Le Monde - 18.09.2019

(Ron) #1
0123
MERCREDI 18 SEPTEMBRE 2019 culture| 27

Ça : Chapitre 2 1 569 785 600 569 785
La Vie scolaire 3 194 262 613 ↓ – 28 % 1 001 845
Deux moi 1 190 902 361 190 902
Inséparables 2 163 522 408 ↓ – 38 % 475 440
Once Upon a Time... 5 115 335 817 ↓ – 44 % 2 424 836
Le Roi Lion 9 72 703 601 ↓ – 40 % 9 482 678
Fête de famille 2 53 726 339 ↓ – 55 % 208 419
Wedding Nightmare 3 48 653 279 ↓ – 52 % 401 973
La Chute du président 3 47 277 262 ↓ – 39 % 331 904

Les Hirondelles de Kaboul 2 45 921 (^260) ↓ – 38 % 141 839
Nombre
de  semaines
d’exploitation
Nombre
d’entrées  (1)
Nombre
d’écrans
Evolution
par  rapport
à  la  semaine
précédente
Total
depuis
la  sortie
AP  :  Avant­première
Source  :  « Ecran  total »
*  Estimation
Période  du  11  au  15  septembre  inclus
Un peu de frisson adolescent pour oublier la rentrée des classes? Ça :
Chapitre 2, d’Andy Muschietti, est le nouveau venu qui bouscule le jeu
de quilles et prend la tête du box office : le sinistre clown, de retour
pour semer la terreur dans les rues de Derry, a engrangé plus de
500 000 entrées en première semaine, détrônant La Vie scolaire, de
Grand Corps malade et Mehdi Idir, désormais numéro deux, qui vient
tout de même de franchir le million d’entrées.
Au chapitre gags et sortie de prison, Inséparables, de Varante Soudjian,
se fait une place au 4e rang, frôlant les 500 000 spectateurs en deux
semaines. Du côté des jeunes adultes, Deux moi, de Cédric Klapisch,
fait un joli démarrage et se hisse dans le tiercé gagnant (numéro trois)
avec 190 902 entrées. Pour le reste, rien de bien nouveau, Le Roi Lion
termine son périple (encore 72 000 spectateurs supplémentaires),
tandis que Once Upon a Time in... Hollywood, de Quentin Tarantino,
continue de faire recette (près de 2,5 millions d’entrées).
LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE
L E S
F I L M S
D E
L A
S E M A I N E
Retrouvez l’intégralité des critiques
sur Lemonde.fr
    À N E PA S M A N Q U E R
Nous, le peuple
Documentaire français de Claudine Bories
et Patrice Chagnard (1 h 39).
Portrait de la jeune fille en feu
Film français de Céline Sciamma (1 h 59).
    À V O I R
Ad Astra
Film américain de James Gray (2 h 04).
Les Fleurs amères
Film belge, chinois, français et suisse d’Olivier Meys (1 h 36).
Ma folle semaine avec Tess
Film néerlandais de Steven Wouterlood (1 h 23).
Un jour de pluie à New York
Film américain de Woody Allen (1 h 32).
    P O U R Q U O I PA S
Le Chardonneret
Film américain de John Crowley (2 h 29).
Lucky Day
Film canadien et français de Roger Avary (1 h 35).
Lucky Day marque le retour à la réalisation de Roger Avary,
scénariste oscarisé de Pulp Fiction (1994) et auteur, surtout,
des excellents Killing Zoe, en 1994, et des Lois de l’attraction,
en 2002. Cette pochade, mêlant burlesque et violence, apparaît
comme le défoulement d’un talent trop longtemps réprimé.
Têtes qui explosent, giclées sanglantes tachant les murs et
transformant les objets en œuvres d’art « pollockiennes », tout
se passe comme si le motif central du film était l’éclaboussure,
l’explosion, le défoulement. Une manière peut­être pour Roger
Avary de marquer son retour après de trop longues années
passées à ronger son frein. j.­f. r.
Trois jours et une vie
Film français de Nicolas Boukhrief (2 heures).
Nicolas Boukhrief s’inspire d’un roman à succès de Pierre
Lemaître, Trois jours et une vie, qui traite d’une disparition
d’enfant dans un village wallon. A la veille des fêtes de l’hiver
1999, à Olloy­sur­Viroin, dans les Ardennes belges, la police
organise une battue pour retrouver Rémi, 6 ans, porté disparu.
Dans la foule, Antoine, un garçon de 12 ans vivant avec sa mère
(Sandrine Bonnaire), est le seul à savoir ce qui s’est passé.
Quinze ans plus tard, après avoir réussi de brillantes études de
médecine, Antoine revient sur les lieux du drame. En suivant
le fil d’une culpabilité recuite sur plusieurs années, le film
brosse le portrait d’une petite communauté villageoise mise
à l’épreuve du temps. Il pâtit de ce rapport trop étroit aux
conventions qui marque le cinéma de Boukhrief, faisant de ses
films des objets très ouvragés, mais manquant de vie ou de
respiration nonobstant son talent de conteur. ma. mt.
À L’A F F I C H E É G A L E M E N T
D’un clandestin, l’autre...
Documentaire français d’Eric Deroo (1 h 15).
De sable et de feu
Film italien et marocain de Souheil Benbarka (1 h 56).
Edith, en chemin vers son rêve
Film britannique de Simon Hunter (1 h 42).
El otro Cristobal
Film cubain et français d’Armand Gatti (1963, inédit, 1 h 55).
Kusama : Infinity
Documentaire américain de Heather Lenz (1 h 16).
La constitution des sans­voix
Un documentaire édifiant sur les débats de trois ateliers citoyens
NOUS  LE  PEUPLE

