Le Monde - 19.09.2019

(Ron) #1

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INTERNATIONAL


JEUDI 19 SEPTEMBRE 2019

0123


jérusalem ­ correspondant

L


a vie politique israé­
lienne avait des allures de
champ de ruines, mer­
credi 18 septembre à
l’aube. Aucun vainqueur ne se dé­
gageait au lendemain des élec­
tions législatives, et aucune majo­
rité ne se dessinait pour le pre­
mier ministre Benyamin Néta­
nyahou : ni pour son parti, ni
pour le bloc qu’il forme avec ses
alliés de la droite religieuse.
Les médias israéliens donnent
le Likoud et son principal rival, le
mouvement Bleu Blanc (centre
droit), mené par l’ex­chef d’état­
major Benny Gantz, dans un
mouchoir, avec 32 sièges chacun à

la Knesset (sur 120 au total), sur la
base de décomptes non définitifs
de la commission électorale, qui a
déjà dépouillé 92 % des bulletins.
La coalition de droite du premier
ministre obtenait 56 sièges. Ce
n’est pas assez pour lui garantir le
soutien du parlement, dans l’hy­
pothèse d’une inculpation pour
des accusations de corruption,
qui pourrait intervenir avant la
fin 2019. Un gouvernement
d’union nationale apparaissait
tôt mercredi comme l’unique is­
sue possible.
Son ancien allié, Avigdor Lieber­
man, se posait en faiseur de roi,
avec 9 sièges. Ce succès n’exprime
en rien une bascule de la société
israélienne, qui demeure ancrée à
droite. Mais M. Lieberman a
réussi à attirer des modérés de ce
camp, le sien comme celui de
M. Nétanyahou, en promettant
de faire barrage à l’alliance du pre­
mier ministre avec les partis reli­
gieux. La liste unie des partis ara­
bes obtenait 12 sièges. Ce sont là
les seuls écarts avec le résultat des
législatives d’avril, au terme des­
quelles M. Nétanyahou avait
échoué à former une coalition de
gouvernement, précipitant ce re­
tour aux urnes.
M. Nétanyahou n’a pas reconnu
une défaite, très tard dans la nuit
de mardi à mercredi, au quartier
général du Likoud à Tel­Aviv. Mais
ce n’était pas non plus un dis­
cours de victoire. « Nous resterons
unis », affirmait­il en saluant ses
ministres, alors que le Likoud se
prépare à d’intenses secousses.
Ses parlementaires avaient dé­
missionné comme un seul
homme en mai, pour offrir à
M. Nétanyahou une seconde
chance. Combien de fois peuvent­
ils sauter de la falaise pour leur
chef?
M. Nétanyahou entend encore
constituer un gouvernement
d’union sioniste, excluant les par­
tis arabes « qui nient l’existence

même d’Israël comme Etat juif et
démocratique. Des partis glori­
fiant des terroristes assoiffés de
sang qui assassinent nos soldats,
nos citoyens et nos enfants », di­
sait­il. Le premier ministre n’a pas
répété, cependant, ses précéden­
tes accusations de fraude électo­
rale, qui ont fait craindre qu’il ne
conteste les résultats au lende­
main du vote. M. Gantz, quant à
lui, s’est gardé de déclarer vic­
toire : il n’a pas non plus de coali­
tion claire. Mais il affirmait, con­
fiant, à ses partisans à Tel­Aviv :
« Cette nuit, quel que soit le résul­
tat, le chemin s’ouvre pour réparer
la société israélienne. »
Il y a en effet bien des fractures à
résorber. Toute la journée de
mardi, l’ensemble des partis
avaient surjoué l’hystérie comme
jamais auparavant. Israël ne con­
naît pas le silence électoral, la sé­
rénité du vote. M. Nétanyahou, de
loin le candidat le plus actif mal­
gré son âge, 69 ans, a passé des
heures mardi en direct sur Face­
book ; il a multiplié les interviews
à la radio, en dépit de la loi qui les
interdit le jour du scrutin.

