Le Monde - 05.10.2019

(Marcin) #1

14 |france SAMEDI 5 OCTOBRE 2019


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Emmanuel Macron tente de rassurer sur les retraites


Lors d’un « grand débat » à Rodez, le chef de l’Etat a défendu trois heures durant le bien­fondé de sa réforme


Le chef de l’Etat cajole la presse régionale


Macron se rapproche de titres qu’il avait délaissés lors de la première partie du quinquennat


R


epriser par la base sa rela­
tion aux Français. Voilà le
but affiché d’Emmanuel
Macron, lancé depuis la crise des
« gilets jaunes » dans une opéra­
tion de reconquête du pays et plus
particulièrement des « territoi­
res », selon une expression sou­
vent utilisée à l’Elysée. Une ambi­
tion qui passe notamment par
une relation renouvelée à la
presse quotidienne régionale, par­
fois ignorée au début du quin­
quennat. Manière d’essayer de
surmonter l’image de « président
des riches » ou de « président des
villes » que les oppositions de gau­
che et de droite ont accolé au chef
de l’Etat.
Ce n’est pas un hasard si le prési­
dent de la République a décidé
d’organiser, jeudi 3 octobre, à Ro­
dez, son premier grand débat sur
la réforme des retraites en collabo­
ration avec le groupe La Dépêche
du Midi, qui avait sélectionné 500
de ses abonnés pour l’interroger.
Des questions avaient également
été adressées par les autres titres

de la presse locale par le biais du
Syndicat de la presse quotidienne
régionale (SPQR). « L’acte II, c’est
aussi la redécouverte du rôle fon­
damental de la presse et notam­
ment de la presse quotidienne ré­
gionale, assure­t­on dans l’entou­
rage de M. Macron. C’est un outil
important pour expliquer aux
Français le sens de nos réformes. »

Plus d’appétence pour « Forbes »
Cette inclination devait se confir­
mer, vendredi, avec un déplace­
ment du chef de l’Etat à Clermont­
Ferrand pour célébrer, cette fois,
les 100 ans du journal La Monta­
gne. « Un titre de presse historique,
ancré dans son territoire et large­
ment diffusé en Auvergne et dans
le Limousin », a souligné l’Elysée
dans un communiqué. « La Mon­
tagne, en Auvergne, c’est aussi im­
portant que les volcans! », justifie­
t­on dans l’entourage d’Emma­
nuel Macron. Le journal compte
aussi particulièrement en Cor­
rèze, terre d’élection de Jacques
Chirac, où un hommage doit être

rendu, samedi, à l’ancien prési­
dent de la République, décédé le
26 septembre.
Emmanuel Macron, assure son
entourage, serait au fond un
grand amateur de presse régio­
nale. Selon un proche, il jette ainsi
un œil tous les matins sur les
« unes » des 66 titres qui maillent
le territoire français sur un site du
SPQR. Avec une appétence parti­
culière pour Ouest­France, le plus
fort tirage de la presse quoti­
dienne (nationale et régionale
confondues), qui rayonne dans
une zone de tradition centriste fa­
vorable à ses idées. « C’est le seul
journal qu’il lit en version papier,
avec L’Equipe », s’amuse un dé­
puté de la majorité qui fait en
sorte d’y publier des tribunes
pour être certain d’être lu par le
chef de l’Etat.
Durant la première partie du
quinquennat, Emmanuel Macron
avait pourtant montré plus d’ap­
pétence pour les médias audiovi­
suels ou les « unes » des grands ti­
tres de la presse internationale,