V
oilà beau temps que
Claudine Bories et Pa­
trice Chagnard, chacun
de son côté depuis les
années 1970, puis ensemble de­
puis 1995, trimardent sur les rou­
tes du cinéma documentaire. La
notoriété leur tombe sur le paletot
sans crier gare, en 2010, avec Les
Arrivants. Formidable film, en
forme de plongée palpitante, écla­
boussante d’humanité, dans les
locaux de la Coordination de l’ac­
cueil des familles demandeuses
d’asile, dans le 20e arrondissement
de Paris, qui accompagne les mi­
grants dans la préparation de leur
demande.
Suit, en 2014, Les Règles du jeu,
tourné dans une société privée du
Nord­Pas­de­Calais mandatée par
Pôle emploi pour former des jeu­
nes en difficulté à l’entrée dans le
monde du travail. Là encore, une
singulière réussite couronne
l’amère gageure que révèle le film.
On connaît ce trouble mécanisme
du documentaire, qui consiste à
emporter le morceau alors même
que son histoire se ramasse.
C’est à une semblable situation
d’invisibilité sociale et d’interces­
sion ardue, faussée, sinon impos­
sible, que s’attache Nous le peuple.
L’étincelle qui le fait naître est le
vœu d’Emmanuel Macron de ré­
former la Constitution française
au nom d’un « renouveau démo­
cratique » et la création d’un
groupe de réflexion ad hoc à l’As­
semblée nationale, dirigé par la
députée La République en marche
Yaël Braun­Pivet. L’affaire finit
par s’embourber au fil des désac­
cords avec le Sénat, puis dans les
méandres de l’affaire Benalla et la
crise des «gilets jaunes ».
Détenus, femmes et lycéens
Parallèlement, les réalisateurs, dé­
sireux de mettre en lumière les
impasses de notre démocratie, en­
trent en contact avec l’association
d’éducation populaire Les Lucioles
du doc, qui organise des ateliers
« constituants » auprès de popula­
tions en souffrance sur le terri­
toire de la République. Trois ate­
liers sont filmés par Bories et Cha­
gnard. L’un regroupe des détenus
de la prison de Fleury­Mérogis (Es­
sonne), l’autre des femmes des as­
sociations de quartier de Villeneu­
ve­Saint­Georges (Val­de­Marne),
le troisième des lycéens de Sarcel­
les (Val­d’Oise). Ces trois groupes
ne se rencontrent pas, mais tra­
vaillent durant un an à ce même
projet, en communiquant réguliè­
rement par messages vidéo.
Le film, tourné entre janvier et
juillet 2018, rend compte de ces
séances de réflexion. Un débat
marqué au coin de la vivacité des
idées avancées, de la lucidité sur le
statut des contributeurs (spéciale­
ment chez les détenus), mais aussi
de l’esprit démocratique qui
l’anime. Travail sur les idées
autant que sur les mots suscepti­
bles de les traduire dans un texte
appelé à être rendu public. Ici, on
s’engueule à l’occasion, on se vexe
parfois, mais on se respecte pro­
fondément, pas seulement entre
membres d’un même groupe. Il y
a là quelque chose de la ferveur et
de l’appropriation de son destin
marquées, dans l’histoire de notre
pays, par la prise de parole du peu­
ple dans les sections et clubs révo­
lutionnaires.
Quant au fond, devinez quoi?
Cette constitution des sans­voix
œuvrerait à plus de justice, à plus
de clarté sur l’apurement de l’his­
toire coloniale, à plus de services
publics dans les zones prioritai­
res, à plus de considération pour
les citoyens, quels que soient leur
extraction et leur statut social. Il y
a enfin cette manière, assez re­
marquable, de se prendre au jeu
du projet sans se laisser griser par
l’illusion de sa possible efficience.
Soit une utopie en marche. C’est
l’autre axe du film, que les
auteurs travaillent comme un
suspense, au moyen d’un mon­
tage parallèle entre les débats au
Parlement et ceux de l’« assem­
blée citoyenne » constituée par
ces ateliers. Derrière ce montage
se profile l’antique et épineux dé­
bat entre démocratie directe et
démocratie représentative.
Cette mise en parallèle monte en
tension et en puissance dès lors
qu’un possible croisement des
deux lignes droites est étudié. En
effet, une demande d’audition par
la commission de l’Assemblée na­
tionale travaillant à la réforme est
déposée par les organisateurs des
ateliers pour lui présenter cette
initiative citoyenne. Des tracta­
tions commencent. Seront­ils re­
çus? Seront­ils au moins entendus
par les élus? Cela, qui n’est certai­
nement pas moins édifiant que le
reste, vous le saurez en allant voir
ce film, qui ne joue pas au brûlot et
se révèle d’autant plus utile.
jacques mandelbaum
Documentaire français
de Claudine Bories et Patrice
Chagnard (1 h 39).
L’atelier regroupant des femmes des associations de quartier de Villeneuve­Saint­Georges (Val­de­Marne). EPICENTRE FILMS
Ici, on s’engueule
à l’occasion, on
se vexe parfois,
mais on se
respecte
profondément
Le parcours de Lina, prostituée, de la Chine à Paris
Le réalisateur Olivier Meys signe un premier long­métrage, entre documentaire et fiction
LES  FLEURS  AMÈRES

