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SAMEDI 14 MARS 2020 coronavirus | 3
L’exécutif maintient finalement les municipales
Selon l’Elysée, le choix du chef de l’Etat n’a été dicté que par des arguments « scientifiques » et non politiques
T
oute la journée, Emma
nuel Macron a hésité.
Avant de se raviser, au
dernier moment : fina
lement, les élections municipales
auront bien lieu comme prévu
les 15 et 22 mars. « Il est important
(...) d’assurer la continuité de notre
vie démocratique et de nos institu
tions », a déclaré le chef de l’Etat
lors d’une allocution télévisée,
jeudi 12 mars, à 20 heures.
Le président de la République a
dit avoir pris cette décision, en
s’appuyant sur l’avis de « scienti
fiques » pour qui « rien ne s’op
pose à ce que les Français, même
les plus vulnérables, se rendent
aux urnes » malgré l’épidémie
due au coronavirus. Pour autant,
lors des jours de scrutin, « il con
viendra de veiller au respect strict
des gestes barrières contre le vi
rus et des recommandations sa
nitaires », atil souligné, assu
rant faire « confiance aux maires
et au civisme de chacun ».
M. Macron a encore précisé que
« des consignes renforcées seront
données » dès vendredi, « afin que
nos aînés n’attendent pas long
temps, que des files ne se consti
tuent pas, que les distances soient
aussi tenues et que ces fameuses
mesures barrières soient bien res
pectées ». « Les médecins nous ont
dit qu’il n’y avait pas plus de dan
ger à aller voter que d’aller à la bou
langerie ou d’acheter des carottes
pour la soupe. La vie sociale limitée
ne remet pas en cause les élec
tions », justifieton à Matignon.
Jeudi, en début d’aprèsmidi, un
report des municipales a pour
tant bien été envisagé par l’exécu
tif. Après avoir répété ces derniers
jours qu’il était « hors de ques
tion » d’ajourner l’organisation de
ce scrutin, plusieurs macronistes
ont laissé penser qu’une telle op
tion était désormais possible. « Le
président ne l’exclut pas », a indi
qué un proche du chef de l’Etat.
« Ce n’est pas impossible », a expli
qué un autre. Un cadre de La Ré
publique en marche (LRM) a pris
moins de gants : « L’option du re
port est sur la table. »
Selon certains proches du chef
de l’Etat, c’est la quasidéclara
tion de guerre économique à
l’Europe de Donald Trump, qui a
annoncé dans la nuit de mer
credi à jeudi l’interdiction pour
trente jours de tous les vols en
provenance de l’espace Schen
gen, qui avait décidé M. Macron à
bouger. « Ce qui a changé, c’est
que la politique est entrée dans le
débat sanitaire, notamment au
niveau international », soufflait
jeudi un familier de l’Elysée. « Le
sujet Trump, cela change la
donne », abondait un ministre.
Comprendre : difficile pour la
France de donner le sentiment
d’être à la traîne par rapport à ses
alliés ou ses voisins européens.
« Le discours de différenciation de
la France ne doit pas apparaître
comme le discours de celui qui est
en retard », reconnaissait un pro
che du chef de l’Etat, jeudi en mi
lieu d’aprèsmidi. Quelques heu
res plus tôt, le chef du gouverne
ment avait annulé son dernier
meeting de campagne, censé se
tenir le soir même, au Havre. Le
président du MoDem, François
Bayrou, en avait fait de même à
Pau. Un signe?
« Pain bénit pour les extrêmes »
Sentant le vent tourner, l’opposi
tion a fait pression sur l’exécutif
pour obtenir un maintien, coûte
que coûte, du scrutin. Pas ques
tion de reporter cette échéance,
lors de laquelle Les Républicains
(LR), le Parti socialiste, le Rassem
blement national (RN) ou les éco
logistes espèrent réaliser une per
formance, alors que les sondages
prédisent une défaite à la majo
rité. Dès la réunion organisée à
Matignon par le premier ministre,
Edouard Philippe, dans la mati
née, avec l’ensemble des responsa
bles de partis, d’association d’élus
et des groupes parlementaires, ces
derniers ont fait valoir leur posi
tion. Devant eux, le chef du gou
vernement s’est bien gardé d’évo
quer l’hypothèse d’un report. A la
sortie, chacun a compris que le
scrutin se tiendrait. « Ce n’est pas
maintenant que la mécanique va
s’arrêter, à trois jours de l’élection »,
a assuré Dominique Bussereau,
président de l’Association des dé
partements de France.
Alors que la rumeur d’un report
enflait dans la journée, l’opposi
tion a haussé le ton. « Si c’était le
cas, c’est un coup d’Etat, c’est un
coup de force institutionnel, c’est
l’utilisation de la crise sanitaire
pour éviter une débâcle électo
rale », a ainsi accusé le président
de LR, Christian Jacob. Une posi
tion défendue par le président du
Sénat, Gérard Larcher, lors d’un
entretien téléphonique avec
M. Macron en fin d’aprèsmidi,
appuyée dans les médias par des
responsables du RN, du Parti com
muniste, ou encore de La France
insoumise. Lors de son allocution,
M. Macron a d’ailleurs mis en
avant « la volonté » exprimée par
l’ensemble de l’opposition de ne
pas reporter ces élections.
Mais, vendredi matin, l’Elysée a
fait savoir que la décision prési
dentielle n’avait été dictée que
par des arguments scientifiques.
