Le Monde - 14.03.2020

(WallPaper) #1

DANS LE GRAND HALL D’ACCUEIL de la
tribune présidentielle du Stade-Vélodrome, ce
vendredi 6 mars, le décor est clinquant mais
l’ambiance morose. L’Olympique de Marseille
vient de concéder un nul stupide à la dernière
minute de son match contre Amiens (2-2),
les supporteurs grondent encore et Michèle
Rubirola s’agace. « On ne peut pas se faire
rattraper comme ça en menant 2 à 0 à dix
minutes de la fin », grince la tête de liste du
Printemps marseillais. Un journaliste s’arrête,
la reconnaît et lui demande un selfie. « Une
photo avec la future maire de Marseille », rou-
coule-t-il. À neuf jours du premier tour des
municipales, la médecin de 63 ans, qui mène
l’union qui fait frétiller d’espoir la gauche
marseillaise, semble encore surprise par
l’hypothèse. Mais elle pose, flattée, oubliant un
instant sa colère contre l’arbitre.
Depuis le début de la campagne, le Stade-
Vélodrome voit défiler les candidats.
Habitués, novices, opportunistes, tous
viennent et postent une photo de leur passage
sur les réseaux sociaux. Mamadou Niang, ex-
buteur du club, a rejoint les listes de
La République en marche (LRM). Manuel
Amoros, ancienne star de la génération
Platini, soutient, lui, la candidate des
Républicains (LR), Martine Vassal. Le pré-
sident olympien, Jacques-Henri Eyraud, qui a
accueilli plusieurs fois Emmanuel Macron, se
renseigne sur la situation, mais évite soigneu-
sement de choisir un camp.
Ce soir, comme une cinquantaine d’autres
« femmes qui comptent », Michèle Rubirola est
l’invitée de l’OM. La sénatrice ex-socialiste
Samia Ghali et Martine Vassal, elles aussi, ont
reçu un carton. Pour célébrer les droits de la
femme, le club a pris la drôle d’habitude de
rendre, une fois par an autour du 8 mars, sa


meilleure tribune unisexe. Comme les autres
VIP, la conseillère départementale a eu droit à
son écharpe « Allez l’OM! » rose – couleur de
fille – et à son photocall pour immortaliser
l’événement. « Elle n’a pas arrêté de me dire :
“Mais c’est quoi ces gourdasses qui regardent
leur téléphone plutôt que le match ?” », se
marre Aïcha Sif, candidate du Printemps
marseillais dans les 9e et 10e arrondissements,
invitée elle aussi.
Le foot, Michèle Rubirola aime ça. Plus jeune, la
militante écologiste a même porté les couleurs
du plus célèbre des clubs marseillais. En
décembre 2019, c’est d’ailleurs au nouveau
médecin de l’OM, un spécialiste du sport,
qu’elle a demandé d’être opérée du genou...
À l’époque, elle ne se doutait pas qu’elle serait
propulsée tête de liste du Printemps marseillais
et que cette prothèse articulaire, sur laquelle
elle s’appuie encore avec difficulté, deviendrait
un des acteurs du combat électoral.
Depuis quelques heures à Marseille, la
campagne pourrit aussi vite que les footbal-
leurs d’Amiens contre-attaquent. La
candidate de la gauche réunie est accusée
par ses adversaires de faire campagne en
arrêt maladie. Elle a dû se justifier et porte
plainte pour diffamation. La caisse primaire
d’ assurance-maladie, son employeur, assure
que, pour elle, « la situation n’a rien
d’ anormal », mais le coup fait mal. Et agace
Michèle Rubirola encore plus que le match nul
de l’OM. « C’est quand même de la violation du
secret médical. Je me demande bien qui a pu
fournir mon arrêt de travail à la presse », s’in-
terroge, faussement candide, la candidate.
À quelques sièges de la tribune présidentielle
« women only », Martine Vassal porte, elle aussi,
son écharpe rose autour du cou. L’omniprésente
candidate Les Républicains s’est installée au
milieu d’un aréopage de petits footballeurs de
l’US Michelis, un club amateur des quartiers sud,
subventionné par le département qu’elle pré-
side. Le stade, la candidate LR y a ses fans. Les
responsables des South Winners 87, un des plus
anciens groupes de supporteurs de l’OM, la

ÉPISODE 


GRADINS AU FÉMININ.


soutiennent ouvertement. En 2014, ils avaient
sorti une banderole contre le candidat socialiste
Patrick Mennucci. Six ans plus tard, leurs
membres tractent pour les listes LR en portant
fièrement les tee-shirts à l’effigie de Che
Guevara et l’écharpe orange, symboles des
Winners. Un équipement paradoxal pour soute-
nir la droite dure qui dénonce « l’ultragauche ».
« Vivement que cette campagne soit finie »,
glisse Martine Vassal, traits tirés. Dans la jour-
née, l’élue a enchaîné les obsèques du promo-
teur Marc Pietri, où elle a croisé l’ex-premier
ministre Manuel Valls, une réunion publique et
un mini-meeting dans le quartier des Catalans.
En début d’après-midi, elle a aussi visité les
locaux surannés de l’académie de Marseille.
C’est dans ce repaire à l’ambiance empesée
que son mentor, Jean-Claude Gaudin, a pro-
mis de passer une partie de sa prochaine
retraite. Le vieux maire, 80 ans, y a déjà son
siège, et son nom a été délicatement écrit à la
plume, en pleins et déliés, sur le mur des
membres. « Martine est venue vérifier que
Jean-Claude serait bien ici », ironise, en aparté,
un membre de la délégation.
Stéphane Ravier adore le foot lui aussi. Mais, ce
6 mars, l’OM ne l’a pas invité. De toute façon, si
près d’un premier tour où il se voit déjà sortir en
tête, le sénateur RN a un autre rendez-vous.
À l’heure où le capitaine marseillais, Dimitri
Payet, et ses copains s’échauffent, le candidat
d’extrême droite est déjà bouillant. Il déboule
sur la scène du palais des congrès, contigu au
Vélodrome, et promet à ses supporteurs de
les « débarrasser de la racaille d’extrême
gauche ». Marine Le Pen est venue en personne
le soutenir et le candidat RN ne s’est jamais
senti aussi proche du but. « Le jour J arrive,
le jour du jugement dernier », prophétise-t-il.
Hasard du calendrier, ce jour J sera aussi celui
du match de l’année au Stade-Vélodrome,
entre l’OM et le PSG. La rencontre devrait se
jouer à huis clos, coronavirus oblige. Mais, le
22 mars au soir, Michèle, Martine et les autres
auront autre chose à faire.
(À s ui v r e...)

LA SÉRIE MARSEILLE, LA GUERRE DU TRÔNE.


Texte Gilles ROF

PRÉCÉDEMMENT... LE SÉNATEUR RN
STÉPHANE RAVIER EST VENU PRÉSENTER
SES TROUPES, TACLER SES ADVERSAIRES
ET CHANTER DU JOHNNY.


LA SEMAINE
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