Libération - 13.03.2020

(Nancy Kaufman) #1

24 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Vendredi^13 Mars 2020


C


haque mandat présidentiel
traverse une épreuve ma-
jeure : l’Algérie et Mai 68
pour le général de Gaulle, la mala-
die pour Georges Pompidou, les
deux crises pétrolières pour Valéry
Giscard d’Estaing, la guerre avec
l’Irak pour François Mitterrand, la
deuxième guerre d’Irak pour Jac-
ques Chirac, la violente crise fi-
nancière de 2008 pour Nicolas Sar-
kozy, les attentats de 2015 pour
François Hollande. Emmanuel
Macron, lui, doit affronter l’épidé-
mie, peut-être demain la pandé-
mie du coronavirus. Les effets de
l’épidémie sont naturellement
avant tout humains, puisqu’il
s’agit de la santé de toute la popu-
lation, du traitement de la maladie
mais aussi des conséquences en-
chaînées qu’elle entraîne pour le
mode de vie. Ses effets sont aussi
économiques et sociaux, comme
on le constate déjà. Affolement de
la Bourse, pans entiers de l’écono-

mie sinistrés, chômage partiel, dé-
sorganisation des échanges inter-
nationaux, services publics fragili-
sés, croissances et emplois remis
en cause, c’est tout le système qui
vacille. Le coronavirus a enfin un
impact politique fort.
On peut déjà le constater à propos
des élections municipales. La
campagne est à demi-paralysée. La
plupart des réunions publiques
sont annulées et surtout, cela se
comprend, les Français ont l’esprit
ailleurs. Dans les conversations, le
coronavirus et ses conséquences
ont complètement éclipsé, pres-
que effacé, les enjeux électoraux.
Dimanche prochain, on s’attend à
un taux d’abstention record.
En 2014, il était déjà plus élevé que
d’habitude. Cette fois-ci, il est très
probable qu’il dépassera la barre
des 40 %, il n’est même pas exclu
qu’il atteigne celle des 50 %. Les
enjeux sont pourtant significatifs
et le rapport des forces national en
sortira transformé. Mais les Fran-
çais, c’est humain, pensent plus au
risque de confinement qu’à l’iso-
loir des bureaux de vote. A priori,
cela devrait plutôt conforter les
maires sortants (une campagne
atrophiée handicape les nouveaux
venus) et desservir la droite et
LREM, les personnes âgées, si
nombreuses dans leurs électorats,
risquant d’être moins civiques que
d’habitude.
Autre effet vraisemblable, la ges-
tion de la crise et le développe-
ment de la maladie ne sont pas
propices aux conflits sociaux et
aux manifestations. Certes, la
question du droit de retrait se po-
sera de plus en plus, notamment
dans les services publics, mais le
débat à propos de l’usage du 49.3
va s’assoupir et la bataille des re-
traites se jouera essentiellement
au Sénat et à la conférence de fi-
nancement. Les défilés déclarés ne
sont pas interdits pour l’instant
mais s’ils se produisent, ils seront
clairsemés. Dans les circonstances
actuelles, l’heure est bien davan-
tage à la solidarité et à l’union qu’à
la confrontation et a fortiori à la
violence. En revanche, l’exception-
nelle mobilisation de l’ensemble
du système de santé devrait faire
avancer les dossiers des réformes
si urgentes dans ce secteur.

Reste enfin, même si cela demeure
implicite, le quitte ou double que
l’épreuve du coronavirus repré-
sente pour Emmanuel Macron. En
ce qui le concerne, il y aura un
avant et un après l’épidémie. Dans
tous les pays, le virus place le chef
de l’exécutif en première ligne, que
les régimes soient présidentiels,
parlementaires et même autocra­-
tiques. En France, c’est le chef de
l’Etat qui porte la responsabilité
politique de faire face à l’épreuve.
Certes, le Premier ministre, les
membres du gouvernement, l’ad-
ministration, les services publics
sont tous mobilisés mais le Prési-
dent est non seulement le symbole
mais le détenteur du pouvoir. La
charge de la crise lui incombe.
A cette occasion, plus visible et ex-
posé que jamais, il sera jaugé à son
autorité (dans les crises, le général
de Gaulle était incomparable), à
son sang-froid (grande spécialité
de François Mitterrand), à son hu-
manité (la caractéristique de Fran-
çois Hollande), à son énergie (la
meilleure carte de Nicolas Sar-
kozy), à sa capacité de rassemble-
ment (Chirac était orfèvre). S’il
maîtrise bien la situation, s’il dé-
cide, incarne et informe avec effi-
cacité, alors même que chaque jour
peut produire un nouveau piège,
rien ne prouve que les Français lui
seront durablement reconnais-
sants. Si par malheur, ses initia­-
tives s’avèrent inadaptées, si les
­informations qu’il donne appa-
raissaient mensongères, s’il ne
trouvait pas les choix, les actes et
les mots nécessaires, la sanction
serait sans appel. L’épreuve ma-
jeure du quinquennat constitue
une sorte de scanner global du pré-
sident de la République, quel qu’il
soit. Il peut y sauver ou y perdre
son mandat. Devant l’épreuve, il ne
faut pas croire à l’indulgence d’un
peuple blessé, ni au traitement
identique pour tout détenteur du
pouvoir. En 1917, au pire de la
guerre de 1914-1918, alors que la
France était sur le point de perdre
la partie, quatre présidents du
Conseil se sont succédé en un an :
Briand pour encore trois mois,
­Ribot pour six mois, Painlevé pour
deux mois et enfin Georges Cle-
menceau, parvenant aux com-
mandes le 16 novembre. Les trois
premiers ministères n’ont laissé
aucune trace mais «le Tigre» a con-
duit le gouvernement le plus célè-
bre et le plus admiré de toute
la IIIe République. Les circonstan-
ces actuelles sont, certes, moins
héroïques et moins tragiques mais
on peut en sortir en Ribot ou en
Clemenceau, ce qui n’est pas du
tout la même chose. Le coronavi-
rus sera le marqueur indélébile de
la fin du mandat de Macron. Peut-
être positif, peut-être négatif, mais
certainement décisif.•

L’épreuve majeure
du quinquennat

constitue une sorte


de scanner global


du Président. [...].


Devant l’épreuve,
il ne faut pas

croire à


l’indulgence


d’un peuple blessé,


ni au traitement
identique pour

tout détenteur


du pouvoir.


Idées/


Politiques


Par
Alain Duhamel

L’impact politique


du coronavirus


Dans tous les pays, le virus place le chef
de l’exécutif en première ligne.
En France, le président Emmanuel Macron,
qui s’exprimait justement jeudi soir, passe
actuellement cette épreuve décisive pour la fin
de son mandat.


L'œil de Willem

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