Le Monde - 05.10.2019

(Marcin) #1
0123
SAMEDI 5 OCTOBRE 2019 france| 15

A Lyon, guerre fratricide entre Collomb et Kimelfeld


Dans l’impasse face à l’ex­ministre, le président de la métropole menace de se passer de l’investiture de LRM


lyon ­ correspondant

T


ous les signaux sont au
rouge. La rupture paraît
définitive entre Gérard
Collomb et David Kimel­
feld, candidats à l’investiture de
La République en marche (LRM)
pour les prochaines élections
de la métropole et de la mairie de
Lyon, en mars 2020. A l’issue
d’une semaine de tensions, une
réunion de la dernière chance a
été programmée à l’hôtel de ville,
vendredi 4 octobre en fin d’après­
midi, entre les deux rivaux. Per­
sonne ne croit plus à une entente,
ni même à une forme de réparti­
tion des candidatures entre mai­
rie et métropole, en vue du double
scrutin du printemps prochain.
La rencontre en « bugne à bugne »,
selon l’expression lyonnaise,
risque fort de tourner court.
Avec cette concurrence intes­
tine, le cas lyonnais vient s’ajou­
ter aux situations déjà épineuses
que la commission nationale
d’investiture de LRM n’a toujours
pas tranchées. Il faudra sans
doute l’impulsion du président
de la République pour mettre
un peu d’ordre dans ce berceau
de la Macronie. Ça tombe bien,
Emmanuel Macron est attendu

mercredi 9 octobre à Lyon, à l’oc­
casion de la conférence mondiale
de reconstitution des ressources
du fonds mondial de lutte contre
le sida, la tuberculose et le palu­
disme. Parviendra­t­il à rappro­
cher les deux frères ennemis?
Rien n’est moins sûr.
Redevenu maire de la capitale
des Gaules après sa démission du
gouvernement en octobre 2018,
Gérard Collomb souhaite coûte
que coûte reconquérir son fau­
teuil de président de la métro­
pole, persuadé d’avoir l’expé­
rience et la notoriété indispensa­
bles pour diriger la deuxième
métropole française. Sûr d’incar­
ner le « nouveau monde », David
Kimelfeld se sent pousser des
ailes depuis qu’il en a pris la prési­
dence, à la faveur de la prise de

fonctions ministérielle de l’édile
lyonnais. M. Macron avait déjà
invité les deux hommes à s’enten­
dre, lors de son précédent dépla­
cement à Lyon, le 8 juillet. M. Col­
lomb et M. Kimelfeld ont sauve­
gardé un temps les apparences,
en posant tout sourire devant les
photographes à l’occasion de visi­
tes communes de chantiers de
l’agglomération, fin août.

Provocation de trop
La discussion ne s’est jamais
vraiment engagée. Kimelfeld a
repoussé la proposition d’un par­
tage du mandat, proposant à son
tour à l’ancien ministre une délé­
gation internationale, conforme à
sa stature. En réplique à ce poste
de prestige sans réel pouvoir, Gé­
rard Collomb lui a alors soumis
l’idée d’en faire son simple direc­
teur de campagne. La provocation
de trop. « Leur dernière rencontre
en tête à tête cet été a été polaire »,
confie un membre de leur entou­
rage. « La sagesse va finir par l’em­
porter », répète M. Collomb aux
élus qu’il contacte pour constituer
ses listes, affichant une confiance
à toute épreuve dans le choix de la
commission d’investiture LRM.
Cette semaine, le maire de Lyon
a enregistré le soutien public de

