- Courrier international — no 1510 du 10 au 16 octobre 2019
forces gouvernementales
Avant-postes dont les soldats américains
se seraient déjà retirés
Projet de “zone de sécurité”
Zones sous contrôle des : Kurdes
forces turques et rebelles rebelles
djihadistes
SOURCES : WWW.LORIENTLEJOUR.COM, WWW.NYTIMES.COM
Damas
Alep
Idlib
TURQUIE
LIBAN
IRAK
JORDANIE
SYRIE
100 km
Manbij Rojava
Eup
hra
te
—The New York Times Ne w Yo rk
L
es diplomates américains pensaient
avoir négocié une solution à un pro-
blème apparemment insoluble. Les
États-Unis ont en effet besoin des forces
commandées par les Kurdes dans le nord
de la Syrie pour affronter les vestiges de
l’État islamique. Mais la Turquie, un allié
de l’Otan, considère ces mêmes Kurdes
comme des terroristes, un soutien des
séparatistes sur son territoire.
Pour éviter une invasion turque, les
trois parties – les États-Unis, la Turquie
et les Kurdes – se sont donc entendues sur
la création en Syrie de zones de sécurité
d’une dizaine de kilomètres de large le
long de la frontière avec la Turquie [sur
la portion contrôlée par les Kurdes]. Les
Américains sont censés patrouiller avec
les forces turques, et les Kurdes doivent
démanteler les fortifications qu’ils ont
érigées dans ces zones pour se défendre
contre une éventuelle incursion d’An-
kara. La Turquie, quant à elle, doit parti-
ciper aux opérations aériennes qui, sous
contrôle américain, visent les militants
de Daech. Cet arrangement, s’il com-
plique les choses pour le millier de mili-
taires américains déployés dans la région,
permet de protéger les Kurdes du nord de
la Syrie tout en maintenant la pression sur
l’État islamique.
Le président Trump a envoyé tout ça
aux oubliettes quand la Maison-Blanche,
cédant aux exigences du président turc
Recep Tayyip Erdogan, a annoncé [dans
la soirée du 6 octobre] que Washington
ne s’opposerait pas à une invasion turque
destinée à repousser les forces kurdes de
la région frontalière. Le communiqué était
formulé de façon telle que l’on a eu l’im-
pression que Trump était même en faveur
de l’opération.
Même si les Turcs ne passent pas à l’ac-
tion – les tweets présidentiels du 7 octobre
laissent penser que Trump est revenu sur
le feu vert qu’il a accordé à Ankara, mais
selon certaines informations des attaques
auraient déjà été lancées –, cette décision
pourrait saper la confiance que les Kurdes
avaient encore en Washington, dont ils
sont les alliés stratégiques en Syrie. Ce qui
pourrait à terme compromettre la lutte
contre Daech.
Une fois de plus, il semble que Trump ait
agi de manière impulsive, dans ce cas à l’is-
sue d’une conversation téléphonique avec
Erdogan. Il a pris de court le Pentagone et
le département d’État, tout en maintenant
le Congrès et les alliés dans l’ignorance.
Les responsables de la sécurité nationale
au sein du gouvernement ont défendu bec
et ongles la logique d’un déploiement mili-
taire modeste dans le nord-est de la Syrie
afin de continuer à traquer les membres de
l’État islamique et de faire contrepoids à
la Turquie et aux alliés russes et iraniens
de Damas. La détermination de Trump à
vouloir retirer ces troupes restantes avait
entraîné, en décembre dernier, la démis-
sion de l’ancien ministre de la Défense Jim
Mattis et de Brett McGurk, l’émissaire
spécial auprès de la coalition anti-Daech.
