Le Monde - 26.10.2019

(Wang) #1

lui appartientpas :Haut-Bailly, en Pessac-Léognan.«Ilya
vingtetunans, quand j’ai démarré, ilyavait en effettrèspeu de
femmes au postedegérant.Même dans mafamille,ce n’était pas
évident. J’étais jeune, et j’ai eu lachanceque BobWilmers, le pro-
priétaire, qui était américain et sans douteplus ouvert d’esprit que
nos compatriotes de l’époque,m’ait fait confiance.Mais je devais
travailler doublementpour mefaireaccepter .Puis, un jour,au
bout de trois ans, onm’ademandé mon avis et je me suis inscrite
dans la durée. C’est dans les aspectstechniques qu’ilfaut savoir
gagner desgalons entant que femme.»Leséquipes deHaut-Bailly
sontaujourd’huiàparité,quecesoit àlavigne, auchai ou à
l’administration.«Ontravaille davantage en harmonie quand il
yaun équilibreentreles hommes et lesfemmes »,remarque
VéroniqueSanders.
Un équilibrequi se joue d’abordpendantles études.Àl’Uni versité
du vin de Suze-la-Rousse, dans laDrôme, la directricedes lieux,
Géraldine Gossot–qui n’est d’ailleurspas la premièrefemme à
occupercettefonction –, est enbonne placepour observer les
changements :«Aujourd’hui,nous formonsàpariténos œnolo-
gues.Dans laformation de viti-œno, elles sont45%alorsqu’il ya
quinze ans elles étaient30%.Dans lesformations de sommelier,
elles étaientmoins de 20%en1983 alorsqu’ellesreprésentent la
moitié des étudiants aujourd’hui.»Leschiffres sontidentiques
dans les autres écoles.La moitié des diplômés français en œno-
logie et en sommellerie de 2018 sontdes femmes.
Dans la production de vin elle-même, la proportion est infé-
rieure, mais surprendparson évolution. Selon le servicedesta-
tistiquesdu ministèr edel ’agriculture, 28 %des chefsd’exploi ta-
tions viti-vinicoles sontdes femmes. C’est deuxfois plus qu’en
1988 et unpeuplus que la moyenne nationaletous secteurs
confondus, puisqu’elles nereprésentent qu’un quart deschefs
d’entreprise dans lepays.Laproport ion atteintmême 37 %
parmi les viticulteursde60ans et plus:les femmes succèdent
souvent àleur conjointlorsqu’il prend saretraite.
En réalité, lesexploitations viticoles se sontlongtemps gérées en
tandem.Mais la femmerestait un acteur de l’ombre.«Ilrégnait
un discourscondescendantsur la duretédutravail,qui estréelle,
remarque SégolèneLefèvre, auteur du livreLesFemmes et
l’amour du vin(éditionsFéret, 2009).C’était surtout le précarré
des hommes.Lesfemmes participaientaux vendanges, c’esttout.
Dans les petites structures, elles étaientaussi le bras droit pour la
comptabilité, la vente,l’accueil des clients.Mais n’intervenaient
que trèsrare mentdans l’élaboration du vin.»L’accession auxfor-
mationsva tout changer :«Les femmes ontpugagner leurplace


