Libération - 22.10.2019

(Michael S) #1
ni aux vaches, ni à la planète, of-
frons-leur! Sans leur dire que seu-
lement un quart du lait respecte
cet engagement (1). Il existe mal-
heureusement de très nombreux
cas de décalage entre le discours
écolo et les vraies pratiques des
entreprises.
L’information sur le greenwashing
s’est considérablement développée
au cours de la dernière décennie et
c’est tant mieux. Ainsi, le fameux
épisode de Cash Investigation sur
le «marketing vert» date de 2012
déjà. Il est donc devenu de plus en
plus coûteux et risqué pour les mar-
ques de se donner un coup de pein-
ture verte. Pourtant, ça continue et
rares sont les produits vraiment ir-
réprochables. Pourquoi? La ré-
ponse est enseignée en première
année à nos étudiants : «Pour ca-
ractériser le comportement du pro-
ducteur, l’analyse micro­écono­mique
suppose que son objectif principal
consiste à rendre son profit maxi-
mal.» Autrement dit, les entrepri-
ses visent simplement à dégager un
maximum de profit. Le profit est le
guide principal de leurs actions et
c’est le propre du capitalisme. La
question du siècle consiste donc à
savoir si on pourra changer le mode
de production et de consommation
dans un tel système. Ceci pour évi-
ter la trajectoire catastrophique que
nous annoncent les scientifiques
du Giec (2).
La bonne nouvelle est que les solu-
tions existent. De plus en plus de
(jeunes) économistes évaluent

l’impact carbone de notre mode de
production, de notre consomma-
tion et simulent les effets de diffé-
rentes mesures politiques pour ré-
duire cette empreinte carbone (3).
La mauvaise nouvelle est que pour
mettre en œuvre ces mesures, il va
falloir une énorme dose de courage
politique contre les lobbys écono-
miques et une coordination inter-
nationale sans précédent. Or les
entreprises le savent. Et si elles
font bien leur travail, elles sont en
train de l’intégrer dans leurs stra-
tégies. Toujours pour maximiser
leur profit. En cas de coordination
internationale insuffisante, les en-
treprises devront aller plus loin
que le greenwashing : il va falloir
concevoir des climatiseurs plus
puissants, des matériaux de cons-
truction qui résistent à la chaleur,
de nouveaux bitumes, de nou-
veaux plastiques, etc.
Autrement dit, de nouveaux mar-
chés vont s’ouvrir en cas d’échec
international et ces marchés né-

cessitent de l’innovation et des in-
vestissements. Les bons stratèges
l’ont déjà compris et certains sont
déjà probablement en train d’ima-
giner les produits permettant au
consommateur de vivre dans un
monde à +5°C. Pour maximiser
leur profit, les entreprises vont de-
voir allouer les investissements et
les efforts de recherche aux bons
endroits : monde neutre en car-
bone ou monde à +5°C? C’est le
pari des investisseurs en ce mo-
ment. Plus les politiques tergi­-
versent, plus le monde à neutralité
carbone s’éloigne et plus la pro-
messe de rentabilité se trouve dans
le monde à +5°C.
Ça s’appelle la plasticité du capita-
lisme : s’adapter coûte que coûte.
Quitte à accélérer la catastrophe
climatique. La détermination poli-
tique est cruciale pour diminuer
les promesses de rendement du
monde à +5°C. Mais nous devons
également nous mobiliser entre ci-
toyens. Nous avons donc besoin de
nouveaux lanceurs d’alerte pour
dénoncer les entreprises qui com-
mencent à travailler sur de tels
projets. Des suggestions pour un
nouveau hashtag? Je suis nulle en
marketing...•
(1) «Ice Cream on Trial, Ben and Jerry’s
Grapples with Accusation of
Greenwashing». The Middlebury Campus,
le 24 janvier.
(2) https://www.ipcc.ch/
(3) http://carbonconsumptionsurvey.eu/
Cette chronique est assurée en alternance
par Pierre-Yves Geoffard, Anne-Laure De-
latte, Bruno Amable et Iona Marinescu.

Economiques


Par
Anne-Laure Delatte CNRS

Du plastique à la


plasticité du capitalisme


Dans certaines entreprises, de bons stratèges
commencent déjà à s’adapter à un monde à +5°C.
Ces conditions invivables sont pour elles la
promesse d’innovations et de nouveaux marchés.

A


quoi ressemblera le monde
quand mes enfants auront
mon âge? Je me pose de
plus en plus la question et ça me
déprime. Mais certains y voient
l’opportunité de nouveaux mar-
chés. Tout a commencé avec le
greenwashing, cette tendance ap-
parue dans les années 2000 qui

consistait à inclure une promesse
de protection de l’environnement
dans toute communication marke-
ting. L’objectif des marques était
alors d’augmenter leurs ventes en
s’adaptant aux nouveaux souhaits
du consommateur : par exemple ils
veulent des glaces au bon lait qui
ne fait de mal ni aux agriculteurs,

