sus qui s’est accéléré depuis un demi-siècle,
tout ce qui touche au monde rural reste très
sensible car il touche à la manière même
dont les Français se perçoivent. Ce lien au
monde rural se manifeste à la fois par la
mémoire vivace d’un enracinement familial
dans un terroir, mais aussi souvent par la
médiation d’une propriété foncière
résiduelle^1 encore très répandue dans les
familles citadines. Cette situation est le fruit
des héritages qui inscrivent le propriétaire
dans une lignée, dans une histoire, dans un
terroir et dans un devoir vis à vis de ses
ascendants et de ses descendants.
L’attachement à cette propriété rurale est
d’abord sentimental, culturel et identitaire,
et secondairement économique, au travers
d’une conception dure du droit de propriété,
liée au droit romain et à l’héritage de la
Révolution française, qui façonne l’imagi-
naire du citoyen républicain et l’ambivalence
de ses relations à un Etat central fort.
Tant que la politique de protection de la
nature a été perçue comme ne s’adressant
qu’à des territoires restreints dont le carac-
tère remarquable était facilement perceptible
par tous, l’Etat a bénéficié d’un appui tacite
ou explicite de l’opinion publique pour pas-
ser outre à ce qui était perçu comme des
intérêts locaux égoïstes, au travers d’une
démarche réglementaire dont la légitimité
n’était pas contestée. Pour l’opinion publi-
que, comme pour une
partie significative des
décideurs administratifs
et experts scientifiques,
l’enjeu était de soustraire
les territoires remarqua-
bles aux menaces d’ori-
gine humaine que faisait
planer l’évolution techno-
logique, économique et
démographique.
Cependant, dans des ter-
ritoires qui sont marqués
depuis plusieurs siècles,
voire millénaires, par l’ac-
tivité humaine, l’idée de
gestion conservatoire
s’est imposée au cours
de la dernière décennie
comme un outil pertinent pour maintenir ou
recréer un contexte favorable à la conserva-
tion de tout ou partie des espèces et des
habitats. Les conséquences en ont été d’une
part d’afficher des ambitions de protection
de la nature localement modulées mais glo-
balement élevées en terme de surface, et
d’autre part de rendre moins compréhensi-
bles, car moins « spectaculaires », les rai-
sons de cet enjeu de conservation.
Dès lors le chèque en blanc de l’opinion
publique, qui avait fondé une certaine politi-
que de l’Etat durant trois décennies n’est
plus acceptable par une partie significative
de la société civile qui y voit une menace
pour le monde rural et pour son identité.
Dimension culturelle et identitaire de
la protection de la nature
Dans les sociétés urbaines modernes, la
nature accède au rang d’un objet contemplé
de loin, quelle que soit la fréquentation
dominicale ou estivale de certains sites par-
ticuliers. Cette confusion propre à une cul-
Conservation aas ccultural aand ppolitical ppractice
Figure 1.Paysage traditionnel dans le parc national des
Pyrénées : derrière ce beau paysage bien entretenu se dis-
simule un équilibre rural de plus en plus fragile, mais auquel
tiennent fortement les communautés rurales et les citadins
(Courtoisie Parc National des Pyrénées)
L’attachement àà ccette
propriété rrurale eest
d’abord ssentimental,
culturel eet iidentitaire,
et ssecondairement ééco-
nomique, aau ttravers
d’une cconception ddure
du ddroit dde ppropriété,
liée aau ddroit rromain eet
à ll’héritage dde lla
Révolution ffrançaise,
qui ffaçonne ll’imagi-
naire ddu ccitoyen rrépu-
blicain eet ll’ambiva-
lence dde sses rrelations
à uun EEtat ccentral ffort.