Faux sondages
Tous ses rivaux ont adopté sa tac­
tique dite de la gevalt (violence en
yiddish) : ils imploraient leurs
électeurs de se rendre aux urnes,
afin de prévenir une défaite que
tous prétendaient quasi certaine,
au bluff – le Likoud allant jusqu’à
brandir de faux sondages. Un lé­
ger mieux, par rapport au scrutin
d’avril, dans le taux de participa­
tion dès 10 heures du matin (2 %,
cela compte dans un vote serré) a
alimenté cette frénésie, chaque
camp l’interprétant comme un af­
flux massif de l’électorat de ses ri­
vaux dans les bureaux de vote. A
20 heures mardi soir, la participa­
tion s’élevait à 63,7 %, soit
2,4 points de plus qu’en avril.
On a vu au moins quatre candi­
dats harceler les baigneurs de

Tel­Aviv, sur les plages, pour
qu’ils se rendent aux urnes en ce
jour chômé ; l’ultranationaliste
Ayelet Shaked les mettait en
garde, perchée dans une cabine
de maître­nageur : « Nous som­
mes en guerre. » On a vu M. Néta­
nyahou, debout sur une caisse,
dans la gare de bus centrale de Jé­
rusalem, mégaphone en main,
affirmer que l’Autorité palesti­
nienne abreuvait de SMS les Ara­
bes d’Israël pour les enjoindre à
se rendre aux urnes. En 2015, le
premier ministre avait choqué
en lançant ce cri d’alarme, dans
une vidéo sur Facebook : « Les
Arabes votent en masse. » Mardi,
son parti a agité la peur du vote
arabe sur tous les tons, toute la
journée. Cela en devient presque
normal.
Le bureau central du Likoud a
convoqué une réunion d’urgence
mardi en milieu de journée pour
discuter de la menace. Ces appels
visaient aussi bien à décourager
les électeurs arabes. Tout comme
le déploiement, annoncé dès
avant le scrutin par le ministre de
la sécurité publique, Gilad Erdan
(Likoud), d’un nombre record de
19 000 policiers autour des bu­
reaux de vote.
Au contraire, cette tactique a
paru remobiliser un électorat
arabe qui demeurait, depuis avril,
confus et apathique. Mardi soir, le
chef de file de la liste arabe unie,
Ayman Odeh, qui s’est entretenu
avec M. Gantz, résumait ainsi
cette campagne toxique : « L’inci­
tation à la haine raciste a un prix.
Aucun premier ministre n’en a usé
contre nous comme M. Nétanya­
hou. Des Arabes qui “votent en
masse”, qui “volent”, qui veulent
“nous annihiler”... Il y a une limite.
Et je pense que nous avons un
mandat clair des électeurs juifs.
Nul ne comprend la persécution
comme les juifs. »
Cette campagne a trouvé a
trouvé son point culminant le

11 septembre, lorsque M. Néta­
nyahou a promis à ses alliés ul­
tranationalistes d’annexer la val­
lée du Jourdain, en Cisjordanie
occupée, puis toutes les colonies
de Cisjordanie. Le soir même, se­
lon Haaretz et deux autres mé­
dias israéliens, le premier minis­
tre rassemblait les principaux
responsables de la sécurité du
pays pour lancer une opération
militaire d’envergure dans la
bande de Gaza, au risque de dé­
clencher une escalade qui aurait
pu mener à une guerre et à un re­
port du scrutin.
M. Nétanyahou venait d’être
évacué précipitamment d’une
tribune à Ashdod (Sud), après
l’annonce d’un tir de roquette
depuis l’enclave palestinienne.
Cette image, tournant en boucle
sur toutes les chaînes de télévi­
sion, était dévastatrice pour sa
campagne. « Il a perdu le contrôle
et veut nous entraîner dans une
guerre pour repousser les élec­
tions », accusait Benny Gantz,
lundi, après la publication de ces
rapports dans la presse. Le procu­
reur général du pays, Avichaï
Mandelblit, aurait été contraint
de rappeler au premier ministre
qu’il ne pouvait prendre une telle
décision sans l’aval de son cabi­
net de sécurité, informé par les
généraux, et qu’un report de
l’élection requiert une majorité
qualifiée au Parlement.

