tion locative financé par un prêt Helvet Immo
de 132 000 euros sur vingt-cinq ans. Depuis
onze ans, ils ont déjà remboursé 93 852 euros,
en réglant leurs traites mensuelles rubis sur
l’ongle. Mais à ce jour, ils doivent encore
157 944 euros à la banque. La faute à leur
contrat de prêt qui prévoit qu’en cas de hausse
de la devise suisse, le risque de change leur
incombe. Si, sur le marché monétaire, le franc
suisse venait à doubler ou tripler face à l’euro,
leur capital à rembourser doublerait ou triple-
rait également. D’où leur recours devant
la neuvième chambre du tribunal de Paris,
estimant que leur contrat comporte des
«clauses abusives». Mais jusqu’ici, la cour
d’appel de Paris, comme la Cour de cassation,
qui ont eu à examiner les recours de certains
emprunteurs ont toujours tranché en faveur
de la banque, considérant en substance que
le contrat de prêt ne posait pas de problème.
Ce que contestent vertement les clients de
BNP-Personal Finance, dont certains ont vu
leur vie abîmée ou leurs projets personnels
bloqués par leur prêt toxique. Ils estiment que
les juridictions françaises et notamment la
plus importante d’entre elles, la Cour de cas-
sation, font une lecture trop restrictive des
clauses abusives au regard de la jurispru-
dence de la CJUE, nettement plus protectrice
pour les consommateurs des pays de l’Union
européenne.
Confrontés à ces arguments, les magistrats
qui ont eu à examiner les dossiers des époux
Létocart à Paris, comme ceux de Lagny-sur-
Marne, ont donc décidé de demander à la
Cour de justice de l’UE de statuer sur des
«questions préjudicielles». En tout, la neu-
vième chambre du tribunal de grande ins-
tance de Paris formule huit questions qu’il
appartiendra à la CJUE de trancher. Elles
vont toutes dans le même sens. A savoir : en
vertu de la directive 93 / 13 de l’UE, le contrat
de prêt Helvet Immo comporte-t-il des
«clauses abusives»? La CJUE (qui siège au
Luxembourg) devrait réceptionner le renvoi
du TGI de Paris d’ici la fin de la semaine. Il
faudra ensuite attendre au moins un an pour
qu’elle rende sa décision. «Mes clients se féli-
citent de ces renvois préjudiciels initiés par les
juges confrontés à la réalité de ces prêts toxi-
ques. Ces saisines de la CJUE m’apparaissent
inéluctables tant la cour d’appel de Paris et
la Cour de cassation ont jusque-là refusé
d’appliquer la jurisprudence européenne
protectrice des consommateurs», souligne
l’avocat Charles Constantin-Vallet, qui
défend un collectif de 1 100 emprunteurs
Helvet Immo.
Pris au piège
Hasard du calendrier, début octobre, la CJUE
a rendu un arrêt sur un prêt, lui aussi toxique,
contracté dans un autre pays de l’UE, la Po-
logne, par les époux Dziubak. Ce prêt souscrit
en zlotys (la monnaie polonaise), mais
remboursable en francs suisses, fait étrange-
ment penser à Helvet Immo. En Pologne,
700 000 ménages se sont retrouvés dans la
panade avec des emprunts toxiques. Saisie
en avril 2018, la CJUE a donc statué le 3 octo-
bre sur le cas de ce couple. Dans son arrêt, elle
considère que leur prêt comporte bel et bien
des «clauses abusives». Ce qui veut dire que
tous les emprunteurs polonais concernés par
des prêts toxiques pourront obtenir répara-
tion. «La décision de la CJUE pourrait coûter
au secteur bancaire polonais entre 15 et
60 milliards de zlotys», indiquait l’AFP, citant
«des experts», dans une dépêche publiée
le 3 octobre (soit entre 3,5 et 14 milliards d’eu-
ros). Par le passé, la cour a rendu des déci-
sions similaires en faveur d’emprunteurs rou-
mains ou hongrois.
