Courrier International - 26.09.2019

(Tina Sui) #1

  1. EUROPE Courrier international — no 1508 du 26 septembre au 2 octobre 2019


En fait, une telle politique est parfaitement
rationnelle : pourquoi l’Irlande renonce-
rait-elle à une position de force pour reve-
nir à son rôle tristement habituel, celui de
parent pauvre? Ce retournement n’en est
pas moins stupéfiant. Aucun d’entre nous
n’y est habitué. Les vieilles routines confor-
tables – condescendance des Anglais d’un
côté, susceptibilité méfiante des Irlandais
de l’autre – ne sont plus de mise. À Dublin,
la gêne de Johnson nous en a dit plus long
que n’importe quelle déclaration : il hésitait
entre une familiarité un peu méprisante et
un ton d’exigence bourrue.
Tandis que les questionnements angois-
sés sur l’identité nationale se sont calmés

—The Spectator Londres

J


e regardais Boris Johnson, venu à
Dublin le 9 septembre demander
au Premier ministre Leo Varadkar
de le tirer d’un mauvais pas, et une fois de
plus j’ai été étonné de voir à quel point le
Brexit a changé la donne. Tout ce à quoi
nous étions habitués dans les relations
anglo-irlandaises a été bouleversé. Pour
la première fois depuis que le roi anglo-
normand Henri II a envahi l’île en 1171,
l’Irlande a plus de pouvoir que l’Angleterre.
L’Irlande a toujours été en situation d’in-
fériorité : plus petite, plus pauvre, moins
influente dans le monde. La plupart des
partisans du Brexit, quand il leur arrivait
de penser à l’aspect irlandais du problème,
s’appuyaient sur une vérité éternelle : Dublin
devrait tout simplement se plier aux règles
de Londres. Difficile de leur en vouloir. On
ne se défait pas facilement d’une tournure
d’esprit vieille de huit cents ans.
Mais à Dublin, le langage corporel est
frappant : Varadkar est confiant ; Johnson
est fuyant, agité et mal à l’aise, sa seule
plaisanterie est un lapsus : “Trente ans...
trente jours! je veux dire, devraient suf-
fire [à sceller un accord] si nous mobili-
sons toutes nos énergies.” La raison en est
simple : l’Irlande fait partie d’un bloc de
27 pays qui est plus grand et plus puis-
sant que la Grande-Bretagne. Les pro-
Brexit sont furieux de la détermination
de l’Irlande à rester solidaire de l’UE et
voient dans le refus systématique du
gouvernement irlandais à engager des
pourparlers bilatéraux la marque d’une
anglophobie invétérée.

IRLANDE


La revanche des opprimés


Pour la première fois depuis des siècles, l’ancienne colonie
britannique se retrouve, à la faveur du Brexit, en position de force,
observe ce journaliste irlandais.

en Irlande, ils se sont accrus en Grande-
Bretagne. Vous ne trouvez pas que Johnson
fait très irlandais? Ou du moins qu’il res-
semble à un certain stéréotype, celui de
l’aventurier irlandais, opportuniste et
amoral, qui à force d’esbroufe fait son
chemin dans la société anglaise? Bien
sûr, Johnson est passé par le collège privé
d’Eton et l’université d’Oxford, mais il a
la curieuse mentalité de quelqu’un qui a
un furieux besoin d’appartenance et qui,
en même temps, n’a que mépris pour les
institutions auxquelles il veut appartenir.
Il rappelle étrangement certains person-
nages irlandais qui hantent la littérature
anglaise jusqu’à aujourd’hui, notamment
dans la saga Patrick Melrose, d’Edward St
Aubyn, où la mère lègue la propriété au
charmant et cynique Seamus. Ou dans

le roman de Thackeray The Luck of Barry
Lyndon [“Mémoires de Barry Lyndon”],
dont Stanley Kubrick a tiré l’un des plus
grands films de tous les temps. L’ascension
et la chute de Johnson sont peut-être un
mauvais feuilleton politique, mais un jour
elles inspireront certainement un film
tout aussi magnifique. Dommage que cer-
tains des grands filous irlandais comme
les comédiens Peter O’Toole [Lawrence
d’Arabie, Troie] et Richard Harris [Les
Révoltés du Bounty, Gladiator, Harry Potter]
ne soient plus là pour jouer son rôle. Car,
en définitive, tel est le grand paradoxe his-
torique du Brexit : l’Angleterre se prend
pour l’Irlande, un petit pays opprimé qui
veut briser les chaînes du colonialisme.
—Fintan O’Toole
Publié le 14 septembre

Les pro-Brexit sont furieux
de la détermination
de l’Irlande à rester
solidaire de l’UE.