comme Time ou Forbes. Au prin­
temps 2018, l’ancien ministre de
l’économie avait même accepté
d’être suivi plusieurs jours par un
journaliste de Vanity Fair et Annie
Leibovitz, la photographe des
stars hollywoodiennes. Certes,
Ouest­France a pu réaliser un en­
tretien avec lui dès juillet 2017.
Mais ce n’est qu’en mai 2019, quel­
ques jours avant les élections
européennes, que le chef de l’Etat
a donné sa première grande inter­
view à l’ensemble de la presse ré­
gionale. La Voix du Nord et Le Télé­
gramme avaient lors refusé d’y
participer, expliquant ne pas ac­
cepter que l’Elysée impose de re­
lire l’entretien avant publication.
A l’heure où certains plaident
pour qu’Emmanuel Macron
mette davantage en avant ses ra­
cines provinciales, l’enjeu n’est
pas sans importance. Jacques Chi­
rac avait déclaré sa candidature à
l’élection présidentielle de 1995
dans un entretien à La Voix du
Nord. Quid du Macron de 2022 ?
o. f. et c. pi.

rodez ­ envoyé spécial,

O


n prend les mêmes et
on recommence. Six
mois après la dernière
session du grand dé­
bat national, qui s’était tenue le
4 avril en Corse, Emmanuel Ma­
cron a repris, jeudi 3 octobre à Ro­
dez, son bâton de pèlerin et son
tour de France des territoires. Non
plus cette fois pour juguler la crise
des « gilets jaunes », mais pour
convaincre les Français du bien­
fondé de sa réforme des retraites,
qui s’annonce comme l’un des
chantiers les plus explosifs du
quinquennat.
Avec une heure de retard sur le
programme prévu, du fait de l’at­
taque au couteau à la Préfecture
de police qui l’avait retenu à Paris
plus tôt dans l’après­midi, le chef
de l’Etat a répondu, durant un peu
plus de trois heures, aux ques­
tions d’un panel de 500 lecteurs
de La Dépêche du Midi, à quelques
pas du musée consacré au peintre
Pierre Soulages, le maître de
l’« outrenoir ». Un événement ini­
tialement programmé le 26 sep­
tembre mais qui avait dû être re­
porté après l’annonce de la mort
de Jacques Chirac.
Conscient qu’« il y a beaucoup
de peurs » sur la question des re­
traites, Emmanuel Macron s’est
avant tout attaché à rassurer sur
ses intentions et à lever les « ma­
lentendus ». Il a ainsi confirmé
que les retraités actuels ne se­
raient pas concernés par la ré­
forme. « Quand on est retraité, on
n’est pas touché (...) quand on est à
cinq ans de la retraite, on n’est pas
touché », a déclaré le chef de l’Etat,
debout seul au milieu d’un cercle
de chaises, position qu’il affec­
tionne. « La transition va se faire
sur quinze ans », a­t­il également
promis, à compter de la mise en
place du nouveau système
en 2025. Il a aussi garanti que l’âge
légal de 62 ans ne sera pas modifié
et que « tous les droits acquis
en 2025 [seront] gardés ».
Le président ne veut d’ailleurs
pas parler de « réforme » des re­
traites mais préfère évoquer un
« projet de société ». « Je veux qu’on
aille vers un système qui construit
l’avenir, c’est­à­dire positif » et non
mener une « réforme financière
pour les deux prochains mois », a­
t­il déclaré. « Le niveau de vie des
retraités ne doit pas être dégradé, il
doit être le même et continuer à
progresser », a­t­il ajouté, assurant
qu’il comptait mettre en place des

« règles d’or » fixant les caractéris­
tiques « intangibles » du nouveau
système (âge de départ, valeur du
point, etc.).
Mais le chef de l’Etat a aussi mis
en garde contre toute « solution
magique ». « Il ne faut pas se men­
tir, il faudra cotiser plus » à cause
de l’évolution démographique et
de l’allongement de la durée de
vie, a­t­il expliqué. « Il faudra
peut­être travailler plus en 2025 si
le système n’est pas équilibré. » De
même, M. Macron a confirmé que
les 42 régimes spéciaux seront
supprimés, un point contesté par
certains syndicats et qui a déjà
provoqué plusieurs manifesta­
tions catégorielles depuis la ren­
trée. Mais il s’est engagé à prendre
en compte la pénibilité de cer­
tains métiers et a évoqué un sys­
tème de « points bonus » pour cer­
taines professions, notamment
les forces de l’ordre.

