14 |france JEUDI 3 OCTOBRE 2019
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Bygmalion : Sarkozy définitivement renvoyé en procès
L’ancien président de la République devra s’expliquer devant la justice pour les dépenses excessives de sa campagne de 2012
S
es avocats auront tout
tenté. En vain. Nicolas
Sarkozy devra bien répon
dre de son rôle dans l’affaire Byg
malion devant un tribunal cor
rectionnel. La Cour de cassation a
confirmé définitivement, mardi
1 er octobre, le renvoi en procès de
l’ancien président de la Républi
que pour les dépenses excessives
de sa campagne présidentielle
malheureuse de 2012. Un procès
était suspendu depuis deux ans
et demi à de nombreux recours.
Le Conseil constitutionnel avait
déjà rejeté la question prioritaire
de constitutionnalité soulevée
par Nicolas Sarkozy, qui arguait
de la règle du non bis in idem qui
veut que l’on ne peut être con
damné deux fois pour les mêmes
faits. Il estimait l’avoir déjà été dé
finitivement par le même Conseil
constitutionnel en 2013.
Les « sages » avaient alors con
firmé le rejet de ses comptes en
raison d’un dépassement de
363 615 euros qu’il avait dû rem
bourser. Mais cette sanction avait
été prononcée avant la révélation,
au printemps 2014, d’un système
de fausses factures visant à dissi
muler l’explosion du plafond de
dépenses de ses meetings – près
de 20 millions d’euros de dépas
sement –, organisés par l’agence
Bygmalion.
De son côté, la Cour de cassation
avait notamment à se prononcer,
mardi 1er octobre, sur la validité de
l’ordonnance de renvoi. Les con
seils de Nicolas Sarkozy avaient
souligné que l’un des juges d’ins
truction saisi – le magistrat
aujourd’hui à la retraite Renaud
Van Ruymbeke – avait refusé de
signer l’ordonnance de renvoi
marquant ainsi son désaccord
avec son collègue Serge Tour
naire, premier juge saisi. La Cour
suprême de l’ordre judiciaire
a définitivement validé l’ordon
nance de renvoi. Elle devait aussi
trancher sur une série d’irrégula
rités soulevées par sept des préve
nus dans l’arrêt de la chambre de
l’instruction du 25 octobre 2018
qui avait confirmé leur renvoi en
correctionnelle.
« C’est une déception car les criti
ques proposées étaient suscepti
bles d’être accueillies, mais en réa
lité la Cour de cassation n’y a pas
répondu et laisse au tribunal le
soin de le faire », a réagi auprès de
l’AFP Me Emmanuel Piwnica, avo
cat de M. Sarkozy. « Nous sommes
convaincus que le raisonnement
du magistrat instructeur ne résis
tera pas à l’analyse approfondie du
dossier par un tribunal correction
nel », ont indiqué pour leur part à
l’AFP Mes Christophe Ingrain et
Rémi Lorrain, avocats de
Guillaume Lambert, l’exdirec
teur de la campagne présiden
tielle, l’un des autres prévenus.
Dans l’ordonnance de renvoi,
désormais validée de façon défi
nitive, le magistrat Serge Tour
naire distinguait plusieurs ni
veaux de responsabilité. Celles
des dirigeants de Bygmalion, des
cadres de l’UMP, du directeur de la
campagne de Nicolas Sarkozy et,
enfin, celle du candidat. A son
propos, le juge d’instruction écrit
que « plus que quiconque, il était
supposé connaître, respecter et
faire appliquer par ses équipes les
dispositions légales » en matière
de financement de campagne.
Pas « un candidat déconnecté »
« L’autorité de Nicolas Sarkozy, son
expérience politique et l’enjeu que
représentait pour lui sa nouvelle
candidature à la magistrature su
prême rendent peu crédible l’hy
pothèse d’un candidat déconnecté
de sa campagne laissant ses équi
pes ou son parti et ses dirigeants
agir en dehors de lui et décider de
tout à sa place », ajoutetil.
A l’issue de son instruction, le
juge a considéré que « Nicolas
Sarkozy a incontestablement bé
néficié des fraudes révélées par
l’enquête qui lui ont permis de dis
poser, lors de sa campagne de
2012, de moyens bien supérieurs à
ce que la loi autorisait (...). Toute
fois, l’enquête n’a pas établi qu’il
les avait ordonnées, ni qu’il y
avait participé, ni même qu’il en
avait été informé ». C’est pour ces
raisons que Nicolas Sarkozy n’est
pas poursuivi pour les infrac
tions de « faux », « d’escroquerie »
ou de « recel d’abus de con
fiance », comme les autres mis
en examen.
Nicolas Sarkozy doit par
ailleurs être jugé prochainement
dans le cadre de l’affaire dite
« Bismuth » – du nom choisi par
l’ancien président pour utiliser
un téléphone occulte – pour
« trafic d’influence » et « corrup
tion » d’un haut magistrat de la
Cour de cassation.
