Libération - 13.03.2020

(Nancy Kaufman) #1
20 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Vendredi^13 Mars 2020
France

trouvaient jeudi au tribunal
judiciaire de Bobigny pour y
être jugés. Des dix-sept hom-
mes et deux femmes présents
ce jour-là, seuls six se sont
présentés à l’audience et ont
fait le déplacement depuis
Montpellier ou Issy-les-Mou-
lineaux. Pour la plupart étu-
diants, âgés de 19 à 33 ans, ils
sont poursuivis pour «en-
trave concertée avec voies de
fait à l’exercice de la liberté
du travail» et encourent
trois ans et 45 000 euros
d’amende.
A la barre, les prévenus se
tiennent alignés pendant que
le tribunal rappelle les faits.
A l’aube du 29 mars 2019, une
vingtaine de personnes pé-
nètrent dans le siège de la
CAF 93. Ils accèdent au toit
terrasse de l’établissement en

empruntant un escalier de
secours. Sur les portes d’en-
trée, des panonceaux en car-
ton, fixés à l’aide de colliers
de serrage, ont été apposés.
On peut y lire «défense d’en-
trer, CAF occupée par Géné-
ration identitaire». Une fois
sur le toit de l’édifice, ils cra-
quent des fumigènes et dé-
ploient une large banderole :
«De l’argent pour les Fran-
çais, pas pour les étrangers !»
Après plus de trois heures, les
militants sont interpellés par
les forces de l’ordre. Dans le
coffre d’un des identitaires,
absent jeudi au tribunal, la
police trouvera, au milieu du
«kit du parfait colleur d’affi-
ches», des bombes lacrymo-
gènes, des matraques téles-
copiques ainsi qu’un poing
américain.

A l’époque, l’action avait en-
traîné de nombreuses réac-
tions. Le député LFI de
­Seine-Saint-Denis Alexis
Corbière avait réclamé la dis-
solution de l’association,
qualifiant les militants de
«crétins» tandis que la CAF 93
s’était indignée dans un com-
muniqué, dans lequel son
ancien président condam-
nait «fermement l’envahisse-
ment de ses locaux, les propos
haineux et discriminants et
l’interruption du service d’ac-
cueil du public».

«Pacifiques». Né en 2012,
le mouvement s’est fait con-
naître en occupant le chan-
tier de la mosquée de Poitiers
le 20 octobre 2012. Là encore,
les militants déploient une
banderole et scandent des

slogans tels qu’«à Poitiers, ni
kebab ni mosquée». Plus ré-
cemment, en avril 2018, trois
membres de Génération
identitaire ont été condam-
nés à six mois de prison et
l’association a reçu une
amende de 75 000 euros pour
l’opération montée au col de
l’Echelle, dans les Hautes-Al-
pes, point de passage de
nombreux migrants.
A la seizième chambre du tri-
bunal de Bobigny, les magis-
trats et le président, Ludovic
Friat, ont tenté de savoir si les
six militants avaient cons-
cience ou non de commettre
une infraction en pénétrant
dans l’enceinte de la CAF.
Pendant leurs auditions, les
prévenus ont déclaré qu’ils
n’avaient «jamais empêché
quiconque d’entrer dans le bâ-

Génération identitaire : à Bobigny,


le procès de «19 individus en meute»


En mars 2019,
des militants
du mouvement
d’extrême droite
avaient envahi
le siège de la CAF
de Seine-Saint-
Denis en réclamant
«de l’argent pour
les Français, pas
pour les étrangers».

P


rès d’un an après l’ac-
tion menée sur le toit
de la caisse d’alloca-
tions familiales de Seine-
Saint-Denis, des militants de
Génération identitaire se re-

Par
Charles Delouche

La privatisation d’ADP
est-elle abandonnée ou
juste repoussée? La porte-
parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, a an-
noncé jeudi que les conditions économiques
n’étaient actuellement pas réunies pour une éven-
tuelle mise sur le marché du groupe Aéroports de
Paris. Mais sans confirmer l’abandon total du pro-
jet. Le point sur Checknews. Photo AFP

LIBÉ.FR

timent», chacun prenant soin
d’indiquer qu’il n’était pas à
l’origine de l’opération, «ap-
prise par le bouche-à-oreille».
Johan, 29 ans, un des respon-
sables du mouvement, che-
mise blanche rentrée dans le
pantalon, l’assure, droit dans
ses bottes : «Les actions de Gé-
nération identitaire sont tou-
jours pacifiques, pour faire de
la communication. Cette ban-
derole a permis d’attirer la
sphère médiatique et [...] de
parler de cette problématique
qui intéresse les Français.»

«Fausse naïveté». Pour
Virginie Bensoussan-Brulé,
avocate de la CAF, l’opération
de mars 2019 n’a rien d’«une
action de communication»
mais constitue bel et bien une
«action coup de poing». En li-
sant des extraits de publica-
tions Twitter de Johan et d’ar-
ticles disponibles sur le site
de l’organisation, l’avocate
rappelle que les identitaires
ont pris «l’habitude de dénon-
cer les aides sociales pour les
personnes qualifiées d’étran-
gères ou non Français de sou-
che» en indiquant que «leur
combat est beaucoup plus en-
gagé et haineux que ça».
Pour la procureure de la Ré-
publique, qui raille la «fausse
naïveté» des prévenus, l’ac-
tion de ces «dix-neuf indivi-
dus en meute» a été motivée
par «l’envie d’impressionner,
d’intimider les allocataires et
les personnels de la CAF». De
son côté, l’avocat de la dé-
fense, Pierre-Vincent Lam-
bert, se dit «sidéré qu’on ne
cache même plus la dimen-
sion politique du dossier»,
avant de montrer à la cour le
panneau rouge ayant servi à
bloquer l’entrée du bâtiment
de la CAF : «On nous explique
que c’est ça qui a choqué le
personnel, alors qu’aucun
employé ne s’est présenté à la
police.»
Pour la procureure, le choix
du département, la Seine-
Saint-Denis, n’est «pas un ha-
sard» : «Ce qui a été visé, c’est
la Seine-Saint-Denis, qui re-
présente une terre d’accueil,
une forme de cosmopolitisme.
Le symbole était fort. [...] En
voulant cibler les étrangers de
manière vague, ils ont surtout
ciblé les personnes les plus dé-
munies.» Elle a requis trois
mois de prison avec sursis
pour les prévenus qui n’ont
pas de casier et six mois pour
les autres. Le jugement sera
rendu ce vendredi.•

Marche à l’initiative de Génération identitaire, à Paris, le 14 janvier 2017. Photo Yann Castanier. Hans Lucas
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