ILLUSTRATIONS: ANNICK POIRIER/C.
gens », m’as-tu dit un jour. J’ai eu besoin de temps
pour y arriver, alors que pour toi, c’était inné.
Marie-Aude ne comprend pas pourquoi
Emma Gagnon insiste pour revenir ici, année
après année, au lieu de découvrir de nou-
velles destinations, de nouveaux continents.
Deux ans après la guerre, à vingt-et-un ans,
sa grand-mère avait quitté sa ville natale
d’Alma pour aller étudier la littérature à la
Sorbonne, à Paris. Il fallait un esprit indépen-
dant et un cœur d’aventurière pour partir
ainsi, à l’époque. En Europe, elle a écrit des
articles pour des journaux et des magazines.
Cette femme-là, son premier roman, a connu
un vif succès, remportant en France un prix
prestigieux. Son second livre, La chair, racon-
tait l’histoire d’amour sulfureuse d’une jeune
femme qui s’éprend d’un homme marié. Le
sujet était déjà scandaleux pour le temps,
mais ce qui avait choqué le plus, c’est que
l’héroïne, Estelle, refusait que son amant
quitte son épouse pour elle. Pour elle, non
conformiste et fière, seule la passion qui les
unissait comptait. « Ne sois pas sot, mon ché-
ri », disait-elle. « Ne crois pas qu’ils nous lais-
seront nous aimer dehors. De toute façon,
cela n’a aucune importance. Aime-moi ici,
maintenant, de toutes tes forces.»
Le livre avait créé une commotion au
Québec, où l’archevêque avait tenté de le faire
mettre à l’Index. Mais la critique européenne
avait été favorable et La chair avait même reçu
le Prix du Gouverneur général, l’année sui-
vante. À Paris, Emma fréquentait Saint-
Germain-des-Prés, était l’amie de Sartre, de
Simone de Beauvoir et de Jacques Prévert. On
lui a aussi prêté une aventure avec Boris Vian.
Certains ont même avancé que c’est cette his-
toire qui avait inspiré La chair. »»
«Personne ne savait
pourquoi elle était revenue
au Québec, au début des
années soixante, ni
pourquoi, à trente -cinq
ans, elle avait marié un
obscur avocat, un homme
affable et cultivé certes,
mais terne et discret.»
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JUIN 2020
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