O
livier Meys connaît bien
la Chine, où il est parti
travailler, quittant sa
Belgique natale, dès les années



  1. Témoin des changements
    sociaux qui ont accompagné ce
    pays, il a réalisé de nombreux
    documentaires radiophoniques
    et cinématographiques, dont Vies
    nouvelles (2004) et Qian Men
    Qian (Dans les décombres), qui a
    reçu en 2008 le Prix international
    de la SCAM au festival Cinéma du
    réel. C’est à cette occasion, se trou­
    vant à Paris pour recevoir sa
    récompense, qu’il a découvert
    par hasard un petit groupe de
    femmes en train de parcourir les
    trottoirs parisiens. Des Chinoises
    venues du sud de leur pays obli­
    gées de se prostituer pour pou­
    voir subvenir aux besoins de leur


famille. Elles ont inspiré son
premier long­métrage, Les Fleurs
amères, qui raconte le parcours de
l’une d’entre elles, à la fois inspiré
du réel et inventé. Une œuvre de
fiction où se mêlent désespé­
rance et dignité, au sein d’une
petite communauté sur laquelle
Olivier Meys porte un regard
d’une profonde humanité.

Salaires minables
Dans leur petit appartement de
Yeling, dans la région de Dongbei,
dans le nord­est de la Chine,
Zhang Lina (Qi Xi) tente de con­
vaincre son mari, Xiaodong (Le
Geng), de la laisser partir en
France. Comme nombre de ses
compatriotes, la jeune femme
souhaite aller travailler à Paris, le
temps qu’il faudra pour rassem­
bler suffisamment d’argent, ache­
ter un magasin et progresser dans
l’échelle sociale. Le voyage coûtera
cher, il faudra le rembourser. Mais

Lina, ambitieuse, est prête à ce sa­
crifice qui l’éloignera de sa famille.
Il suffit du générique pour qu’on
retrouve la jeune femme à Paris,
arpentant les rues et les boutiques
à la recherche d’un emploi de nou­
nou. Etant donné la préférence des
Chinois installés à Paris pour les
femmes de Dongbei (dont le man­
darin, meilleur que dans les autres
régions, convient mieux à l’éduca­
tion des enfants), Zhang Lina part
confiante. L’abondance des peti­
tes annonces la conforte, tandis
que chaque appel chez les em­
ployeurs la fait désespérer. Les
salaires proposés sont minables,
pas suffisants pour en envoyer
une part à la famille. Les filles
auprès desquelles loge la jeune
femme ont aussi connu le désen­
chantement. Elles ont fini par se
prostituer. Lina estime n’avoir
d’autre choix que de les suivre.
A la frontière du documentaire
et de la fiction, Les Fleurs amères

surprend par ses images tour­
nées dans le vif de la rue, au
milieu de la foule où le corps
menu de Lina déambule, filmé à
cette distance juste que sait
estimer le chef opérateur Benoît
Dervaux. Connu pour son travail
avec les frères Dardenne, il
apporte au documentaire
d’Olivier Meys une signature qui
s’exprime par le grain de la lu­
mière et l’empathie portée aux
personnages. Petits soldats dé­
terminés à aider leurs familles,
avant de pouvoir rentrer fière­
ment dans leur pays, les femmes
des Fleurs amères s’incarnent sur
une pellicule sensible dont le
rayonnement chemine long­
temps en chacun de nous.
véronique cauhapé

Film belge, chinois, français
et suisse d’Olivier Meys.
Avec Qi Xi, Wang Xi, Le Geng,
Zeng Meihuizi (1 h 36).
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