Fouziya Bouzerda, adjointe à la
mairie, vice­présidente à la mé­
tropole et présidente du Sytral,
syndicat des transports en com­
mun lyonnais. Dans une longue
interview au Progrès, mercredi
2 octobre, l’élue MoDem a loué sa
« notoriété locale et nationale »,
« sa gouvernance qui repose sur
des projets plus que sur des postu­
res dogmatiques », tout en crai­
gnant une politique de « décrois­
sance ». Dès le lendemain, David
Kimelfeld a retiré la délégation de
la vice­présidente à l’insertion et
à l’économie, considérant qu’elle
allait trop loin dans la critique de
sa propre action. Les élus doivent
choisir leur camp dans ce duel
fratricide digne des Atrides.
David Kimelfeld, 58 ans, ancien
secrétaire départemental du PS
reconverti LRM, veut signifier
que le temps de Gérard Collomb,
72 ans, est révolu, après trois man­
dats successifs. Il se veut plus
social et écologiste que son
ancien mentor, donc plus apte à
nouer des accords gagnants au se­
cond tour. Il explique tout cela
dans une tribune publiée jeudi
par le Huffington Post, dans
laquelle il interpelle les instances
nationales de LRM. L’élu lyonnais
regrette « un mode de désignation

de nos candidats qui ignore
souvent les spécificités territoria­
les, les équilibres politiques locaux,
une démarche trop verticale et
finalement éloignée des principes
à la source de notre mouvement ».
En citant Nice, Marseille, Bor­
deaux, Lille, Montpellier, M. Ki­
melfeld en appelle au « renouvelle­
ment des usages et des visages ». Il
ajoute : « Le temps de la campagne
est lancé, il est donc urgent que la
commission nationale d’investi­
ture auditionne les candidats sur la
base de leur projet, leur profil, et
leur capacité de rassemblement sur
leur territoire. » Faute du « respect
de ces principes », David Kimelfeld
prévient qu’il sera contraint au
« choix de l’émancipation ». Le
message est clair : il sera candidat
à la métropole, investiture ou pas.

Pétition
Placé dans l’impasse par Gérard
Collomb, qui n’est pas pressé
d’obtenir l’investiture officielle,
et par un parti qui ne se prononce
pas, David Kimelfeld joue son
va­tout. « Je rentre en campagne,
on ne peut plus attendre », a­t­il ré­
pété sur l’antenne de BFM­Lyon,
jeudi soir. Le « président sortant »,
comme il aime lui­même s’appe­
ler, a prévu un premier meeting le

16 octobre. Cet été, une pétition
en sa faveur a rassemblé plus de
350 signatures parmi les mili­
tants d’En marche! Pour démon­
trer le soutien du terrain et contre
les manœuvres d’appareil, David
Kimelfeld s’apprête à faire passer
à la direction nationale du parti
un autre appel à sa candidature.
« Nous approchons du millier de si­
gnatures, au­delà des militants »,
affirme son entourage.
Samedi 28 septembre, M. Ki­
melfeld a présenté une première
expérimentation de piétonnisa­
tion complète du centre­ville de
Lyon, menée par la métropole.
Cette fois­ci, sans avoir invité le
maire. Il a longuement déambulé
dans les rues sans voiture, en
se félicitant de sa méthode de
concertation, de la baisse du bruit
et de la pollution. Autant de thé­
matiques qu’il prétend mieux
maîtriser. Il a stoppé devant d’im­
menses bacs à fleurs, tout récem­
ment installés sur la voirie par la
ville en guise de végétalisation.
« Il faudra peut­être se poser la
question de l’emplacement de ces
pots de fleurs », a­t­il moqué,
comme si le remplacement du
mobilier urbain présageait un
changement politique.
richard schittly

Territoires : le Conseil d’Etat plaide pour la différenciation


Une étude diligentée par le premier ministre propose de donner plus de marge de manœuvre aux collectivités


L’