« Règle d’or »
Plus prudent qu’à son habitude,
le président s’est en tout cas
gardé de réitérer l’erreur com­
mise à Biarritz (Pyrénées­Atlanti­
ques), fin août, lorsqu’il avait in­
diqué sa préférence pour un al­
longement de la durée de cotisa­
tion plutôt qu’un recul au­delà de
64 ans de l’âge pivot pour pou­
voir toucher une pension à taux
plein. « Je n’ai pas purgé le débat »,
a assuré Emmanuel Macron, qui
ne veut pas donner le sentiment
que tout est joué d’avance. Il a en
revanche promis qu’il n’y aura
aucune retraite à taux plein à
moins de 1 000 euros, « ce sera
dans la règle d’or ».
Si Emmanuel Macron a choisi
de s’impliquer dans cette ré­
forme, qui devrait déboucher sur
une « loi­cadre » à l’été 2020, c’est
parce qu’il estime qu’il n’a pas le
choix. « Cette réforme a un pro­
blème : elle est incomprise. Ce sont
les retraités qui gueulent !,
s’étonne un proche du premier
ministre, Edouard Philippe. Pen­
dant la crise des “gilets jaunes”, les
gens se sont dit que Macron leur
faisait les poches. Maintenant, ils
pensent qu’il veut leur prendre

leur retraite! » Selon un sondage
Elabe publié jeudi, la crainte
d’une diminution du montant
des pensions est le deuxième
motif d’inquiétude des Français
et 43 % des personnes interro­
gées restent opposées à la ré­
forme des retraites.
Pas question, donc, de se con­
tenter de discuter avec les syndi­
cats, et ce même si l’exécutif ne
cesse de se mettre en scène avec
les partenaires sociaux depuis la
rentrée. « A considérer qu’il y avait
des tas de débats qui étaient pour
les grandes personnes, on a créé
les “gilets jaunes”. La taxe carbone,
c’était un débat de spécialistes »,
rappelle une ministre.
« Le président a compris que la
légitimité de l’élection ne suffit
plus », ajoute un poids lourd de la
majorité. Le format du grand dé­
bat permet, de plus, de continuer
à défendre la spécificité du ma­
cronisme. « Le jour où les Français
commenceront à considérer que
nous sommes des politiques
comme les autres, on trahira la
promesse initiale », estime un
membre du gouvernement. Pour
autant, Emmanuel Macron n’en­

tend pas se surexposer. Ou, en
tout cas, pas pour le moment. « Le
président ne va pas faire des dé­
bats sur les retraites toutes les se­
maines. Ce sera à Edouard Phi­
lippe, Agnès Buzyn et Jean­Paul
Delevoye de prendre le relais et de
diriger la manœuvre », explique­
t­on à l’Elysée.
Lors de l’université d’été du Mo­
Dem, le 29 septembre à Guidel
(Morbihan), le premier ministre a
déjà précisé quelques points de la
réforme. Il a notamment assuré
que la valeur du futur point de re­
traite serait fixée par une autorité
indépendante, ce qui était une de­
mande des syndicats.
Pour Emmanuel Macron, le dé­
bat sur les retraites de Rodez mar­
que aussi le coup d’envoi de son
opération « Reconquista » des ter­
ritoires, alors que la crise des « gi­
lets jaunes » a donné le sentiment
d’une fracture entre l’exécutif et
une partie des Français vivant en
province. Après la préfecture de
l’Aveyron, le chef de l’Etat devait
se rendre dans le Puy­de­Dôme,
vendredi.
olivier faye (à paris)
et cédric pietralunga

Emmanuel Macron,
à Rodez, jeudi 3 octobre.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »

Clermont­Ferrand,


« à la croisée des présidents »


