuellement »
leur ville (seulement 49 % dans les commu­
nes de plus de 200 000 habitants.)
Au­delà de ces enjeux, les municipales re­
flètent aussi les thématiques qui agitent
l’ensemble du pays. Dans le sillage de plu­
sieurs enquêtes récentes qui montrent que
l’écologie devient une préoccupation ma­

20


80


La situation politique
au niveau national

La situation politique
au niveau local

Motivations du voteMotivations du vote
Part des sondés qui, pour déterminer
leur vote, tiendront compte avant tout de...
en %

65 %
ni l’un ni l’autre

7 %
votre soutien
à Emmanuel Macron
et son gouvernement

28 %
votre opposition
à Emmanuel Macron
et son gouvernement

Oui, plutôt Non, pas vraiment

« Par votre vote au premier tour des élections municipales,
vous comptez exprimer... »

« Lors des prochaines élections, votre opinion à l’égard de la politique
du président de la République et de son gouvernement va-t-elle jouer
un rôle au moment du choix du vote? »

36 %^64 %


Intérêt pour les municipalesIntérêt pour les municipales

84 %


des sondés sont intéressés
par les élections municipales
(+ 8 points par rapport à mars 2014)

16 %


des sondés ne sont pas intéressés
par les élections municipales
( 8 points par rapport à mars 2014)

Le maire, élu de confiance pour les citoyens


Infographie : Le Monde Source : sondage Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde, le Cevipof, la Fondation Jean-Jaurès

Méthodologie : enquête réalisée par Internet du 3 au 8 mars, auprès de 8 218 personnes inscrites sur les listes électorales, constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

74 %


des sondés accordent leur conance
au maire de leur commune
(+ 3 points par rapport à juin 2019)

Taux de conance accordée au maire,
selon la taille des communes,
en %

Conance accordée aux mairesConance accordée aux maires

Moins de
2 000 hab.

De 2 000 hab.
à 10 000 hab.

De 10 000 hab.
à 50 000 hab.

De 50 000 hab.
à 200 000 hab.

200 000 hab.
et plus

81

78

72

66

63

« Pour faire conance à un maire, qu’est-ce qui vous semble
le plus important? », en %

Qu’il soit honnête

Qu’il tienne
ses promesses

Qu’il connaisse bien
ses dossiers
Qu’il soit proche
des gens comme vous

Qu’il soit entreprenant

Qu’il soit de la même
sensibilité politique
que vous

67

48

36

28

13

7

Bilan de l’équipe sortanteBilan de l’équipe sortante

« Estimez-vous que l’équipe municipale de votre commune
a accompli, depuis qu’elle a été élue en 2014, un travail... »

71 % 29 %


Bon ou excellent Mauvais ou médiocre

AU SORTIR 


DE CES « MIDTERMS » 


À LA FRANÇAISE,


LE POUVOIR


 EN PLACE EST 


PARFOIS RELÉGITIMÉ, 


SOUVENT 


SANCTIONNÉ 


COMME EN 2008 


OU EN 


A droite comme à gauche, le maire bâtisseur est devenu gestionnaire


L’effet d’une bonne gestion locale sur l’intention de vote favorise le sortant, si l’électeur exprime déjà une sympathie partisane pour ce dernier


L


es maires achèvent un
mandat qu’une majorité
d’entre eux n’hésite pas à
qualifier de plus éprouvant de la
Ve République. Mais, paradoxale­
ment, les Français interrogés
dans l’enquête Ipsos­Sopra Steria,
pour Le Monde, le Cevipof et la
Fondation Jean­Jaurès, jugent po­
sitivement l’action de leurs édi­
les, au point que 60 % d’entre eux
déclarent vouloir reconduire
l’équipe municipale sortante.
Mais est­ce une condition suffi­
sante et nécessaire pour assurer
la victoire des milliers de candi­
dats en lice?
Tout d’abord, les électeurs attri­
buent des bons points à leur
maire sortant puisque 71 % jugent
leur bilan satisfaisant, chiffre qui
oscille entre 60 % pour les habi­
tants des très grandes villes (plus