Cette campagne sentira
plus le professionnalisme
que l’amateurisme.

d’autodétermination en octobre
2017] sera l’occasion de réactualiser son
discours le plus agressif et de se reven-
diquer comme le partisan de la manière
forte contre le séparatisme.
Selon les analyses postélectorales sur
Vox, le parti a souffert d’être resté à
l’écart des débats télévisés lors du précé-
dent scrutin (il n’avait alors aucun élu).
Aujourd’hui, les militants disent à qui
veut les entendre qu’ils y participeront


et qu’ils jugent essentiel d’être sur les
plateaux télé. En effet, Santiago Abascal
pourra s’adresser ainsi à des millions
d’Espagnols. “L’important, avec les débats,
c’est qu’on fait partie du menu, assure la
direction du parti. C’est vrai qu’on ne plaît
pas à tout le monde, mais peut-être qu’on
plaira à certains.” À Vox, on estime que
l’absence des médias était le principal
obstacle. Il faut désormais que le mes-
sage du parti passe “directement”, que le
dirigeant de la formation puisse se pré-
senter et s’expliquer.
Autre atout dont Vox se félicite : le
fait de disposer désormais des moyens
nécessaires pour envoyer les bulletins
à domicile. Ainsi, les électeurs peuvent
aller au bureau de vote, ayant déjà glissé
leur bulletin dans l’enveloppe, sans avoir
à s’exposer aux regards des autres, sur-
tout dans les petites villes et les villages.
Certains au sein de la direction estiment
que cela pourrait se traduire par un ou
deux points de pourcentage supplémen-
taires. Ce qui serait essentiel dans la
lutte pour les sièges. Vox a fait un grand
bond économique : ce sera sa première
campagne avec de l’argent provenant
de subventions, qui lui sont attribuées
du fait qu’il est présent au Congrès, et
qui représentent plus que les adhésions
de ses partisans. Autant dire que cette
campagne sentira plus le professionna-
lisme que l’amateurisme.
Le désintérêt pour de nouvelles élections
est un facteur à prendre en compte, car on
estime qu’il pourrait y avoir une démobili-
sation de la gauche [lasse des échecs succes-
sifs du PSOE]. Cela entraînerait une chute
du taux de participation – si bien qu’il fau-
drait moins de voix pour obtenir un siège.
Vox pourrait ainsi se maintenir, voire pro-
gresser. Des sources au sein du parti rap-
pellent que dans huit provinces la formation
s’est retrouvée à moins de 5 000 voix d’un
siège. Pour inciter l’électeur à se rendre
aux urnes, Vox pourrait attaquer les poli-
tiques en se positionnant comme le “nou-
veau” parti, irrévérencieux et antisystème.
—Álvaro Carvajal
Publié le 19 septembre


↙ Dessin de Hachfeld
paru dans Neues Deutschland,
Berlin.

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Contrepoint
●●● Plusieurs fois au cours de l’histoire,
l’Irlande a servi de base arrière pour
les adversaires de l’Angleterre, rappelle
l’hebdomadaire britannique New
Statesman, des mercenaires espagnols
et italiens soutenus par le pape en 1601
aux troupes de la “France révolutionnaire”.
“Mais aucune de ces alliances n’a fait
avancer la cause irlandaise”, précise le
magazine londonien, malgré la croyance
des nationalistes, au xixe siècle, que
“le malheur des Anglais fait le bonheur
des Irlandais”. Dès le début de la crise
du Brexit, voyant Londres en position de
faiblesse, Dublin a appliqué ce principe
à la lettre. “Pour la première fois depuis
l’indépendance vis-à-vis de la Grande-
Bretagne, en 1922, l’Irlande s’est placée
fermement du côté de l’Union européenne

face à Londres, constate New Statesman.
En somme, l’Irlande sert une nouvelle
fois de base arrière aux Européens pour
attaquer l’Angleterre : plus précisément,
elle est utilisée par les personnes à
Bruxelles dont le seul but est d’annuler
le Brexit.” Le problème, si les bisbilles
autour du devenir de la frontière entre
l’Irlande du Nord (Royaume-Uni) et la
République d’Irlande (Union européenne)
se prolongent, c’est que Dublin risque
de se retrouver pris en étau et contraint,
en cas de sortie du Royaume-Uni sans
accord, d’ériger des postes de douane
le long d’une démarcation que tout
le monde souhaite maintenir ouverte.
“Les dommages économiques seraient
alors bien pires pour l’Irlande que pour
le Royaume-Uni”, conclut le magazine.
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