Le Monde - 26.10.2019

(Wang) #1

undergroud de ses débuts, maisreste
un cent re majeur de l’artcontemporainchinois.
Si la plupartdes Étoiles ontréalisé unebelle car-
rière, seul AiWeiwei aune notoriétééquivalente
àcelle des starsdelapeinture chinoisecont em-
poraine, apparuesàpartir de 1985:Yue Minjun,
Zhang Xiaogang,Fang Lijun ouWang Guangyi.
«Dejeunes artistes se sontrévélés en 1985,
notammentcequ’onaappelé le mouvement
du réalisme cynique.Lesmembres des Étoiles
étaientextrêmementcourageux, mais ils se ser-
vaientdel’art pour protestercontre le régime.
Artistiquement, ilsn’étaientpas mûrs.Ils restaient
très influencés par Picasso etVanGogh. On ne
peut pas lescompareràd’autres mouvements
comme l’avant-garderusse ou le dadaïsme.
Ils n’ontpas changél’histoiredel’art »,note Xin
Dong Cheng, un galeristequi organise desexpo-
sitions d’artisteschinoisàtrave rs le monde.
Faut-il daterles débuts de l’artcontemporain
chinoisà1985 ouà1979?Ledébat continue de
fairerage parmi les intéressés.«Les commissaires
d’exposition onttendanceàlaisserLesÉtoiles
dans l’ombre, pour mieux mettreenvaleur la nou-
velle vague de 1985 et nouscoller l’étiquette “poli-
tiques”.Enfait, les artistes sontdes solitaires.
Comme lesagriculteurs.On ne s’intéresse pas à
la politique.Mais le contexte était particulier et les
difficultésavecle gouvernementnous ontobligés
ànous yintéresser»,analyseHuangRui.
Àl’origine du groupe,ce peintr epuissant, qui
associe l’artoccidentalàlatraditionchinoise, est
aujourd’hui la mémoiredes Étoiles. Chaque année,
fin septembre, ilréunit ses ancienscompagnons
qui vivent en Chine, et ne désespèrepas d’organi-
ser en décembre,àPékin, uneexposition sur 1979.


Surtout, dit-il,«Les Étoiles onteuune influence
directesur la génération1985».«Leur empreinte
amême dépassé le petit monde de la culturede
l’époque.Çaabouleversétoutela société.Les Ét oiles
et la revueAujourd’huiontété l’épicentredetous
les mouvements intellectuels qui ontrevendiqué
des réformes et davantage de libertés»,confirme
Feng Zhengjie, une des grandes figures de lapein-
ture kitschcontemporaine.«Les artistes les plus
jeunes ignorentLes Étoiles, quiresten tunsujet
tabou en Chine, et ils necherchentqu’àsevendrele
plus cher possible.Pour eux, seul l’argent re flètela
valeur d’une œuvre. Ils secontentent de copier
superficiellementl’art occidentaletveulentincar-
ner l’artcontemporain »,déploreWang Keping.
Âgéde70ans, il necessedepenseràlaphrase
de sonpère,quand, gamin, ilcommençait à
sculpter :«Toi,tufiniras en prison.»«Tout petit,
j’ai vucombien mon père, un écrivaincommuniste,
avait peur.PendantlaRévolution culturelle,tous
ses amis intelligentsavaientfini en prison. Il leur
demandait de ne surtout pasm’encourager»,
témoigne-t-il aujourd’hui.
La prédictionpate rnelle ne s’estpasréalisée.
En revanche, un membredes Étoilesn’yapas
échappé:LiShuang, la seulefemme du groupe.
Officiellement,pour une autreraison. Elle souhai-
tait épouser un diplomate français enposteà
Pékin. Uneunion interditeàl’époque, qui lui a
valu près de deux ans de prison, de 1981à1983.
C’est du moinsce que prétendentles autorités
ainsi que la presse.Mais aujourd’hui, dans son
appartementpékinois situéàquelquescent aines
de mètres ducent re artistique 798, c’est unetout
autrehistoireque LiShuang nousracont e.«J’ai
payé pourLesÉtoiles. Pendantdes semaines, jen’ai

étéinterrogée que surce mouvement.La police
voulait que je les dénonce. J’ai ététorturée, placée
dans l’obscuritétotale, dansce que je crois êtreun
puits quipuait tout ce quevous pouvezimaginer,
pendantune durée que j’évalueàvingt-cinq
heures, mais jen’ai jamais signé les papiersqu’ils
me soumettaient.Pendantlapremièreannée,
je n’ai eu le droitàaucune visite.Je n’ai ét élibérée
qu’au bout de deux ans, après que Mitterrand
aévoqué moncasavec Deng Xiaoping.»

Aujourd’hui,


la peintr equi vit entre
Fontainebleau etPékin
semble apaisée.«Lapeinturem’a sauvélavie.
Grâc eàelle, je vois le monde meilleur.»Elle n’en
veut pasàses anciens amis maisconstate, philo-
sophe, que«plus personnen’aenvie de parler de
ça.Dereconnaîtrequ’unefemmeaprotégé tout le
monde.Parailleurs, lefait d’épouser un étranger
n’était pasforcémentbien vu,ycompris parmiLes
Étoiles.»Mais, pour elle, l’essentieln’est paslà:
«Lemouvementajoué unrôle importantdans l’his-
toiredelaChine.Tout le monde voulait pousser la
porte.On l’a fait. Même si j’ai payé pourcela.»En
refusantdecollaboreravec lapolice, LiShuang,
qui occupepourtant une position unpeumargi-
nale au sein du groupe–elle neparticipepas aux
retrou vailles annuelles –, incarne,comme son ami
Ai Weiwei, lesvaleursdes Étoiles. C’est une des
fiertésdeHuangRui:«Jusqu’àcejour,aucun
membren’a acceptédecoopérerformellementavec
le système(...).Ça, c’est l’esprit des Étoiles, etcet
esprit est plus grand que les artistes qui ontparti-
cipé eux-mêmes au mouvement»,juge-t-il dans
l’intr oduction d’un livred’artqui vientdelui être
consacré(HuangRui, The StarsPeriod 1977-1984,
Asiaone, non traduit). Comme les étoiles dontla
lumièrecontinue de nousparvenir alorsmême
qu’elles sontparfois éteintesdepuis longtemps,ce
mouvementartistiquen’en finitpasd’éclairer la
scènechinoise,voireau-delà. Et si l’esprit de 1979
semblebeletbien avoir disparu dans la Chine de
2019 ,lap eur quecont inuentd’inspirerLesÉtoiles
montreque leurcombat pour la liberté de l’art
resteplus que jamais d’actualité.

“Les artisteslesplus jeunes ignoren tLes Ét oile s,


qui restentunsujet tabouenChine.Pour eux,


seul l’argent reflète la valeur d’uneœuvre.”Wang Keping


50


lemagazine

Chi Xiaoning, avec l’autorisation de la

Fondation Star

sArt.Michel

Lunardelli.

Tommaso Boddi/Getty

Images

forALAC/AFP

.Tobias Hase/Rue des Archives/Picture Alliance.

Patrick

Aventurier/Gamma-Rapho

via Getty Images. Bernar

dBardinet/Sipa. Juergen

Frank/Corbis via Getty Images
Free download pdf