EEn France, le débat sur la protection de la

nature s’est développé depuis les années

1970 dans un contexte social souvent crispé

avec les gestionnaires des territoires ruraux.

Mais avec le projet communautaire Natura

2000 qui a servi de révélateur, les années

1990 ont vu les tensions s’exacerber, au

point d’être vécues, dans certains projets,

comme un conflit entre une nouvelle culture

urbaine, triomphante et conquérante, et une

culture rurale traditionnelle, fragilisée et sur

la défensive. Ces deux types de culture

cohabitent généralement dans un même

individu : les ruraux ne sont pas à l’écart

des circuits moderne de formation et d’infor-

mation qui façonnent un nouveau regard sur

la nature, alors que les citadins cultivent la

nostalgie de racines rurales en cours d’effa-

cement.

Au-delà de ces conflits,il se joue, à propos

de la protection de la nature, quelque chose

qui touche à l’identité culturelle du pays. En

Europe, chaque être humain est à la fois un

individu enraciné dans une histoire multi-

séculaire et dans un « quelque part », un

spectateur ou acteur de l’évolution rapide

d’un Etat-Nation confronté à la dynamique

créée par l’intégration dans l’Union euro-

péenne, et un citoyen du monde. Ceci fait

de l’identité culturelle un sujet complexe qui

devient rapidement passionnel.

Le contexte national en France

La France, vieux pays d’une vieille Europe,

se caractérise par une présence humaine

encore relativement forte sur la quasi-tota-

lité du territoire, bien qu’en net déclin et

présentant toutes les caractéristiques d’une

crise majeure du modèle traditionnel de

ruralité. A la différence de beaucoup d’au-

tres pays européens, l’identité culturelle

française s’est construite autour d’un double

schéma, en apparence contradictoire mais

fondateur et structurant, d’allégeance à un

pouvoir central protecteur puissant mais

lointain, et d’enracinement local dans des

terroirs ruraux vécus comme divers et spéci-

fiques, formant la matrice d’une identité cul-

turelle forte.

Bien que le pays se soit fortement urbanisé

et industrialisé, au terme d’un long proces-

History, cculture aand cconservation

Protection dde lla nnature eet iidentités cculturelles een FFrance

Christian BBarthod

Résumé.L’émergence d’une conception renouvelée de la protection de la nature, qui refuse désormais de
limiter son champ aux seules « aires remarquables protégées » traditionnelles, a conduit l’Union euro-
péenne et l’Etat à afficher des ambitions élevées en terme de surface bien que localement modulées, mais
aussi à rendre moins compréhensibles pour les communautés rurales, car moins « spectaculaires », les rai-
sons de l’enjeu de protection. Beaucoup de tensions sont alors comprises comme un conflit entre une nou-
velle culture urbaine conquérante et une culture rurale traditionnelle sur la défensive. Or l’identité culturelle
forte de la France s’est construite autour d’un double schéma d’allégeance à un pouvoir central protecteur
fort, mais lointain, et d’enracinement local dans des terroirs ruraux vécus comme divers et spécifiques. La
défense de ce qui fait l’identité des communautés rurales fragilisées passe alors souvent par le refus des
projets de protection menés localement par l’Etat. Le gestionnaire de milieux naturels doit donc apprendre
à développer une « ingénierie écologique » qui intègre la dimension culturelle, sans abuser des raisonne-
ments scientifiques et techniques dans la défense publique du projet qu’il souhaite initier. La perception par-
tagée de la valeur utilitariste, éthique et esthétique du projet représente un enjeu majeur. Dès lors la ques-
tion clé devient la prise en charge de cette valeur par les acteurs concernés, au travers d’un mode de ges-
tion à négocier.