Libération - 13.03.2020

(Nancy Kaufman) #1

Libération Vendredi 13 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3


Emmanuel
Macron,
jeudi soir.

C


ette déclaration solennelle est venue
conclure une journée de consultations
et d’hésitations. Maintenir les élec-
tions municipales? La question a fait débat
jusqu’au début de l’après-midi. Selon plu-
sieurs sources, le chef de l’Etat a sérieusement
envisagé un report, avant de finalement y re-
noncer en raison de l’hostilité des responsa-
bles de l’opposition, de droite comme de gau-
che. Il s’était notamment ­entretenu en fin
d’après-midi avec le président LR du Sénat,
Gérard Larcher. Dans son allocution, Emma-
nuel Macron a ainsi assuré jeudi soir que, se-
lon «les scientifiques», «rien ne s’opposait à ce
que les Français se rendent aux urnes» les 15 et
22 mars, à condition que soient rigoureuse-
ment respectés lors des opérations de vote les
«gestes barrières» qui «sauvent des vies». En
fait, les scientifiques n’étaient pas si una­-
nimes. Jeudi matin, tandis que le Premier mi-

Ndiaye, a cru pouvoir annoncer que le Prési-
dent allait «sans doute s’employer à rassurer
les Français», trois jours avant les munici­-
pales. C’était sans compter avec l’accélération
de l’épidémie. «Le virus, ce soir, circule de plus
en plus activement dans des territoires de plus
en plus nombreux», a averti mercredi soir
­Jérôme Salomon. Selon lui, il fallait désor-
mais «se préparer à un scénario italien». Jeudi
matin, plusieurs gouvernements avaient pris
des décisions fortes : fermeture des écoles en
Espagne, en Irlande et au Danemark ; ferme-
ture de tous les commerces hors alimentation
en Italie. De son côté, le président des Etats-
Unis, Donald Trump, annonçait la suspension
de tous les voyages en provenance d’Europe
(lire pages 6-7). Décision aussitôt «désapprou-
vée» par les autorités de l’UE : «Le coronavirus
est une crise mondiale, qui n’est pas limitée
à un continent et qui requiert de la coopé­-
ration plutôt qu’une action unilatérale», ont
souligné dans un communiqué la présidente
de la Commission, Ursula von der Leyen, et
celui du Conseil, Charles Michel.
Mais un report des élections municipales, jus-
qu’à jeudi matin, les responsables politiques
unanimes affirmaient qu’il ne saurait en être
question. N’est-ce pas précisément ce que ve-
nait de leur confirmer Edouard Philippe, qui
les avait tous longuement reçus dans la mati-
née? Or c’est justement pendant que les élus
discutaient à Matignon que les experts réunis
à l’Elysée présentaient au chef de l’Etat des
projections alarmantes. Compte tenu de la
progression de l’épidémie, certains se deman-
dent s’il était bien raisonnable d’appeler aux
urnes 44 millions de Français.
Informés par le JDD que l’Elysée envisageait
un report des élections, les élus de droite se
sont étranglés et sont illico montés au cré-

neau : «Ce serait un coup d’Etat, un coup de
force institutionnel, l’utilisation de la crise
­sanitaire pour éviter une débâcle électorale»,
s’est indigné le chef de LR, Christian Jacob.
De son côté, le secrétaire national du PCF se
demande pourquoi il a passé trois heures
dans la matinée avec un Premier ministre qui
assure que «tout est sous contrôle». Selon lui,
en envisageant un report des municipales,
Macron inventerait «un 49.3 spécial». Face
à cette levée de boucliers, le chef de l’Etat a
préféré renoncer.

Dérogations au droit
Par ailleurs, il y avait aussi un problème juri-
dique. En théorie, seule une loi peut modifier
la date d’une élection. Mais comment procé-
der à seulement quarante-huit heures du
scrutin, alors que l’Assemblée nationale a sus-
pendu ses travaux? «Passer par un simple dé-
cret serait a priori illégal, sauf à invoquer la
jurisprudence des circonstances exception­-
nelles», estime Romain Rambaud, professeur
de droit public et spécialiste du droit électo-
ral. Mal définie mais reconnue de longue date
par la justice administrative, la notion ouvre
la voie à des dérogations au droit dans des
contextes critiques, tels que guerres ou catas-
trophes naturelles.
Quant à l’article 16 de la Constitution, il auto-
rise le chef de l’Etat à prendre toutes «mesures
exigées par les circonstances» en cas de me-
nace grave et immédiate perturbant le «fonc-
tionnement régulier des pouvoirs publics». Il
n’a jusqu’ici été utilisé que par le général
de Gaulle, face au putsch militaire de 1961.
Mais ce dernier recours, qui revient à établir
une dictature de salut public, semble hors de
proportion avec la situation actuelle.
Alain Auffray

nistre, Edouard Philippe, recevait les respon­-
sables politiques de la majorité et de l’opposi-
tion (chefs des partis et présidents des grou-
pes parlementaires), Macron s’est longuement
informé sur l’évolution de la pandémie. Avec
le ministre de la Santé, Olivier Véran, il a reçu
le tout nouveau «conseil scientifique», consti-
tué la veille «pour éclairer la décision publique
dans la gestion de la situation sanitaire liée
au coronavirus».

Accélération de l’épidémie
Présidé par Jean-François Delfraissy, ce
­conseil composé de 10 experts (infectiologue,
virologue, épidémiologiste, généraliste) est
censé fournir au chef de l’Etat «une approche
scientifique globale des enjeux», explique
l’Elysée. Avant d’arrêter les décisions qu’il
­devait présenter quelques heures plus tard
aux Français, Macron a ensuite organisé un
déjeuner de travail avec les ministres et les
responsables sanitaires membres du Conseil
de défense et de sécurité. Son entourage sou-
ligne avec insistance que le Président enten-
dait «prendre ses décisions uniquement sur la
base d’expertises scientifiques».
Après le Conseil des ministres de mercredi,
la porte-parole du gouvernement, Sibeth

Les municipales


maintenues


in extremis


Face à l’accélération de la crise,
l’exécutif a envisagé un temps
jeudi de reporter le scrutin.
Avant de renoncer face à la
bronca de l’opposition, informée
par une fuite de presse.
Free download pdf