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JEUDI 19 SEPTEMBRE 2019 0123 | 27
T
out avait merveilleuse
ment bien commencé.
Miseptembre : l’été s’at
tarde sur Kiev et sur le
Dniepr, la ville est magnifique, dy
namique et brouillonne. Un fris
son d’excitation parcourt l’assis
tance à l’ouverture de la confé
rence politique annuelle qu’orga
nise depuis seize ans la fondation
Victor Pintchouk, milliardaireoli
garque engagé dans la promotion
de l’Ukraine à l’étranger.
C’est le frisson de la nouveauté :
adieu Petro Porochenko, l’immua
ble président au discours patrioti
que, élu après la révolution de
Maïdan, en 2014 ; place à Volody
myr Zelensky, le très populaire co
médienhumoriste de 41 ans qui
l’a battu en avril. Le pouvoir ukrai
nien a changé de visage, et « Le
bonheur, c’est maintenant », pro
clame le thème de la conférence
choisi par M. Pintchouk, exsou
tien de M. Porochenko.
Mais c’est d’abord Oleg Sentsov
qui monte à la tribune. Le bon
heur, le cinéaste originaire de Cri
mée ne l’a pas croisé depuis long
temps. Jusqu’au moment, peut
être, où, six jours plus tôt, sa fille
l’a étreint à sa descente de l’avion
qui le ramenait de Moscou, lui et
trentequatre autres prisonniers
échangés avec la Russie. Ce matin,
sa gravité et son teint gris, marqué
par ses cinq ans de détention dans
le nord de la Russie, contrastent
avec l’humeur de curiosité opti
miste qui flotte dans la salle, où les
invités américains et l’ancien pre
mier ministre britannique Tony
Blair occupent les premiers rangs.
Puis vient le tour du comédien
président. Cet échange de prison
niers est à porter à son crédit,
comme en témoigne sa cote de
popularité, qui dépasse 70 %. Il of
fre l’image positive que l’on attend
de lui. Porochenko avait passé cinq
ans à expliquer que l’Ukraine était
d’abord un pays victime de l’agres
sion russe, en Crimée et dans le
Donbass. Zelensky, lui, veut être
l’homme qui sort le pays du récit
victimaire. Il a appelé Vladimir
Poutine, organisé avec lui ce pre
mier pas vers une reprise des
pourparlers sur le processus de
paix avec Moscou, sous l’égide de
Paris et Berlin et la surveillance de
Washington ; d’autres échanges de
détenus, prometil, vont suivre. Il
a saisi la lassitude des Ukrainiens à
l’égard de ce conflit qui, bien que
bloqué, continue de tuer, et il veut
en sortir. C’est sa première prio
rité ; les deux autres, ditil, sont de
créer les conditions économiques
pour le retour des millions d’émi
grés partis à l’étranger, et de vain
cre la corruption.
Pour un néophyte, Volodymyr
Zelensky mène son affaire à une
vitesse étourdissante. En cent
jours, il a convoqué des élections
anticipées qui lui ont permis de re
nouveler le Parlement à 80 % ; ces
nouveaux députés produisent à
tour de bras des lois censées chan
ger le système. Il a nommé un pro
cureur général, Rouslan Ryabo
chapka, réputé incorruptible, qui
veut changer tous les procureurs.
Le nouveau premier ministre,
Oleksii Honcharuk, a 35 ans, vise
un taux de croissance économi
que « de 40 % sur cinq ans », veut
rapatrier les capitaux sortis du
pays, briser les monopoles et ré
former le mode de propriété des
terres agricoles pour les ouvrir à
l’investissement privé et étranger.
Les démocrates classiques se
pincent le nez : ils détectent chez
M. Zelensky un penchant popu
liste, s’inquiètent de sa gestion
verticale, voire jupitérienne du
pouvoir, s’alarment de la nomina
tion d’un de ses amis d’enfance à
la tête des pléthoriques services de
sécurité SBU. Mais ces critiques re
connaissent aussi que jamais
l’Ukraine n’a vu un agenda de ré
formes aussi ambitieux mené par
des gens aussi jeunes. Plusieurs
experts occidentaux qui veillent
sur le berceau du pays se disent
impressionnés par cette volonté
de changement et par le rythme
imposé. « C’est presque trop radi
cal », s’inquiète même l’un d’eux.
Pouvoir de nuisance
Et voilà que... patatras! L’ombre
qui plane sur ce tableau idyllique
se transforme en gros nuage noir
au beau milieu de la conférence de
M. Pintchouk. La jeune Ukraine
est minée par de vieux démons, et
ces démons ont un nom : les oli
garques. L’influence de l’un d’eux,
en particulier, sur le président Ze
lensky est un sujet de préoccupa
tion depuis la campagne électo
rale : Igor Kolomoïsky est le pro
priétaire de la chaîne de télévision
qui a rendu célèbre M. Zelensky.
Personnage sulfureux, il s’était
exilé en Suisse et en Israël en
2016, lorsque la Banque centrale
d’Ukraine, ayant entrepris de faire
le ménage dans les institutions fi
nancières avec l’aide du Fonds mo
nétaire international (FMI), avait
nationalisé sa banque, Privatbank,
premier établissement bancaire
privé du pays, après y avoir décou
vert des pratiques frauduleuses et
un trou de... 5,5 milliards de dollars
(4,97 milliards d’euros).