En France, le nombre de ménages concernés
est bien moindre que dans ces pays. Ce qui ne
constitue en rien un lot de consolation pour
ceux pris au piège de ces emprunts. Il faudra
sans doute au moins un an pour que la CJUE
rende son arrêt dans cette affaire de prêts
toxiques commercialisés dans l’Hexagone. «Il
revient désormais aux juges européens de pro-
téger les consommateurs français de la même
façon que les emprunteurs hongrois, roumains
ou encore polonais», espère Me Constantin-
Vallet.
Contacté par Libération, Philippe Metais,
avocat de BNP-Personal Finance, indique
qu’il «est exact que des questions préjudicielles
sont posées» à la Cour de l’UE. Mais «la juris-
prudence de la CJUE sur les prêts en devise a
d’ores et déjà été intégrée par la Cour de cassa-
tion dans ses nombreux arrêts dans l’affaire
Helvet Immo», estime Me Metais. Il considère
également que «dans l’affaire jugée par la
CJUE le 3 octobre [sur le prêt polonais, ndlr],
il n’était pas à notre connaissance demandé à
cette juridiction de se prononcer sur la clause
«P
ar ces motifs [...] le juge d’instance
[...] demande à la Cour de justice de
l’Union européenne de statuer sur
les questions péjudicielles.» Dans un langage
propre aux juristes, le président du tribunal
d’instance de Lagny-sur-Marne (Seine-et-
Marne) a décidé dans un jugement, en août,
de se tourner vers la Cour de justice de
l’UE (CJUE) pour qu’elle dise le droit dans un
litige relatif à un prêt immobilier toxique,
qu’un couple ne parvient plus à rembourser.
Dans cette affaire, BNP-Personal Finance
(filiale 100 % BNP-Paribas) demandait la sai-
sie – au mois le mois – d’une partie du salaire
d’un cariste à la Poste, Georges Bougazale.
En mars 2009, lui et son épouse, directrice
dans un hôtel, avaient emprunté 143 421 euros
pour l’acquisition d’un appartement dans le
cadre d’un dispositif fiscal (Robien, Scellier...)
qui permet des réductions d’impôts aux parti-
culiers qui achètent un bien immobilier dans
le but de le louer. Pour leur investissement,
le couple Bougazale s’est vu proposer un
«package», c’est-à-dire un appartement à
acheter avec à la clé un prêt tout ficelé dé-
nommé Helvet Immo, qui s’est transformé en
cauchemar. Très vite, le couple a rencontré
des difficultés pour le rembourser. Leur ap-
partement a été saisi et vendu aux enchères
au profit de la banque qui leur réclame...
192 268 euros. Face à une telle situation, le
juge a donc décidé de saisir la CJUE qui devra
dire si ce contrat de prêt contient des «clauses
abusives» au regard des directives européen-
nes sur la protection des consommateurs.
Vie abîmée
Début octobre, un autre jugement, rendu
cette fois par la neuvième chambre du tribu-
nal de grande instance de Paris, a décidé de
faire exactement la même démarche dans un
dossier qui concerne lui aussi un couple pris
dans la tourmente d’un emprunt Helvet
Immo. Ces prêts, souscrits en francs suisses
mais remboursables en euros, ont mis dans
la panade 4 655 ménages. Le capital qu’ils doi-
vent à la banque n’a cessé d’augmenter du
simple fait de la hausse de la monnaie helvé-
tique face à la devise européenne. Si le franc
suisse monte, leur capital à rembourser
grimpe automatiquement. Comme pour Yan-
nick Létocart et sa femme, Muriel. Eux aussi
ont voulu faire un investissement immobilier
pour se constituer un petit patrimoine en vue
de leurs vieux jours (lire-ci contre). Ils ont
acheté à l’automne 2008 un logement à voca-
EMPRUNTS
TOXIQUES
L’Europe,
juge de prêts
Par
TONINO SERAFINI
Le tribunal d’instance
de Lagny-sur-Marne et le tribunal
de grande instance de Paris ont demandé
à la Cour de justice de l’UE de statuer
sur la présence ou non de «clauses
abusives» dans deux contrats
de prêts Helvet Immo proposés
par BNP-Personal Finance.
France
16 u Libération Vendredi^18 Octobre 2019