légitimité du soutien des catholiques. « Saliège a été fait
compagnon de la Libération par de Gaulle, qui a tenu à saluer
l’ecclésiastique, qui “n’a pas craint, dans les circonstances diffi-
ciles de l’Occupation, de s’opposer à l’ennemi, en le dénonçant
du haut de sa chaire” », révèle Semelin.
Punching-ball. L’opinion publique est un facteur que
des historiens comme Paxton, qui estime que les Français
furent antisémites, ont négligé. Cette opinion joue en sep-
tembre 1942 quand les Allemands demandent à Laval
50 trains de 1 000 Juifs chacun. Celui-ci refuse, non par
judéo philie, mais en arguant de sa position politique : les
préfets lui ont fait remonter l’indignation de la popula-
tion face aux arrestations. Il craint un affaiblissement du
régime. Or les Allemands ont besoin d’un pays stable et
sécurisé en prévision du débarquement. Ils cèdent. Par où
l’on voit encore que Vichy avait donc la possibilité de dire
non. « Un fait essentiel est l’intégration des Juifs français à la
nation, un héritage républicain. »
En faisant de Vichy l’alpha et l’oméga de la survie des
Juifs français, Zemmour trahit une autre falsification de
l’Histoire : pour lui, tout se décide au sommet de l’État, et
les citoyens n’ont qu’à obéir, réduits à l’état de choses pas-
sives. Faut-il s’en étonner chez un populiste? Semelin rap-
pelle qu’un autre facteur de survie des Juifs français (88 %
survivront) est leur propre réactivité. Nombreux furent
ceux à migrer dans la zone libre à partir de 1940 ou à se pro-
curer de faux papiers après 1943.
Depuis dix ans, Éric Zemmour fustige le discours du
Vél’ d’Hiv prononcé par Jacques Chirac en 1995 : « La France,
patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et
d’asile, accomplissait l’irréparable. » Un punching-ball com-
mode pour le polémiste, qui y voit l’acmé d’une intolérable
repentance. « Chirac est allé trop loin dans ce discours, estime,
pour d’autres raisons, Semelin. C’est aussi le sentiment de
Robert Badinter, qui m’a exprimé son indignation. » C’est aussi,
plus surprenant, l’avis de Christine Albanel, rédactrice de
ce discours, à qui Semelin a rendu visite : « Si je devais réé-
crire ce discours, je ne mettrais probablement pas “la France”.
C’est un abus de langage... Je mettrais probablement “Vichy” »,
déclare Albanel, qui admet avoir avancé en contrepoint mo-
bilisateur la notion de Justes, insuffisante. Mais le discours
de Chirac, très étudié à l’école, a imposé une seule vision au-
près des élèves : la France est coupable et les Français aussi.
« Hélas, il n’y a que cela qui imprime. » Un excès qui sert un
Zemmour, ravi de proposer un autre récit, déculpabilisant.
Serge Klarsfeld aime à citer cette phrase d’Isaac Schneer-
sohn, le fondateur du Centre de documentation juive
contemporaine, l’ancêtre du Mémorial de la Shoah : « Nous
pouvons dire d’après les pièces d’archives rassemblées, et cha-
cun de nous d’après nos expériences personnelles, que c’est le
peuple de France qui a sauvé deux tiers des Juifs de France. »
Un jour, il faudra que cette vérité imprime dans nos écoles,
auprès des Français... §
pas Vichy qui a sauvé les Juifs français, c’est d’abord leur intégra-
tion dans la société française qui les rendait moins arrêtables. » Le
grand apport de Semelin est d’avoir démontré qu’ils ont
été sauvés non pas grâce à Vichy, mais en dépit de Vichy.
« Même si l’opinion est xénophobe, différents facteurs vont réduire
les arrestations. Le silence des Français d’abord, qui consiste à ne
pas dénoncer. » Il met aussi en lumière les gestes de soli darité,
les réseaux d’entraide, entre non-Juifs et Juifs, très nom-
breux en France. Les nazis, qui avaient réclamé à Vichy
27 000 Juifs parisiens en juillet 1942, n’en obtiendront que
la moitié, l’autre moitié ayant été prévenue par des poli-
ciers ou la population.
Ce sont également les protestations des hommes d’Église
- Mgr Saliège, l’archevêque de Toulouse, et Mgr Gerlier,
l’archevêque de Lyon, notamment – après la rafle du
Vél’ d’Hiv, qui vont peser sur Vichy. Or le régime tire sa
Vél d’Hiv. Le secrétaire général de la police, René Bousquet (au centre),
a mis la police française au service de l’occupant.
Déportation. En 1942, de jeunes hommes incarcérés au camp de Drancy.
Au total, 24 500 Juifs français ont été déportés.
Le Point 2578 | 6 janvier 2022 | 93
SP – ADOC-PHOTOS – AFP