Or, le directeur de cabinet du pré
sident Zelensky, Andriy Bohdan,
n’est autre que l’ancien avocat
d’Igor Kolomoïsky. L’oligarque lui
même est revenu vivre en Ukraine
après l’élection de son ancien pou
lain. Mieux : invité, le 13 septem
bre, à la conférence de son exen
nemi, aujourd’hui ami, Victor
Pintchouk, il a longuement tenu
salon avec la presse, ce qui a re
lancé les spéculations sur sa proxi
mité avec le président Zelinsky. Les
déclarations du premier ministre,
Honcharuk, au Financial Times, le
17 septembre, évoquant un possi
ble « compromis » avec M. Kolo
moïsky sur le sort de Privatbank,
risquent de fortement contrarier
le FMI, où cette affaire est considé
rée comme emblématique du
pouvoir de nuisance des oligar
ques. « Ce trou de 5,5 milliards de
dollars, s’étrangle un expert de
l’Ukraine, c’est quand même l’équi
valent du budget de la défense, et
c’est l’argent du contribuable! »
« Le succès des réformes de ce
gouvernement est la clé », a plaidé
Tony Blair à Kiev. S’il réussit,
« cela changera la dynamique », à
l’intérieur et à l’extérieur de
l’Ukraine, « y compris pour le rè
glement du Donbass ». Aussi
pressé que soit M. Zelensky, tant
que les oligarques paraissent tirer
les ficelles à Kiev, on peut dormir
tranquille au Kremlin.
D
eux bonnes raisons poussent le
président de la République à
vouloir « regarder en face » la ques
tion migratoire, comme il l’a dit, lundi
16 septembre, devant les parlementaires de
la majorité.
La première est que le sujet inquiète de
plus en plus les Français. Dans la dernière
enquête sur les fractures françaises réalisée
par IpsosSopra Steria (Le Monde du 17 sep
tembre), la majorité d’entre eux estime
« que la mondialisation est une menace
pour la France », que « le pays doit se proté
ger davantage », que « les immigrés ne font
pas d’effort pour s’intégrer ». En un an,
ces trois indicateurs ont progressé de 4 à
6 points, reflétant une crispation que tout
gouvernement ne saurait négliger.
La seconde bonne raison est que le sujet
creuse la fracture entre les gagnants et les
perdants de la mondialisation, les milieux
aisés et les classes populaires. C’est en effet
dans l’électorat ouvrier que la question est
la plus sensible et le rejet le plus aigu. Sur le
plan politique, laisser prospérer un tel cli
vage est dangereux.
Le ministre des comptes publics, Gérald
Darmanin, avait été le premier à le relever,
au lendemain du mouvement des « gilets
jaunes ». « Le clivage conservateursprogres
sistes ne doit pas se transformer en un clivage
patriciensplébéiens, les bourgeois et les élites
étant la majorité présidentielle, et le peuple
étant le Rassemblement national [RN] »,
avait averti l’élu du Nord, qui revendique ses
origines modestes. Faute de quoi, avaitil
ajouté, il sera impossible de « préserver la co
hésion nationale », de « réformer le pays » et
de « gagner l’élection présidentielle ».
En adhérant à ce raisonnement, Emma
nuel Macron assume le fait de placer la se
conde partie de son quinquennat sous le si
gne du régalien, comme l’avait fait Nicolas
Sarkozy après la grande crise de 2008. Mais,
ce faisant, il prend le même risque que son
prédécesseur : attiser les braises au lieu de
contenir le feu. Cela fait des années que Ma
rine Le Pen a préempté le thème de l’immi
gration. Chaque fois qu’un adversaire vient
sur son terrain, elle fait monter les enchè
res. Qu’un débat soit organisé à l’Assemblée
nationale, le 30 septembre, et elle riposte
que son parti, faute d’une représentation
suffisante, n’y aura pas la parole. Qu’Em
manuel Macron s’inquiète du nombre
élevé des demandeurs d’asile, et Mme Le Pen
suggère d’interroger les Français par réfé
rendum avec « des questions très simples »,
comme « oui ou non le droit du sol, oui ou
non le regroupement familial, oui ou non la
maîtrise à nouveau de nos frontières ».
Pour contrer la présidente du RN, M. Ma
cron veut que la majorité se dote d’une doc
trine susceptible de rassurer face aux défis
migratoires : la France, en lien avec ses par
tenaires européens, doit prendre toute sa
part dans l’accueil des réfugiés, mais se
montrer intraitable avec l’immigration
clandestine. Cependant, il heurte une par
tie de sa majorité et prend le risque d’une
fronde, ce qui n’est pas la meilleure façon
d’affronter l’adversaire.
Mais le plus gênant est l’improvisation
avec laquelle certains dossiers sensibles
sont jetés en pâture, comme le montre
l’exemple de l’aide médicale d’Etat (AME).
Des responsables de la majorité, des minis
tres zélés, pointent « les abus » dont ferait
l’objet la couverture maladie des étrangers
en situation irrégulière. Un rapport a été
commandé par le premier ministre dont
les conclusions ne sont pas connues. Résul
tat : le fantasme prévaut là où des chiffres
irréfutables permettraient de mener la ré
flexion. C’est tout le piège du débat sur l’im
migration. Il s’ouvre en terrain miné.
L’INFLUENCE D’UN
OLIGARQUE SUR LE
PRÉSIDENT ZELENSKY
EST UN SUJET
DE PRÉOCCUPATION
IMMIGRATION,
LE DÉBAT PIÉGÉ
GÉOPOLITIQUE|CHRONIQUE
pa r s y lv i e k au f f m a n n
Jeune Ukraine,
vieux démons
LES DÉCLARATIONS
DU PREMIER MINISTRE
SUR UN POSSIBLE
« COMPROMIS » AVEC
M. KOLOMOÏSKY,
QUANT AU SORT
DE SON EXBANQUE,
SÈMENT LE TROUBLE
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