Les Echos - 02.10.2019

(Brent) #1
Retraites, une guerre

de trente ans

Solveig Godeluck
@Solwii
Michaël Mastrangelo
@MASTRANGELOMic
et Geneviève Thibaud
@gethibaud


B


ientôt trente ans que ça dure. En
2025, si les projets du gouverne-
ment Philippe aboutissent, une
nouvelle réforme des retraites entrera
en vigueur. Exactement trente-quatre
ans après la publication en 1991 du
fameux « Livre blanc sur les retraites ».
Cet ouvrage préfacé par Michel Rocard,
le Premier ministre de François
Mitterrand, a été un tremblement de
terre : pas moins de quatre lourdes
réformes des retraites se sont succédé
dans l’intervalle, et d’autres de moindre
envergure. Tout cela pour assurer la
pérennité financière du système de
retraite, menacé par l’inéluctable éro-
sion du ratio cotisants/retraités.
Trente ans d’efforts, donc. La retraite
à 60 a ns a volé en éclats, la durée de coti-
sation exigée est parmi les plus élevées
en Europe. Créée en 1991, la contribu-
tion sociale généralisée (CSG) a ouvert
la voie à une diversification du finance-
ment du système de retraite, mais aussi
à un alourdissement du niveau des pré-
lèvements. Les cotisations vieillesse
sont aujourd’hui proches de 30 % au
régime général.
Enfin, les nouveaux retraités ont vu
chuter leur taux de remplacement
(le niveau de pension rapporté au der-
nier salaire), tandis que le pouvoir
d’achat des anciens s’effritait faute de
revalorisation annuelle. A cet égard,
l’indexation des pensions sur les prix et
non les salaires a constitué le plus
formidable gisement d’économies sur
le long terme.


La « der des ders »,
Trente ans de guerre, aussi. Chaque
réforme a été une bataille. Le plan
Juppé de 1995, qui prévoyait d’aligner la
durée de cotisation des fonctionnaires
sur celle du privé, de 37,5 ans à 40 ans,
s’est soldé par une grève monstre et le
retrait du projet. Il a fallu attendre huit
ans pour faire inscrire le principe dans
la loi, et même treize ans pour les régi-
mes spéciaux, sans compter les délais
très progressifs de mise en œuvre. Au
passage, les cheminots ou les gaziers
ont obtenu des compensations coûteu-
ses pour l’entreprise et le contribuable.
En définitive, trente ans, c’est peut-
être le temps qu’il faut pour se faire à
l’idée que le monde d’avant ne ressusci-
tera pas. Qu’il faudra peut-être tra-
vailler plus longtemps puisque l’on vit
plus vieux. Et repenser la répartition,
alors que le travail et les carrières se
transforment. Ce n’est pas un hasard si
les partenaires sociaux, au contact des
travailleurs, sont les pionniers de la
réforme. Avec leur régime complé-
mentaire Agirc-Arrco, ils n’ont cessé
d’adapter les paramètres pour sauver
leur régime paritaire. En 2015, ils ont
même instauré un malus avant 63 ans –
une décision très controversée. La
réforme de 2020, qui se veut la « der des
ders », portera forcément la trace des
vieilles batailles, mais aussi des récen-
tes percées.n


DÉCRYPTAGE// Un régime de retraite ne se manœuvre


pas sur un quinquennat. Confrontées à ce défi temporel,


la gauche et la droite ont imposé des mesures


douloureuses sans jamais régler


le fond du problème. Retour


sur trente ans de réforme,


alors qu’Emmanuel Macron


entre dans l’arène jeudi.


Les Echos Mercredi 2 octobre 2019 // 13


enquête

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