13 Policy Matters.qxp

(Rick Simeone) #1

En effet, il est probablement nécessaire de
dépasser (ce qui signifie assumer, mais aller
aussi au-delà) une approche utilitariste,
même rénovée, pour se situer en même
temps sur le terrain d’une approche éthique.
Mais il est aussi nécessaire d’assumer une
approche esthétique, qui touche rapidement
aux motivations profondes des individus.
L’intégration de ces trois types d’approche
est la première condition d’une véritable
démarche patrimoniale. Pourtant bien des
discours généraux sur ce terrain se heurtent
à des fortes difficultés sur un projet particu-
lier de protection de la nature, car la per-
ception des valeurs utilitaires, éthiques et
esthétiques n’est pas la même partout.


Universalisme et complexité locale
La pensée occidentale recherche l’universa-
lisme, et l’histoire prodigieuse des sciences
depuis le siècle des Lumières n’a fait que
conforter cette sensibilité. Elle a développé à
cet effet une une véritable ascèse de l’es-
prit, qui a historiquement permis à l’homme
de s’affranchir de la prison du particularisme
local et de se doter d’outils opérationnels
extraordinairement efficaces dans le
domaine des « sciences dures », et raison-
nablement efficaces dans le domaine des
sciences humaines. Mais trop souvent cette
quête respectable s’est déformée en une
recherche de principes, lois et mécanismes
simples, dont la validité doit s’affirmer au-
delà de la diversité des lieux et des cultures.


Les esprits formés à cette discipline intellec-
tuelle éprouvent généralement un penchant
net à privilégier une approche simplificatrice,
tout entière tournée vers l’action, qui
regroupe toute une diversité de situations
dans des catégories communes, et cherche
une grille d’analyse qui s’affranchisse, autant
que faire se peut, des spécificités, particula-
rités et paramètres mal quantifiables. Dès
lors une pensée qui se veut universelle ren-
contre souvent de graves difficultés à se
confronter à la complexité locale.


Trop souvent, à partir du moment où l’argu-


mentaire politique et scientifique qui a justi-
fié un projet de protection semble convain-
cant, intellectuellement fondé et reposer sur
des arguments structurés, il existe un cer-
tain désarroi à constater que l’adhésion
attendue n’est pas au rendez-vous. Dès lors
plutôt que de reconnaître un raisonnement
inadéquat à saisir la complexité locale, la
facilité consiste à soupçonner ou identifier
de la mauvaise foi ou des intérêts cachés.
Face à ce soupçon, la pensée universaliste
est presque toujours démunie et se raccro-
che, en désespoir de cause, à des argu-
ments d’autorité ou à l’organisation d’un
rapport de force. Parfois une telle stratégie
permet de passer en force, lorsque les sur-
faces concernées sont faibles, mais de plus
en plus souvent, et plus encore quand les
surfaces en cause sont importantes au
regard des acteurs concernés, elle n’aboutit
qu’à organiser une confrontation où les
compromis sont mal vécus par l’ensemble
des parties qui s’opposent. Les tensions que
suscite une action toute entière inspirée par
la pensée universaliste sont exacerbées par
la montée inexorable des problèmes com-
plexes multi-acteurs qui caractérisent les
débats de société relatifs au vivant.

Face à une telle situation, des penseurs
français comme Henri OLLAGNON^6 estiment
que la seule option opérationnelle raisonna-
ble consiste à déplacer le débat vers d’une
part l’identification partagée de la valeur
(utilitariste, éthique ou esthétique) de ce qui
est à protéger par et pour les acteurs pré-
sents sur le territoire concerné, et d’autre
part vers la question de la prise en charge
de cette valeur par ces mêmes acteurs, au
travers d’un mode de gestion à négocier.
Dans un tel contexte, l’intelligence stratégi-
que est à privilégier par rapport à l’intelli-
gence universelle (tout en intégrant celle-ci).
L’intelligence stratégique d’une situation
passe nécessairement par une forte capacité
à identifier ce qui fonde l’identité culturelle
des actuels protagonistes et possibles futurs
partenaires, voire par une certaine empathie
pour la culture propre à chacune des parties

Conservation aas ccultural aand ppolitical ppractice

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