Traduire : ni l’opposition ni
même le Conseil constitutionnel
- qui indique au Monde ne pas
avoir été consulté par le chef de
l’Etat – n’ont pesé sur le choix de
M. Macron. « Les scientifiques ont
eu le dernier mot, explique son
entourage. Il n’y a eu sur cette dé
cision ni l’ombre de Gérard Lar
cher ni celle de Laurent Fabius
[président du Conseil constitu
tionnel], et encore moins celle de
François Baroin. »
Sauf que dans son propre camp,
plusieurs macronistes histori
ques – conseillers, ministres ou
députés – ont aussi fait savoir,
jeudi aprèsmidi, qu’ils étaient ré
solument contre un report des
municipales. « On a été plusieurs
à mettre la pression à l’Elysée », as
sure un dirigeant de la majorité.
Avec un argument principal : « Si
on reporte, ce serait du pain bénit
pour les extrêmes, afin de crier à la
manipulation. »
Tout au long de la journée, des
membres du gouvernement et de
la majorité ont argumenté sur
« l’importance » de maintenir le
scrutin. « Il y a 10 000 morts par
an de la grippe. On n’arrête pas le
pays pour autant. On ne vit pas la
seconde guerre mondiale! », insis
tait un secrétaire d’Etat. Quelques
jours plus tôt, le ministre des
comptes publics, Gérald Darma
nin, faisait d’ailleurs la remarque
au premier ministre que « même
lors de la guerre d’Algérie, aucune
élection n’a jamais été reportée ».
Reste à voir si les mêmes ne re
gretteront pas, dans quelques se
maines, d’avoir plaidé en faveur
d’une mesure qui pourrait per
mettre au virus de se propager.
Un choix cornélien, à haut risque.
« De toute façon, on a que des
mauvaises solutions, résumait un
proche de M. Macron, avant l’allo
cution du chef de l’Etat. Si on re
porte l’élection, on nous accusera
de vouloir gagner du temps car on
nous prédit une défaite ; si on
maintient, on nous accusera de ne
pas avoir pris la mesure de la gra
vité de l’épidémie... »
olivier faye,
alexandre lemarié,
cédric pietralunga
« Les médecins
nous ont dit qu’il
n’y avait pas plus
de danger à aller
voter qu’à aller
à la boulangerie »,
justifie-t-on
à Matignon
l’union sacrée, mais. Après
l’allocution du président de la
République, jeudi 12 mars, les élus
ont salué les mesures annoncées.
Avant d’y lire chacun, de droite à
gauche, la validation de leur
propre programme politique.
« J’ai trouvé le président de la
République à la hauteur de sa
fonction », a validé Damien Abad,
le président du groupe Les Répu
blicains de l’Assemblée nationale.
Pour autant, chez LR on prévient :
« L’unité n’abolit pas l’exigence que
nous portons pour les Français. »
Et le député des AlpesMaritimes
Eric Ciotti de préciser qu’il « re
grette néanmoins l’absence de
mesures imminentes à la frontière
italienne ».
L’extrême droite applaudit ce
qu’elle nomme les « revirements
spectaculaires » du chef de l’Etat
sur la fermeture des frontières,
tout en estimant qu’il ne va pas
assez loin. « Un des premiers
moyens de freiner l’épidémie était
évidemment d’effectuer un con
trôle aux frontières, qu’Emmanuel
Macron se refuse à faire pour des
raisons quasiment religieuses, tout
en disant luimême qu’il va peut
être être obligé de le faire. On est
face à une énième incohérence du
gouvernement dans cette crise », a
déclaré Marine Le Pen sur BFMTV.
A l’opposé du spectre politique,
JeanLuc Mélenchon a réagi avec
solennité, affirmant que le mo
ment « n’est pas à la polémique »
mais « à l’entraide ». Mais le chef
de file de La France insoumise n’a
pas manqué de voir une défaite
dans les mots d’Emmanuel Ma
cron, celle du « libéralisme » et de
la politique du gouvernement. « Il
aura fallu une crise mondiale pour
que le président de la République
se rende compte qu’un monde et
un modèle de monde est mort,
pour qu’il comprenne que le soin
dû à tous est une priorité, pour
qu’il donne des consignes à la
Banque centrale européenne et
qu’il renonce aux règles budgétai
res dont il nous avait accablés, » a
til asséné.
« Paroles compatissantes »
Le premier secrétaire du PS, Oli
vier Faure a salué la déclaration
du président, mais il a toutefois
précisé qu’il restait « vigilant » car
« toute la politique d’Emmanuel
Macron était à l’orthogonale de ce
qu’il a déclaré ce soir ». A ses yeux,
« être plus juste pour les plus
faibles, cela veut dire revenir sur sa
politique fiscale qui appauvrit les
plus pauvres, sur la réforme
limitant l’aide médicale d’Etat
pour les étrangers sans papiers,
sur la réforme chômage qui fragi
lise les chômeurs. Bref, cela signifie
la condamnation de la théorie du
ruissellement ».
Communistes et écologistes at
tendent encore les preuves de ce
virage social tant annoncé. « 1492 :
Christophe Colomb découvre
l’Amerique ; 2020 : Macron décou
vre le service public », a plaisanté
sur Twitter le secrétaire national
du PCF, Fabien Roussel. « Sur l’hô
pital, les paroles compatissantes,
si justes soientelles, doivent être
suivies d’effet. Il faut une réponse
concrète », a estimé le patron
d’Europe EcologieLes Verts, Ju
lien Bayou, en concluant que « ce
qu’on nous disait impossible ou
inenvisageable hier devient possi
ble et nécessaire. Tant mieux ».
sarah belouezzane,
abel mestre, lucie soullier
et sylvia zappi
La gauche salue le virage social, le
RN souligne des « incohérences »