I


l y a deux ans, c’est au bord du lac Chauvet qu’Emmanuel
Macron avait promis à l’ex­sénateur du Puy­de­Dôme Mi­
chel Charasse qu’il reviendrait célébrer les 100 ans du quo­
tidien La Montagne, à Clermont­Ferrand. Une ville qui occupe
une place singulière dans l’imaginaire politique français, cons­
tituant un fil invisible entre les présidents.
Dans le sillage de son arrière­grand­père, Agénor Bardoux,
qui fut maire de Clermont­Ferrand, Valéry Giscard d’Estaing se
présenta dans la capitale auvergnate en 1959 et 1995, en vain.
Avant de se faire élire (1967­1974) dans la commune voisine de
Chamalières, d’où il lança sa campagne présidentielle : « Je veux
regarder la France au fond des yeux. »
Cinq ans plus tôt, lors de la campagne présidentielle de 1969,
c’est à Clermont­Ferrand que Georges Pompidou, natif de Mont­
boudif, dans le Cantal voisin, avait choisi de donner son dernier
meeting avant le premier tour. Recevant ce soir­là le soutien de
Valéry Giscard d’Estaing. « Clermont­Ferrand a toujours été à la
croisée des présidents », observe le député (MoDem) du Puy­de­
Dôme Michel Fanget, rappelant que ces derniers ont laissé des
« traces » : Giscard a œuvré pour l’A75, l’autoroute qui relie
Clermont à Béziers, tandis que Chirac a milité pour l’A89, qui va
de Clermont à Bordeaux, en passant par son fief, la Corrèze.

Berceau des Michelin et des luttes sociales
De son côté, François Mitterrand entretenait des liens de cœur
avec Clermont­Ferrand, où vivait sa maîtresse, Anne Pingeot.
En 1981, lors du débat télévisé d’entre­deux­tours de la présiden­
tielle, « VGE » avait tenté de déstabiliser son adversaire en lui rap­
pelant ses liens avec Clermont, « une ville que vous connaissez
bien »... Elu président, Mitterrand déjeunait chaque été avec des
intimes dans la région, au lac Chauvet. « Regardez comme c’est
beau », murmurait­il en contem­
plant la forêt de vieux hêtres ou la
vue sur le puy de Sancy. En 1998, lors
des obsèques de l’ex­maire de
Clermont, Roger Quilliot, c’est Fran­
çois Hollande, alors premier secré­
taire du PS, qui prononça son éloge.
Au­delà de Clermont­Ferrand,
berceau des Michelin et des luttes
sociales, seule ville de plus de
100 000 habitants à être restée so­
cialiste depuis la Libération, le Massif central a joué « un rôle de
légitimation politique pour tous les présidents, en quête d’enraci­
nement », explique l’historien Mathias Bernard, président de
l’université Clermont­Auvergne. « C’est le centre fantasmé d’une
France ancienne, Vercingétorix n’est pas loin, on y va chercher la
terre, le bain d’argile y vaut onction nationale », ajoute un con­
seiller élyséen.
En janvier 2018, M. Macron s’était rendu deux jours dans le
Puy­de­Dôme. L’occasion pour ce jeune président sans ancrage
de mettre ses pas dans ceux de ses prédécesseurs. Il avait clos
son déplacement par un déjeuner au lac Chauvet, au cours du­
quel Michel Charasse avait raconté que Mitterrand, avant de re­
joindre les rives, passait toujours par Montboudif, pour se re­
cueillir sous le préau de l’école où jouait Pompidou, enfant. Le
président du conseil départemental du Puy­de­Dôme, Jean­
Yves Gouttebel, avait offert à Macron la même canne de mar­
che que Mitterrand. « Une filiation politique dans laquelle Ma­
cron entend s’inscrire », explique un proche.
Dans le discours qu’il devait prononcer vendredi soir, pour les
100 ans de La Montagne, le chef de l’Etat devait louer « l’art
d’être auvergnat », indissociable de « l’art d’être français », de­
venu une antienne depuis le printemps.
solenn de royer

« C’EST LE CENTRE 


FANTASMÉ D’UNE 


FRANCE ANCIENNE », 


SELON UN CONSEILLER 


ÉLYSÉEN


« Il ne faut
pas se mentir,
il faudra
cotiser plus »
EMMANUEL MACRON
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