Coup de Pouce - (05)May 2020

(Comicgek) #1
En décembre, mon fils de 10 ans est tombé sur la chaîne
d’un youtubeur français. Sans le nommer, précisons que
ses millions de vues par capsule suggèrent un beau succès
pour cet expert en caméra cachée. Dans la vidéo, une
bande de copains découvre une tombe étrange, enfouie
dans un terrain vague, pour finir par débusquer un joli
pactole dans une grotte.
Malgré mon scepticisme, j’ai écouté mon enfant me
raconter cette aventure rocambolesque. J’ai même regar-
dé la vidéo avec lui.
Je ne vous mentirai pas: les ficelles étaient grosses, les
évènements improbables. Mais mon fils jubilait. À son
émerveillement, j’ai réagi par des questions et des doutes
appuyés par des arguments rationnels.

Ce n’était pas la première fois que je cassais son fun, et ce
ne sera pas la dernière. Mais cette supercherie à la Jack
Sparrow a fait déborder le baril. Je n’ai rien contre les his-
toires imaginaires. Ce que je ne digère pas, c’est l’intention
de tromper, c’est le mensonge au nom du clic.
J’ai publié une lettre ouverte dans les médias, une véri-
table bouteille à la mer. Les réactions n’ont pas tardé. Des
parents, des enseignants, des gens que je ne connaissais pas
partageaient mes réflexions, confirmaient mes impressions.
Je n’étais donc pas seule.

J’ai été invitée à discuter du sujet à la radio, avec les you-
tubeurs Simon Roy et Thomas Gauthier notamment. Le
consensus: YouTube, c’est le Far West. Même si un youtubeur
ne cible pas délibérément les enfants, il ne peut contrôler son
public. La voie des algorithmes est impénétrable, surtout au
Québec, où il n’y a pas de YouTube Kids pour filtrer les conte-
nus. Ici, les parents sont les garde-fous. Bien sûr, les fausses
croyances ont toujours existé. Mais on ne parle plus de lé-
gendes urbaines entendues dans la cour d’école. «Les jeunes
ont un rapport très personnel avec les youtubeurs, indique
Jeff Yates, journaliste de l’émission Décrypteurs. Leur contenu
est sympathique, souvent ponctué d’anecdotes personnelles.
Cette proximité crée un lien de confiance, voire d’amitié. Et
l’on fait souvent confiance à nos amis...»
Faire le contrepoids d’une fausse information devient
alors un défi colossal. Comment blinder mon enfant, mus-
cler son esprit critique? Jeff Yates conseille d’expliquer à son
enfant que le travail du youtubeur, c’est de divertir. Il cherche
à obtenir des clics pour gagner de l’argent. «Très peu de you-
tubeurs mentent indûment à leur auditoire, sauf que tout le
monde peut se tromper, et certains sont prêts à tout pour
avoir de l’attention. Ce n’est pas la fin du monde tant qu’on
est conscient de ce que l’on consomme», ajoute-t-il.
La clé reste donc de s’intéresser à ce que regarde notre
enfant, d’ouvrir la communication, de lui enseigner com-
ment valider les informations en remontant à la source. Je
reste toutefois convaincue que tout le monde doit faire partie
de la solution – les médias, les écoles, les producteurs de
contenu... Et la première étape, c’est d’en parler.

JULIE CHAMPAGNE EST JOURNALISTE ET MAMAN D’UN GARÇON DE 10 ANS ET
D’UNE FILLE DE 7 ANS. •

PARLE de


YOUTUBE


MON FILS ADMIRE DE NOMBREUX
YOUTUBEURS, DES PERTINENTS,
DES DIVERTISSANTS... ET DES MOINS
VERTUEUX. PRÉOCCUPÉE, J’AI
DÉCIDÉ DE PRENDRE LA PAROLE
DANS LES MÉDIAS.
Par Julie Champagne | Illustration: Anne Villeneuve/c.

Ma vie | PARENT |


Il faut qu’on


«


Leur contenu est sympathique,


souvent ponctué d’anecdotes


personnelles. Cette proximité crée un


lien de confiance, voire d’amitié.
»


  • JEFF YATES, journaliste


MAI 2020
42 |COUPDEPOUCE.COM


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