Le pays invisible
Je commence enfin à comprendre. Ils veulent simplement de lâargent
du cash de lâoseille. Jâai envie de ne pas me laisser faire de parlementer
de ne pas céder à leur chantage de refuser de payer. Je ne veux pas
entrer dans leur combine dans leur système de corruption. Mais il
faudrait du temps Odessa est encore loin et jâai faim. Il est 16 h 30 et je
nâai encore rien mangé depuis le matin. Déjà plus dâune demi-heure que
je suis dans cet imbroglio. En désespoir de cause je cède à leur demande
insistante de me soutirer des devises. Je leur donne ce qui me reste de
leur monnaie plus deux billets français. Une trentaine dâeuros au total.
Ils font une mine ostensiblement déconfite. Et moi je suis déçu de ne pas
pouvoir garder en souvenir un échantillon de monnaie du pays fantôme.
Jâen avais quand même caché quelques pièces sur le vélo.
- Pas plus dâargent?
- Non je nâai rien de plus sur moi.
Ce nâest pas dans mes habitudes de mentir et il est vrai que sur moi
câest tout ce que jâavais. Toutefois dans les sacoches du vélo Ã
lâextérieur il y avait ma banque. Heureusement que je nâai pas eu droit Ã
la fouille!
Une fois lâargent donné tout sâarrange. Une manière imparable
dâarrondir les fins de mois quand on vit dans ce pays. Une situation bien
résumée par la journaliste Judith Sinnigé : « Les adultes ont déserté la
région. Leurs quatre passeports â transnistréen moldave russe et
ukrainien â leur ouvrent des portes pour travailler dans les pays
limitrophes. Le pays est peuplé surtout par des grands-parents et leurs
petits-fils petites-filles. 500 000 hommes et femmes des retraités et des
enfants qui ont eu la malchance (ou la chance) de se trouver sur ces
terres qui nâétaient ni de Moldavie ni de Russie. Elles correspondent
plutôt à lâancienne Podolie de lâUkraine au moment où Staline a voulu
vers 1940 jouer au jeu de lâoie avec lâHistoire. Le temps sâest arrêté
pour eux à cette époque^59. »
Le climat se détend mon passeport européen réapparaît comme par
miracle sans même que je le réclame. Je le récupère et le serre entre mes
(^59) Iulia Badea Guéritée et Judith Sinnigé - presseurop.eu