Contradictions. La déclaration puis les
tweets de Trump ont excédé ses soutiens
conservateurs, y compris Mitch McConnell,
le chef de la majorité [républicaine] au Sénat,
et le sénateur Lindsey Graham. Dès le
7 octobre à midi, le Pentagone s’efforçait
de limiter les dégâts en faisant savoir que
le président et le ministère de la Défense
n’avaient pas caché à Ankara qu’ils “ n’ap-
prouvaient pas une opération turque dans le
nord de la Syrie”. Avant de préciser que les
forces américaines “ne soutiendraient pas une
telle opération, et n’y participeraient pas”. Le
président lui-même a exprimé des doutes
qui n’ont évidemment fait qu’aggraver les
choses. “Comme je l’ai déclaré fermement
avant, a-t-il tweeté, et juste pour le redire, si la
Turquie fait quelque chose que, dans ma grande
et incomparable sagesse, je considérerai comme
ayant dépassé les bornes, je vais totalement
détruire et anéantir l’économie de la Turquie
( je l’ai déjà fait !).” Ce n’est pas la première
fois que le gouvernement Trump émet des
signaux contradictoires sur les objectifs de
Washington en Syrie. En décembre, Trump
était passé outre à ses principaux conseillers
et avait ordonné le retrait dans les trente
jours des 2 000 soldats de l’armée de terre
américaine présents en Syrie.
Erdogan menace depuis longtemps de
déployer des troupes en Syrie. Après la
défaite de son parti aux municipales d’Is-
tanbul en mars, il s’est efforcé par tous les
moyens de consolider sa position sur le plan
intérieur. Il souhaiterait en outre renvoyer
au moins 1 million de réfugiés syriens qui
vivent aujourd’hui en Turquie en les instal-
lant dans la zone de sécurité du côté syrien
de la frontière. Ces réfugiés représentent
Syrie. Les États-Unis
prêts à lâcher les Kurdes
En annonçant le 6 octobre le retrait des troupes américaines
de Syrie, Donald Trump a donné son feu vert à une offensive
turque contre les Kurdes du nord de la Syrie. Ceux-là mêmes,
souligne le New York Times, qui luttent contre Daech.
7 jours dans
le monde
À la une
La Turquie
va-T- e n -
guerre
“Nos prières vous
accompagnent”,
titre le quotidien
de droite nationaliste
Günes à l’adresse
de l’armée turque,
après l’annonce
faite par Trump
d’un retrait des troupes américaines
de Syrie. Pour le journal, “Ankara
est parvenu à faire reculer Washington,
grâce à sa volonté d’éradiquer le couloir
du terrorisme” en Syrie. “Le soldat turc
attend, le doigt sur la détente, l’opération
qui permettra de balayer les forces kurdes
du PKK/YPG” (le PKK est une organisation
terroriste en lutte armée contre l’État
turc ; l’YPG est la milice kurde de Syrie)
hors de la zone de sécurité que
la Turquie souhaite instaurer dans
le nord de la Syrie, annonce le journal,
ajoutant que “le compte à rebours
a commencé et le projet du PKK
de fonder un État à nos frontières est
désormais dans la poubelle de l’histoire”.
désormais pour lui un risque politique.
Mais si les Kurdes sont contraints de se
défendre contre les Turcs, il est probable
qu’ils déplaceront leurs forces qui se battent
actuellement contre Daech, ce qui implique
également les combattants [kurdes] qui
surveillent les quelque 10 000 prisonniers
islamistes qui se trouvent dans des centres
de détention kurdes.
On ne sait pas si la Turquie va effective-
ment lancer une invasion à grande échelle.
Sur l’ordre de Trump, quelques centaines
de militaires américains ont été retirés de
deux avant-postes. Dans le même temps,
les Kurdes ont cessé de démanteler leurs
fortifications, et les patrouilles conjointes
américano-turques ont pris fin, dit-on de
source officielle. Le Congrès brandit la
menace de sanctions à l’encontre d’Ankara.
Cela peut paraître paradoxal, mais en
cédant face à l’un de ces hommes forts qu’il
admire tant, Trump a peut-être engagé les
États-Unis sur la voie d’une confrontation
avec la Turquie. Et il se retrouve aussi en
conflit avec le Pentagone et ses propres sou-
tiens républicains. Peut-être va-t-il une fois
encore revenir partiellement ou totalement
sur sa décision. Mais quel allié peut doré-
navant considérer les États-Unis comme
un partenaire solide – et quel ennemi peut
encore voir en eux un adversaire aussi
redoutable que déterminé ?—
Publié le 7 octobre
↙ Dessin d’Arend,
Pays-Bas.