peut continuer à enseigner l’ensemble des
savoirs, des sciences et des techniques, sans
passer sous les fourches caudines des inter-
dits religieux qui veulent régenter les corps,
nier la sexualité, séparer les garçons et les
filles.
Il me semble dégradant de s’en prendre à
cette accompagnatrice, comme le fit violem-
ment un élu RN à Dijon. Malgré tout, il ne
faut pas négliger que porter un voile est une
affirmation qui dépasse le spirituel. L’islam
comme le catholicisme ont le prosélytisme
constitutif. Ils ont par nature vocation à ré-
genter l’ensemble de la vie sociale, de l’ha-
billement à la nourriture, de la reproduction
aux genres de copulation.
Mais je ne cède pas à la paranoïa ambiante
pour autant. Je me fiche assez que les om-
bres en burqa défilent dans la rue et je l’auto-
riserais volontiers. Chacun a le droit de se
déguiser à sa guise, tant que les fonction­-
naires et les enseignants continuent à se
présenter à visage découvert.
Je me contrefous que le burkini soit la der-
nière tendance des bains de mer. Et ce tant
que l’on ne criminalise pas les nudistes. La
mer est assez grande et assez salée pour ac-
cueillir et corroder tout ça. Par contre, si le
burkini envahissait les piscines, je plonge-
rais dans le plus simple appareil, horrible
exhibition dont je suis certain qu’elle ferait
se rhabiller les enturbannées.
J’ajoute que je ne fétichise pas la loi de 1905.
Je pense qu’il faut que l’Etat subventionne
les mosquées comme il entretient ces
­monuments historiques que les églises sont
devenues. Ne vous y trompez pas, ma
propo­sition n’a rien de candide. Qui paye
commande! C’est parce que je n’ai aucune
confiance dans l’innocuité des clergés que

je préfère les tenir en laisse financière
courte et participer à la formation de leurs
­servants.
J’ai longtemps pensé que les croyances
­allaient se déliter, qu’elles allaient se diluer
dans le consumérisme individuel, dans le
matérialisme hédoniste. J’ai eu tort, ça
­résiste encore très fort. La Manif pour tous
continue son lobbying contre l’évolution des
parentalités, les évangéliques prospèrent
et inutile de gloser sur la façon dont le dé-
voiement islamiste complique fortement la
vie des musulmans de base.
Mon anticléricalisme sommeillait en cy-
clope fatigué. Il rouvre l’œil, et le bon. Et il
n’en revient pas de voir que lui font défaut
ses compagnons d’avant. La gauche com-
passionnelle est en train de passer avec ar-
mes et bagages du côté de croyances long-
temps abhorrées. Elle cogne toujours
autant sur le parti curé, et je serais bien le
dernier à le lui reprocher. Mais, voilà que
par impuissance sociale et culpabilité post-
coloniale, elle vole au secours des voilées et
des barbus qui n’ont rien de croyants hési-
tants ni de pratiquants lambda. D’une ori-
flamme noir corbeau sexiste et rétrograde,
elle fait un drapeau rouge. Des pires réac-
tionnaires en matière de mœurs, elle va fi-
nir par faire des héros arc-en-ciel. De ces
dévots zélateurs des théocraties les plus
pourries, elle fait des avant-gardes proléta-
riennes.
La pulsion victimaire qui transit la bien-
pensance dolente exonère les agenouillés
de toute responsabilité dans leur conserva-
tisme affirmé. L’émotion est mauvaise con-
seillère et l’affect torpille le discernement.
Et cela afflige mon athéisme émancipateur.
Qui se pince pour y croire...•

Ré/jouissance(s)


Par
Luc Le Vaillant

Ma profession de foi


anticléricale


Dénoncer l’agression d’une mère voilée à Dijon ne doit pas
faire oublier que les religions sont des dispositifs rétrogrades
que la gauche compassionnelle ne critique plus assez.

J


e ne suis pas spécialement laïc. Je suis
bien pire. Je suis un athée enragé, un
antireligieux féroce, un anticlérical ra-
dical. Je suis un bouffeur de curés, d’imams
et de rabbins, et aussi un pourfendeur de ces
nouvelles prosternations écoféministes de-
vant Gaïa, la déesse mère. Je boulotte tout
ça à la croque au sel, en Gargantua rigolard
et braillard.
Je me rêve petit frère en blasphème du mar-
quis de Sade. Je signerais volontiers après
Nietzsche l’avis de décès de dieu, à écrire dé-
sormais avec un «d» minuscule. J’ai beau-
coup aimé le traité d’athéologie de Michel
Onfray, quelles que soient ensuite les pi-
rouettes transcendantales de son auteur. Et
s’il le fallait vraiment, j’accepterais même de
me réincarner en petit père Combes, mous-

tache et chapeau cloche compris. Si je brûle
toujours d’écraser l’infâme, je m’efforce de
demeurer voltairien jusqu’au bout. Et je
plaide pour la liberté d’expression de ceux
avec lesquels je ne suis pas d’accord. Même
si je ne vous cache pas que ça me trouerait la
couenne de devoir me battre jusqu’à la mort
pour garantir des droits à ceux-là mêmes qui
m’en priveraient volontiers.
Je lance cette pierre de lave toujours fu-
mante dans la mare à polémiques autour du
voile musulman. Dans ce cloaque gar-
gouillant, les grenouilles que nous sommes
croassent avec délectation, moi le premier.
Sur les dernières querelles, je vais faire sim-
ple, sinon sommaire. Il me semble idiot d’in-
terdire aux mères à foulard d’accompagner
les sorties scolaires. Et ce tant que l’école

Plus les politiques


tergiversent, plus le


monde à neutralité


carbone s’éloigne


et plus la promesse


de rentabilité


se trouve dans le


monde à +5°C.


Libération Mardi 22 Octobre 2019 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 21

Free download pdf