Libération - 18.10.2019

(Ron) #1

Le voile rend fou. Il n’y a
pas d’autre mot. Pour la
énième fois, la scène
­publique est encombrée
par cette controverse picro-
choline autour d’un carré
de tissu. Un certain Odoul,
élu du RN, se croit un grand
héros parce qu’il a humilié
en public une mère de fa-
mille qui portait le voile
lors d’une sortie scolaire.
Marine Le Pen elle-même
a été gênée par cet éclat ab-
surde. Un certain nombre
de responsables politiques
de LR et du RN se sont en-
gouffrés dans cette mini-
brèche pour demander un
changement des règles. La
loi actuelle, disent-ils, est
ambiguë. Qu’en dit le guide
de la laïcité publié par
l’Education nationale? «Les
parents d’élèves peuvent,
lorsqu’ils participent à l’en-
cadrement d’une classe en
sortie scolaire, porter un si-
gne ou une tenue par lequel
ils manifestent une appar-
tenance religieuse, sauf si
leur comportement ou leur
discours traduisent une vo-
lonté de propagande ou de
prosélytisme.» On ne sau-
rait être plus clair.
La loi concerne les ensei-
gnants, qui doivent respec-
ter une stricte neutralité
politique et religieuse, et
les élèves du primaire et du
secondaire (pour la plupart
des mineurs). Non les pa-
rents, qui obéissent en ma-
tière de tenue vestimen-
taire sur la voie publique
à la loi générale. Notons
également que ces mères
accompagnantes n’ont pas
de rôle pédagogique. Et
souvenons-nous que la lé-
gislation française est l’une
des plus restrictives en ce
domaine parmi les grandes
démocraties. Proscrire les
femmes en foulard, c’est al-
ler bien plus loin. Aux ter-
mes d’un tel texte, il fau-
drait donc chasser les
mères concernées des sor-
ties scolaires ou bien les
obliger à venir tête nue.


Faudra-t-il que la police
­intervienne en cas de re-
fus? Il est vrai qu’elle n’a
pas grand-chose à faire.
Ou bien contraindre les
­enseignants à faire
­eux-mêmes la police, en
dehors des établisse-
ments? N’auraient-ils pas
d’autres chats à ­fouetter?
Ce rappel ne vaut en rien
approbation du voile. Dans
les pays musulmans, la
multiplication de ces signes
ostensibles a accompagné
la progression des partis is-
lamistes, dont les concep-
tions en matière d’égalité
hommes-femmes sont aux
antipodes des principes dé-
mocratiques. Difficile d’y
voir, comme le font certains
militants égarés, un indice
d’émancipation. C’est
d’ailleurs la raison pour la-
quelle on a appliqué de ma-
nière stricte le principe de
neutralité dans les classes,
dans la mesure où les si-
gnes ostensibles concer-
nent des enfants mineurs,
plus per­méables au prosé-
lytisme et aux normes de
fait. Toutes les musulma-
nes voilées ne sont pas isla-
mistes. Certaines respec-
tent la tradition de leur
pays d’origine ou sont très
pieuses. Comment faire la
différence? Elles sont sur-
tout des citoyennes qui ont
droit à un traitement égal
dans l’espace public. On
n’aurait pas l’idée d’inter-
dire à des religieuses catho-
liques de porter le voile
dans la rue... Et surtout,
l’Etat n’a-t-il pas mieux à
faire pour lutter contre la
radicalisation que de s’atta-
quer à des mères de famille
accompagnant leurs en-
fants? Remarquons que le
Conseil français du culte
musulman (CFCM), interlo-
cuteur privilégié de l’Etat
concernant le culte musul-
man, par la voix de son pré-
sident, Dalil Boubakeur, de-
mande «instamment» aux
autorités de «faire respecter
les règles de droit, qui s’ins-
crivent dans le cadre de la
loi de 2004 sur les signes os-
tensibles à l’école et celle
de 2010 qui interdit de dissi-
muler son visage dans l’es-
pace public». Autrement

dit, tout en protestant hau-
tement contre le traitement
réservé à la jeune mère voi-
lée, le CFCM se réfère expli-
citement à la loi républi-
caine, dont il demande le
respect. Ce qui revient à

dire qu’il en accepte les
principes d’équilibre laï-
que. Emmanuel Macron a
rappelé le distinguo élé-
mentaire entre liberté reli-
gieuse, vigilance à l’égard
du communautarisme et

lutte contre le terrorisme.
Sagement, Edouard Phi-
lippe a déclaré qu’il ne légi-
férerait pas plus avant sur la
question. C’est pourtant ce
que continuent de réclamer
les fiers défenseurs de

­principes républicains
­inventés par eux-mêmes
et exclusivement dirigés
­contre les musulmans.
­Décidément, le voile
rend fou.•
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Éditos/


Un foulard sur les yeux


Par Laurent
Joffrin
Directeur de la rédaction
@Laurent_Joffrin


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