de 200 000 habitants) et 77 %
pour les plus petites communes
(moins de 2 000 habitants). Ces
chiffres sont à peu près sembla­
bles à ceux mesurés en mars 2014.
Ensuite, la situation financière
des municipalités est jugée saine
pour près de quatre administrés
sur cinq, surtout dans les petites
et moyennes communes, car les
habitants des grandes villes sont
plus sévères. Ce résultat conforte
l’idée selon laquelle l’expression
de besoins insatisfaits dans les
grands ensembles urbains, là pré­
cisément où se concentrent pré­
carité économique et pauvreté
sociale, fragilise le bilan des mai­
res sortants.
Enfin, le débat parfois houleux
ces derniers mois entre le gouver­
nement et les maires autour de la
suppression de la taxe d’habita­

tion met en évidence un phéno­
mène déjà observé lors du grand
débat national. Les Français ex­
priment un fort consentement à
l’impôt local. Ce n’est donc pas
tant le ras­le­bol fiscal que les for­
mes d’injustice fiscale qu’ils
contestent. Ainsi, ils sont 62 % à
considérer que le montant des
impôts locaux est élevé mais sup­
portable, contre 27 % à le juger ex­
cessif et 11 % peu élevé.
Derrière la décision de suppri­
mer la taxe d’habitation se pose
l’enjeu de l’autonomie fiscale des
collectivités territoriales. Or, le
principe de responsabilité politi­
que implique de laisser au ci­
toyen­contribuable le soin de
sanctionner ou récompenser de
tels choix fiscaux. Aujourd’hui,
près de 70 % des personnes inter­
rogées considèrent que les im­

pôts locaux sont utilisés à bon es­
cient (seulement 54 % pour les ré­
sidents des métropoles).
Mais rappelons qu’un bon bilan
financier ne préjuge en rien des
chances de victoire du sortant. Le
scrutin municipal de 2014 a vu
nombre de maires affichant un
bilan honorable être battus, et
parfois dès le premier tour.

Budget stabilisé
Plusieurs travaux en économie
expérimentale ont d’ailleurs dé­
montré que l’effet d’une bonne
gestion locale sur l’intention de
vote favorise le sortant, seule­
ment et seulement si l’électeur
exprime déjà une sympathie par­
tisane pour ce dernier. Alors, si
beaucoup d’électeurs ont vu, ces
derniers mois, leur ville pertur­
bée par des travaux de voirie, ce

n’est que la manifestation d’un
phénomène bien connu. Il s’agit
du cycle électoral de la dépense
publique qui repose sur l’idée que
les sortants doivent marquer l’es­
prit de leurs administrés par la vi­
sibilité de leurs réalisations. Mais
le temps des grands chantiers de
développement est révolu.
Depuis la crise financière de
2008, l’effort budgétaire de­
mandé aux édiles par les gouver­
nements successifs s’est traduit
par un ralentissement des inves­
tissements locaux et une exi­
gence de réduction de l’endette­
ment municipal. De fait, les com­
munes ont vu leur budget se sta­
biliser. Cet effort s’est fait au prix
d’une baisse des dépenses d’in­
vestissement, en particulier en­
tre 2013 et 2015 (− 4 milliards
d’euros), et transforme la repré­

sentation du rôle du maire : de
bâtisseur, il est devenu gestion­
naire. Une telle évolution touche
l’ensemble des maires quelle que
soit leur famille politique.
L’ouvrage Villes de gauche, villes
de droite (Les Presses de Sciences
Po, 2018) mettait en évidence une
forte convergence voire une stan­
dardisation des pratiques de ges­
tion financière entre maires de
gauche et de droite.
Loin d’être un puissant mar­
queur idéologique, la perfor­
mance budgétaire des maires sor­
tants ne peut suffire à leur assu­
rer une victoire. En revanche, être
perçu comme mauvais gestion­
naire rend les chances de succès
encore plus faibles, notamment
dans les métropoles.
martial foucault
(directeur du cevipof)

M U N I C I P A L E S

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