grâc eaux diplômes,gage sdecompétence,reprend-elle.Et dans
des secteursplus compatibles avec une vie defamille, aux horaires
de travail plusréguliers. Ainsi,elles sontentré es enforcepar les
métiersdel’œnologie et de lacommunication.»
Dansune poignée de domaines viticoles, latendances’est même
inversée. Ce sontles hommes quiaccompagnentleurs femmes
vigneronnes, plus que l’inverse. Citons,àSaint-Émilion, au
Château Croix de Labrie,Axelle Courdurié, qui est vigneronne,
tandis que son mari, Pierre, s’occupedubureau. Ou encore, à
Condrieu,Paul Amsellem, qui s’occupe de la commercialisationet
de lacommunication du Domaine GeorgesVernay, dirigéparsa
femme, Christine.
Ces exemplesresten ttoutefoisrares. ChristineVernayest l’une des
quatrefemmes membres de l’Académie des vins deFrancesur
quarante adhérents.L’une decesacadémiciennes, depuis 2016,
VéroniqueDrouhin-Boss, née en 1962 auxHospices deBea une
–çanes’inventepas!–,f ait partie des premières œnologuesbour-
guignonnes. C’est LaurenceJobard, la premièrefemme danscette
profe ssion, qui luiaservi de guide.«Mon père,Robert Drouhin, en
avancesur sontemps, l’avait engagée àlafindes années 1970 pour
diriger le labo de notremaison de négoce,se souvient-elle.Quand
j’avais 10 ans, ellem’abeaucoup inspirée pour décider de macar-
rière.D’autantque, parmi les quatreenfants, j’étais la seuleàm’in-
téresser vraimentauvin.»Sonfrère Philippeinvestiralavigne,
tandis que ses autres frères s’occuperontdel ’aspectcommercial.
Surles traces de sa mère, la fille deVéronique,Lau rène Boss,
24ans, anotammenttrava illé, en Champagne,pour la maison
Krug, dirigée, elle aussi,parune femme,Mar garethHenriquez.
«Êtreune femme nem’ajamais posé de problème,affirme
VéroniqueDrouhin-Boss.C’estmême peut-êtrel’inverse. En
revanche, ilfaut reconnaîtreque, dans les instances profession-
nelles, on esttoujourssous-représentées.»De même queles
femmes sontencor epeu nombreusesàoccuper despostes àres-
ponsabilitédans les domaines les plusvastes et les plusréputés.
Ou serventencor edefaire- valoir,àl’instar des nombreuses sta-
giairesféminines souvent utiliséespour redorer l’image deschâ-
teaux sur lesréseaux sociaux.
«Elles font bouger le vin». C’est l’intitulé ducolloque qui setenait
àlaCitéduvin de Bordeaux,pour laJourné einternationaledu
droit desfemmes, en mars. Comme s’ilfallait rappeleràlap rofes-
sion et au grand public la nouvelle placeque lesfemmes ont
acquise.Aprè slap rojection d’un documentairedeVincentHerissé
sur lespatronnes de domaines viticolesbourguignons,
LesHéritières,quatr epersonnalités sontvenuesracont er leurpar-
cours. Directricedelacommunication de la maison dechampagne
Taittinger,sommelièredel’Élysée, fondatricedelachaireUnesco
«Cultur eett raditions du vin»oudirectriceducabinet deconseil
Wine Services, ellespartagent, outrelevin, quelquespoints com-
muns.Notammentcelui d’unparcoursatypique, semé debonnes
rencontres maisavec la nécessitédedevoir,àchaquefois, faireses
preu ves, da vantage que leurshomologues masculins.
Cause ouconséquence?Cette même Citéduvin estàl’image de
l’évolution du milieu:les trois quarts des salariés sontdes femmes,
àcommencerparlaprésidente de lafondationchargée de son
exploitation, Sylvie Cazes.«C’estavanttout un lieu culturel et qui
toucheàlacommunication, des secteursoùles femmes sonthabi-
tuellementtrèsprésentes,expliqueLaurenceChesneau-Dupin,
directricedelacultur edelafondationbordelaise.Il yaun rôle de
transmission, unrapport autemps qui lesconcerne particulièrement.
Avec leursqualités d’écoute, leurcapacitéàrassembler,elles sont
effic aces dansce domaine.»Ces arguments enfaveur desfemmes,
maintesfois avancéspour justifier leur présence,Lau rence
Chesneau-Dupin les prononceavecune pointe de gêne,tant elle
aconsciencequ’ils collentaux idéesreçues sur les qualitésfémi-
nines. Laudatifs ou non, lesclichés ontlap eaud’autantplus dure
qu’ils sontparfoisvéhiculésparles femmes elles-mêmes. Illustration Charlotte Molas pour

MLem

agazine du Monde

dossiervin
Free download pdf