Boris Johnson à Bruxelles, jeudi.
I
n extremis, un «deal» a été
conclu jeudi matin à Bruxelles,
au terme de deux nuits de dis-
cussions, afin d’éviter un catastro-
phique Brexit sans accord le 31 oc-
tobre. Même si l’Union européenne
a eu un geste en acceptant de rou-
vrir une négociation qu’elle affir-
mait définitivement close depuis
le 25 novembre 2018, date du pré-
cédent accord de divorce, c’est en
réalité Londres qui a fait l’essen-
tiel en acceptant la mise en place
de contrôles douaniers entre la
Grande-Bretagne et l’Irlande du
Nord. Tout un symbole... Les vingt-
sept chefs d’Etat et de gouverne-
ment de l’UE, réunis pour leur som-
met d’automne, l’ont adopté jeudi,
mais sans guère d’illusion sur sa
pérennité tant il est douteux que
la Chambre des communes l’ac-
cepte (lire ci-contre).
Produits prohibés
L’objectif de guerre de Boris
Johnson était d’avoir la peau du
backstop, devenu l’épouvantail des
Brexiters. Ce filet de sécurité avait
été imaginé par les équipes de Mi-
chel Barnier, le négociateur euro-
péen, pour éviter le rétablissement
d’une frontière physique entre les
deux Irlandes. En effet, l’absence de
contrôle policier et douanier, un er-
satz de réunification de l’île, était
l’un des piliers de l’accord du Ven-
dredi saint de 1998 qui a mis fin à
trente ans de guerre civile et dont
l’Union européenne est l’un des ga-
rants internationaux. Or avec le
Brexit, maintenir cette frontière ou-
verte est devenu un vrai casse-tête :
comment éviter qu’elle ne devienne
une porte d’entrée non contrôlée
dans l’UE? Imaginons que le Royau-
me-Uni décide d’importer des Etats-
Unis du bœuf aux hormones ou du
poulet lavé au chlore, deux produits
prohibés dans le marché intérieur :
rien n’empêcherait, en l’absence de
contrôle, de les faire passer en Ir-
lande puis dans l’UE... Pour ce qui
est des personnes, les choses sont
plus simples, Dublin n’étant pas
membre de Schengen. Le problème
n’a pu être résolu durant les vingt
mois de négociations qui ont suivi
l’activation de l’article 50 du traité
européen, le 29 mars 2017.
Il a donc été prévu, dans un proto-
cole annexé à l’accord de retrait,
qu’à défaut d’une solution pérenne
à l’issue de la période de transition,
durant laquelle le Royaume-Uni
restera dans le marché unique (mais
pas dans les institutions commu-
nautaires), soit en 2021 ou plus tard
si elle était prolongée, tout le pays
continuerait à appartenir à l’union
douanière européenne, sur le mo-
dèle de la Turquie. En clair, Londres
n’aurait pas pu négocier ses propres
accords commerciaux avec des pays
tiers (sauf en matière d’investisse-
ments et de services). Quant à l’Ir-
lande du Nord, elle serait restée
dans le marché intérieur des mar-
chandises. C’est ce protocole irlan-
dais qui a été renégocié.
Désormais, le texte prévoit que
seule l’Irlande du Nord restera dans
l’union douanière et dans le marché
intérieur à l’issue de la période de
transition, une solution qui avait
pourtant été rejetée par Londres dès
le début des négociations, car elle
impliquait des contrôles douaniers
au départ de Grande-Bretagne ou
à l’arrivée en Irlande du Nord. Mais,
et c’est une nouveauté, pour ne
pas l’isoler totalement de sa maison
mère, Belfast fera en même temps
partie de l’union douanière britan-
nique pour les produits destinés à
la consommation locale.
Lendemains migraineux
En pratique, toutes les marchan-
dises partant de Grande-Bretagne
devront donc respecter les normes
communautaires (pas de bœuf aux
hormones ou de poulet chloré) et se
verront appliquer les droits de
douane européens. C’est seulement
si les entreprises nord-irlandaises
peuvent ensuite prouver que
ces produits n’ont pas quitté le mar-
ché local qu’elles seront rembour-
sées des droits de douane euro-
péens... Une exemption qui ne sera
pas applicable aux produits desti-
nés à être transformés pour éviter
les fraudes.
Londres a aussi arraché que l’Ir-
lande du Nord puisse appliquer la
TVA à taux réduit que Dublin a pu
obtenir pour les produits agricoles,
les chaises roulantes ou les ser-
viettes hygiéniques par exemple,
afin que les conditions de concur-
rence soient les mêmes. Ce système
est permanent et non temporaire
comme le défunt backstop, mais il
devra être confirmé quatre ans
après l’entrée en vigueur de l’accord
de divorce à la majorité simple du
Parlement semi-autonome nord-ir-
landais, et régulièrement ensuite.
S’il décide d’y mettre fin, rien n’a
été prévu, ce qui annonce des len-
demains migraineux pour les Irlan-
dais. La «déclaration politique» qui
accompagne l’accord de retrait a été
modifiée en conséquence, afin
d’éviter que Londres ne se lance
dans le dumping tous azimuts. Elle
prévoit que le Royaume-Uni devra
s’engager, s’il veut un accord de
libre-échange généreux, à respecter
la politique européenne de concur-
rence ainsi que l’acquis commu-
nautaire dans les domaines envi-
ronnementaux, sociaux et de la
coopération fiscale.•
Par
Jean Quatremer
Correspondant à Bruxelles
Pour ne pas s’isoler
de la maison mère,
Belfast fera
également partie
de l’union
douanière
britannique
pour les produits
destinés à
la consommation
locale.
Monde
UE-Royaume-Uni
Un deal mais
toujours des doutes
Réunis pour leur sommet d’automne, les 27 Etats membres de l’Union
européenne ont validé un accord conclu avec le gouvernement
britannique, lequel a notamment accepté la mise en place
de contrôles douaniers à la frontière avec l’Irlande du Nord.
Mais le texte devra être accepté par les Communes samedi.
8 u Libération Vendredi^18 Octobre 2019