étude du Conseil d’Etat
publiée jeudi 3 octobre,
réalisée à la demande du
premier ministre, ôte une belle
épine du pied à l’exécutif. Il s’agis­
sait en effet de dresser un bilan
des expérimentations menées
par l’Etat, ses opérateurs et les
collectivités territoriales depuis
2003, date de l’inscription de leur
principe dans la Constitution.
L’expérimentation permet de dé­
roger à une loi ou à un règlement
pendant un temps limité, comme
le précisent l’article 37­1 de la Cons­
titution et, pour ce qui concerne
les collectivités territoriales, l’arti­
cle 72 de la Loi fondamentale.
Toutefois, si 269 expérimenta­
tions ont été conduites, depuis
2003, dans des domaines divers


  • comme le RSA, la garantie jeu­
    nes, le Pass culture ou le service
    national volontaire, pour ne rete­
    nir que quelques­unes d’entre el­
    les –, elles se heurtent encore à de
    nombreux freins. Le principal
    d’entre eux étant que l’interpréta­
    tion faite jusqu’à présent de la loi
    tend à limiter la sortie de l’expéri­
    mentation à une simple alterna­
    tive : son abandon ou sa générali­
    sation. Pour ce qui est des collecti­
    vités territoriales, le bilan est
    encore plus réduit : seulement
    quatre expérimentations condui­
    tes en quinze ans. « Le cadre fixé
    par la loi organique du


1 er août 2003 relative à l’expéri­
mentation par les collectivités
territoriales en application de l’ar­
ticle 72 de la Constitution apparaît
excessivement contraignant »,
relève le Conseil d’Etat.
Aussi le projet de loi constitu­
tionnelle « pour un renouveau de
la vie démocratique » présenté en
conseil des ministres le 29 août
prévoit­il, dans son article 10, de
modifier l’article 72 de la Consti­
tution pour permettre à des
collectivités territoriales d’exer­
cer, dans certaines conditions,
des compétences qui ne sont pas
celles de leur catégorie ou de
déroger aux dispositions législa­
tives ou réglementaires régissant
l’exercice de leurs compétences,
au­delà d’une période limitée
dans le temps. Ce qu’on appelle le
principe de « différenciation ».

Procédure « trop lourde »
Problème : si les collectivités sont
effectivement très demandeuses
de ce droit à la différenciation, le
projet de Loi constitution­
nelle est, lui, pour l’instant en cale
sèche, faute d’un accord global,
incluant la réduction du nom­
bre de parlementaires, entre
le gouvernement et le Sénat.
Jusqu’où le gouvernement
peut­il, dès lors, faciliter le droit
d’expérimentation et ouvrir le
champ de la différenciation sans

passer par une révision constitu­
tionnelle? La réponse du Conseil
d’Etat apporte un éclairage
nouveau, dans la perspective du
projet de loi dit « 3D » – décentrali­
sation, différenciation, déconcen­
tration – qui devrait être présenté
au printemps 2020, après les élec­
tions municipales.
Le Conseil souligne que, pour
les collectivités territoriales, « la
procédure à suivre pour participer
à ce type d’expérimentation est
trop lourde ». La loi organique de
2003 prévoit en effet pas moins
de sept étapes dont la complexité
juridique est en elle­même
dissuasive. L’autre frein majeur
tient à ce que l’issue de l’expéri­
mentation prévue par la loi orga­
nique est par trop « binaire ». Elle
écarte une pérennisation par­
tielle de l’expérimentation enga­
gée. « Certes, une telle pérennisa­
tion partielle pourrait se heurter
au principe constitutionnel d’éga­
lité, mais pas nécessairement ni
toujours. En matière de règles
d’exercice des compétences des
collectivités territoriales, le prin­
cipe d’égalité n’est pas un prin­
cipe d’uniformité », considère le
Conseil d’Etat.
L’institution du Palais­Royal
formule plusieurs propositions
pour permettre aux collectivi­
tés territoriales d’exercer plus fa­
cilement leurs prérogatives de

manière différenciée. Le Conseil
recommande tout d’abord de
modifier la loi organique pour
alléger les contraintes procédura­
les, notamment en mettant fin à
l’exigence d’un décret en Conseil
d’Etat arrêtant la liste des collecti­
vités territoriales autorisées à
participer à l’expérimentation.

