Le bonheur est dans la fève
« manoir » dans un grand parc. Lâendroit idéal pour vivre une
adolescence apaisée. Ce domaine de Cathala nous changeait de notre
précédent logement un appartement au 4e étage en immeuble
préfabriqué à Mulhouse-Bourtzwiller.
Mon père sâoccupait de chauffer la maison en allumant les poêles que
nous alimentions en mazout une fois par jour. Durant ses absences
jâétais chargé de remplir le réservoir de celui du salon et ce jour-là le
bouchon du jerrican sâétait ouvert et des litres de mazout avaient coulé
directement sur le poêle. Une immense flamme avait jailli jusquâau
plafond. Jâavais failli mettre le feu à la maison! Le plus pénible avec cet
appareil câétait lâodeur qui vous prenait à la gorge et imprégnait tout le
salon jusquâau sortir de lâhiver mais câétait la seule pièce vraiment
accueillante et chauffée individuellement.
Jâavais réquisitionné cet endroit pour la durée des vacances et
confortablement installé sur le canapé je nâavais quâun programme : lire
lire et lire. Des livres dâaventures. Alors tantôt sur un côté tantôt assis
tantôt sur le dos je lisais sans mâarrêter. Les seules pauses étaient
consacrées à passer dans la pièce contiguë de lâautre côté du couloir au
moment des repas en famille. Tous les jours la même activité. Toute la
semaine. Toute la journée. Tous les soirs. Et câest ainsi que pendant huit
jours jâai lu des romans de Jules Verne lâauteur français le plus traduit
dans le monde. Jâai plongé dans ses voyages extraordinaires : jâai pris de
la hauteur au-dessus de la terre dâAfrique avec le Docteur Samuel assis
dans mon fauteuil métamorphosé en nacelle de ballon jâai frémi aux
côtés de Phileas Fogg dans sa quête du tour du monde en 80 jours (battu
depuis par un Anglais^67 qui à vélo lâa bouclé en 78 jours !) je me suis
endormi à côté du capitaine Nemo dans le silence éternel et mystérieux
des océans sur mon canapé transformé en sous-marin je me suis réveillé
en sursaut dans les entrailles du monde en mâagrippant à Axel et
Lidenbrock devant le feu de volcan du poêle à mazout jâai perdu mon
haleine à suivre Michel Strogoff en Russie je me suis caché sous mes
(^67) Mark Beaumont en 2017 - 372 km par jour!