Il est, en outre, mis en examen
depuis mars 2018 dans l’enquête
sur le financement libyen pré
sumé de sa campagne de 2007,
pour « corruption passive », « re
cel de détournements de fonds
publics libyens » et « financement
illégal de campagne électorale ».
La cour d’appel de Paris doit exa
miner, le 17 octobre, sa requête
pour demander l’annulation de
ces poursuites.
simon piel
Une centaine de travailleurs sans papiers en grève
Cuisiniers, intérimaires, agents d’entretien, ils réclament leur régularisation et de meilleures conditions de travail
I
ls sont stewards chez KFC,
plongeurs ou cuisiniers chez
Léon de Bruxelles ou
dans une brasserie chic du
16 e arrondissement de Paris, fem
mes et hommes de ménage dans
un hôtel Campanile, un cinéma
UGC ou un foyer pour migrants,
intérimaires dans le bâtiment...
Ils sont plus d’une centaine et,
mardi 1er octobre, ils ont entamé
une grève dans douze entre
prises. Leur point commun :
tous sont des travailleurs sans
papiers à Paris et dans sa banlieue
et réclament leur régularisation.
Au moment où la préparation
du débat parlementaire sur l’im
migration – qui se tiendra
lundi 7 octobre à l’Assemblée na
tionale – cible les risques d’abus
du système de protection sociale
ou de détournement de la de
mande d’asile, ces hommes et ces
femmes, Maliens, Sénégalais et
Mauritaniens, mais aussi Togo
lais ou Ghanéens, rappellent
qu’ils « cotis[ent] et contribu[ent]
au système de solidarité nationale
et de Sécurité sociale ».
« Contrairement à ce que dit la
stigmatisation qui a cours, ils sont
créateurs de richesse et de dévelop
pement, martèle Marilyne Pou
lain, membre de la direction con
fédérale CGT et pilote du collectif
immigration CGT, qui soutient le
mouvement. Il faut redonner
une visibilité à cette réalitélà. ».
Contrats à durée déterminée
(CDD) à répétition, heures supplé
mentaires non payées, temps de
travail inférieur au minimum lé
gal... Beaucoup de ces travailleurs
en grève ont aussi des « conditions
[de travail] dégradées, voire indi
gnes du fait de leur situation admi
nistrative et de leur vulnérabilité »,
fait remarquer Mme Poulain.
Payés de la main à la main
« Ce sont les intérimaires qui
déchargent les camions, constate
JeanAlbert Guidou, de la CGT
départementale, à propos des
salariés de Haudecœur, une en
treprise d’importation de pro
duits alimentaires de La Cour
neuve (SeineSaintDenis), où
une dizaine de personnes se sont
mises en grève. A la fin de la
journée, ils doivent avoir porté
autour d’une tonne. C’est l’exem
ple classique d’une entreprise où
on met les intérimaires, a for
tiori sanspapiers, sur les postes
difficiles avec des risques pour la
santé. » Sollicitée, l’entreprise n’a
pas donné suite.
Au restaurant japonais New Su
kiyaki, en plein quartier de la Bas
tille, à Paris, Abdourahmane
Guiro, 27 ans, embauche six jours
sur sept, à raison d’une cinquan
taine d’heures par semaine. « Je
suis payé 1 500 euros, explique ce
Sénégalais. Mais sur le bulletin,
c’est affiché 1 100 euros. » Le reste, il
le touche de la main à la main. Son
collègue Yacouba Dia, 27 ans lui
aussi, et chef de cuisine, travaille
soixantesix heures par semaine,
payées 1 700 euros. Contacté, le
restaurant n’a pas répondu à nos
demandes d’explications.
Dans les restaurants KFC de la
place d’Italie ou de Tolbiac (13e ar
rondissement), de Boulogne
Billancourt (HautsdeSeine), de
VitrysurSeine ou du KremlinBi
cêtre (ValdeMarne), les « em
ployés polyvalents » et sanspa
piers aimeraient bien, eux, faire
davantage d’heures.
La durée minimale de travail du
salarié à temps partiel est fixée à
24 heures par semaine mais
Mahamadou Diakite ne travaille
que vingt heures et Mamadou
Niakate travaille, lui, quinze
heures, tout comme son collègue
Boubou Doukoure. « Parfois, on
travaille plus, assure ce Malien de
34 ans. Mais on n’est pas payé.
Le patron nous dit qu’on a mal
compté nos heures. »
« Les employeurs font écrire une
décharge aux salariés pour qu’ils
disent que c’est eux qui ne veulent
pas travailler au minimum légal »,
ajoute Kande Traoré qui, lui,
culmine à vingthuit heures par
semaine. Interrogé, KCF n’a pas
souhaité faire de commentaires.