« Possibilités plus étendues »
Surtout, il estime qu’« en réalité
les perspectives de sortie d’une
expérimentation menée sur le fon­
dement de l’article 72 ne se limitent
pas à cette alternative [abandon
ou généralisation] ». Même à
droit constitutionnel constant, il
importe à ses yeux de réexami­
ner la loi « en laissant des possibili­
tés plus étendues au pouvoir régle­
mentaire des collectivités territo­
riales, en élargissant leurs marges
de manœuvre pour exercer leur

compétence ». Ce qui suppose de
modifier le code général des
collectivités territoriales pour
préciser qu’à l’issue de l’expéri­
mentation il est possible de ne gé­
néraliser la mesure expérimen­
tée que dans une partie des collec­
tivités territoriales ou de revoir
les dispositions législatives régis­
sant l’exercice de la compétence.
Le Conseil d’Etat n’écarte pas,
pour autant, l’hypothèse d’un
article 72 de la Constitution modi­
fié pour reconnaître un droit à la
différenciation dans l’exercice
des compétences des collectivités
territoriales. Ainsi pourraient
être envisagés, à l’issue de l’expé­
rimentation, « le maintien et la
pérennisation des mesures prises
à titre expérimental dans tout ou
partie des collectivités ayant parti­
cipé à l’expérimentation, ainsi que
leur extension à d’autres collectivi­
tés n’y ayant pas participé, mais
souhaitant les appliquer ».
Nul doute que, pour les collecti­
vités territoriales, la constitution­
nalisation de ce droit à la différen­
ciation offre une perspective plus
sécurisante. Toutefois, l’approche
du Conseil d’Etat permet, si la
révision constitutionnelle n’allait
pas à son terme, de dégager la voie
législative pour leur accorder un
pouvoir réglementaire accru. Ce
qui serait déjà un premier pas.
patrick roger

La sortie de
l’expérimentation
a été limitée
jusqu’ici à une
alternative
simple : son
abandon ou
sa généralisation

Le cas lyonnais
vient s’ajouter
aux situations déjà
épineuses que
La République en
marche n’a toujours
pas tranchées

M É D I A S
RTL cesse sa collaboration
avec Eric Zemmour
RTL va cesser sa collaboration
avec Eric Zemmour, récem­
ment condamné pour provo­
cation à la haine religieuse et
objet d’une enquête après un
discours anti­immigration et
anti­islam lors de la « conven­
tion de la droite » du 28 sep­
tembre. – (AFP.)

J U S T I C E
Le Pen condamné pour
injures homophobes
Jean­Marie Le Pen a été con­
damné en appel à 2 400 euros
d’amende pour injures publi­
ques visant les homosexuels.
Il a en revanche été relaxé
pour avoir dit, en 2016 : « Les
homosexuels, c’est comme le
sel dans la soupe : s’il n’y en a
pas assez c’est un peu fade, s’il
y en a trop c’est imbuvable »,
la cour d’appel estimant qu’il
n’avait pas excédé les limites
du droit à l’humour. – (AFP.)

S A N T É
Deux collégiens victimes
d’une grave intoxication
Deux collégiens ont été hospi­
talisés jeudi en « urgence
absolue » après avoir été victi­
mes, comme une quinzaine
d’autres élèves du collège
Pierre­Hyacinthe­Cazeaux,
à Morez (Haut­Jura), d’une
intoxication survenue au
cours d’un cross. Une enquête
a été ouverte pour « blessures
involontaires par manque­
ment à une obligation de
sécurité ». – (AFP.)

QUESTIONS POLITIQUES


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ALI BADDOU,CARINE BÉCARD,FRANÇOISE FRESSOZETNATHALIE SAINT-CRICQ
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:Christophe Abramowitz

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