Le premier
ministre,
Benyamin
Nétanyahou,
à Tel­Aviv,
mercredi
18 septembre.
ARIEL SCHALIT/AP

« L’incitation
à la haine raciste
a un prix. Aucun
premier ministre
n’en a usé contre
nous comme
M. Nétanyahou »
AYMAN ODEH
chef de file de la liste arabe

Une critique si franche du pre­
mier ministre est rare, de la part
de M. Gantz comme de presque
tous les candidats. Malgré sa pos­
ture d’homme luttant seul contre
ses rivaux, épaulés par les médias
qu’il juge « de gauche » et, pour
certains, « terroristes », M. Néta­
nyahou était encore considéré
par la plupart de ses concurrents,
ces dernières semaines, comme
un lutteur d’une catégorie supé­
rieure, qu’il est prudent de ne pas
attaquer de front.

Pression sur le président
Ce lutteur ne s’est pas effacé
mardi soir. Il doit être entendu
par le procureur général dans
deux semaines, mais le temps
que les négociations entre partis
aboutissent, il demeure au pou­
voir jusqu’en novembre et dis­
pose d’atouts pour fabriquer une
ultime coalition. M. Gantz pour­
rait­il encore le laisser en pren­
dre la tête? M. Nétanyahou a rap­
pelé mardi son amitié avec le pré­
sident américain Donald Trump,
dont il attend la publication d’un
grand plan de paix pour le Pro­
che­Orient dans les prochains
jours. Le premier ministre af­
firme être le seul à pouvoir tirer
parti d’une telle opportunité.
M. Nétanyahou s’apprête égale­
ment à placer le président, Reu­
ven Rivlin, sous une pression im­
mense. Celui­ci doit consulter les
nouveaux élus, durant une se­
maine au plus, pour désigner
l’homme qui a le plus de chances
de former un gouvernement.
Dès avant l’entrée en campagne,
l’entourage du premier minis­
tre disait attendre une traî­
trise de M. Rivlin. Issu du vieux
moule du Likoud, le président ne
cesse de déplorer l’incapacité de
tous les partis israéliens, et en
premier lieu celle de sa maison
natale, à s’exprimer au nom de
l’intérêt général.
louis imbert

Le pari raté de Benyamin Nétanyahou


Le premier ministre israélien a échoué à se démarquer de son rival, Benny Gantz, rendant la situation confuse


LE  CONTEXTE


PROJECTIONS
Le Likoud de Benyamin Nétanya-
hou obtiendrait le même nom-
bre de sièges (32 sur les 120 de la
Knesset, le Parlement israélien)
que le parti Bleu Blanc de l’ex-
chef d’état-major Benny Gantz.
Ni le premier ministre sortant ni
son principal rival, qui perdent
trois sièges, ne semblent en ca-
pacité de former une majorité.
Avec 9 députés (contre 4 dans la
précédente Knesset), Israel Bei-
teinou, le parti pour l’instant
« non-aligné » d’Avigdor Lieber-
man – ancien allié de M. Néta-
nyahou, pourrait faire pencher la
balance dans d’éventuels pour-
parlers. La liste unie des partis
arabes obtiendrait 12 sièges. Il
reviendra dans quelques jours
au président Reuven Rivlin de
consulter les nouveaux parle-
mentaires, durant une semaine,
pour désigner celui qu’il considé-
rera le plus à même de former
une coalition de gouvernement.
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