« Les gens sont dociles alors ils en
profitent, s’indigne Boubacar
Doucoure, délégué CGT pour
l’enseigne KFC. Il y a dix ans de cela,
j’étais comme vous, ditil en
s’adressant à ses collègues. J’étais
dans la peur. »
Boubacar Doucoure est aujour
d’hui manageur et en situation
régulière en France, après avoir
fait grève en 2008. « Entre 2000 et
2008, j’ai travaillé sans papiers. J’ai
cotisé, j’ai payé des impôts. Et
pourtant, je n’aurai jamais de re
traite », faitil remarquer. Quand
il entend le discours ambiant
qui tend à assimiler les migrants
à de potentiels resquilleurs, ça le
« révolte ».
« On a peur d’être viré »
La plupart des salariés en grève
ont été embauchés sous alias,
c’estàdire en présentant des
documents d’identité d’une per
sonne en situation régulière.
« Un frère m’a fait une photocopie
de sa carte de séjour, de sa carte
Vitale et d’une attestation d’héber
gement et j’ai amené ça au patron
qui m’a fait un contrat à durée
indéterminée (CDI), explique Ma
madou Niakate. Au travail, on
m’appelle Diaby. » Son collègue
Mahamadou Diakite arbore, lui,
un badge au nom de Mantia.
Quand un travailleur sans
papiers veut entamer des démar
ches de régularisation auprès
d’une préfecture, il a besoin
- pour remplir les critères d’ad
mission exceptionnelle au sé
jour – que son employeur éta
blisse un certificat de concor
dance d’identités et, dans tous les
cas, qu’il remplisse un formulaire
Cerfa de demande d’autorisation
d’embauche d’un salarié étran
ger noneuropéen. « On n’ose pas
demander parce qu’on a peur
d’être viré », confie Moussa Dia
kite, un Malien de 44 ans qui tra
vaille dans la démolition via la
société d’intérim Cervus, basée à
LevalloisPerret (HautsdeSeine).
C’est peu ou prou ce qui est
arrivé à Boubou Doukoure.
Pendant sept mois, il a travaillé
en CDD dans un abattoir de
Lorient (Morbihan). Il accrochait
des poulets sur une ligne d’abat
tage. Lorsque son employeur a
voulu lui faire un CDI et qu’il s’est
rendu compte de sa situation, il
l’a congédié sur le champ.
Moussa Diakite dit avoir « plu
sieurs fois essayé de demander
une régularisation » en dépo
sant un dossier en préfecture.
Sans succès.
« Ces travailleurs sont soumis à
un double arbitraire, patronal et
préfectoral », souligne Maryline
Poulain. Moussa Diakite s’est
mis en grève pour la première
fois de sa vie. Il craint un « durcis
sement des conditions » de vie
des immigrés, lui qui se sent déjà
« limité dans [ses] libertés » et
« réduit dans [ses] déplace
ments ». En seize ans de présence
en France, il n’est retourné
qu’une seule fois au Mali, où il a
une femme et deux enfants.
Mardi 1er octobre au soir, trois
piquets de grève avaient été levés
- dans un cinéma UGC, une
société de nettoyage et un restau
rant du 16e arrondissement –
après que les employeurs se sont
engagés à accompagner leurs
salariés dans leur démarche de
régularisation.
julia pascual
« Parfois on
travaille plus,
mais on n’est pas
payé. Le patron
nous dit qu’on
a mal compté
nos heures »
BOUBOU DOUKOURE
sans-papiers malien
employé au KFC
Mahamadou
Diakite, au KFC
de la place d’Italie,
à Paris,
le 1er octobre. KAMIL
ZIHNIOGLU POUR « LE MONDE »
Depuis deux ans
et demi, la tenue
d’un procès
était suspendue
à de nombreux
recours
La plupart des
salariés en grève
ont été
embauchés
en présentant
les documents
d’identité d’une
autre personne
J U S T I C E
Ouverture d’une
enquête après les
propos d’Eric Zemmour
sur l’islam
Le parquet de Paris a annoncé,
mardi 1er octobre, l’ouverture
d’une enquête pour « injures
publiques » et « provocation
publique à la discrimination,
la haine ou la violence », après
des propos du polémiste
Eric Zemmour visant l’islam.
Il s avaient été prononcés
le 28 septembre lors de la
« convention de la droite » or
ganisée à Paris par l’ancienne
députée d’extrême droite
Marion Maréchal. M. Zem
mour s’en était pris aux
immigrés « colonisateurs »
et à « l’islamisation de la rue ».
F I N A N C E S P U B L I Q U E S
Aggravation des
prévisions de déficit
public 2022
Le gouvernement a dégradé
son scénario de politique
économique pour la fin du
quinquennat. Selon des docu
ments annexes au projet de
loi de finances publiés mardi
1 er octobre, le déficit public
est attendu à 1,8 % en 2021
et à 1,5 % en 2022, contre 1,6 %
et 1,2 % prévus dans le pro
gramme de stabilité d’avril.