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ÉCONOMIE & ENTREPRISE
JEUDI 12 SEPTEMBRE 2019
0123
La BCE prête à repousser ses limites
L’institution de Francfort s’apprête à prendre de nouvelles mesures afin d’enrayer le ralentissement en Europe
londres correspondance
S
uper Mario » ne pouvait
pas tirer sa révérence sans
un dernier coup d’éclat.
Le président de la Banque
centrale européenne (BCE), Mario
Draghi, devrait annoncer, jeudi
12 septembre, un nouveau plan de
relance monétaire, pour tenter
d’enrayer le ralentissement de
l’économie de la zone euro. La
seule question est son ampleur et
la méthode employée.
L’Italien termine son mandat,
qui arrive à expiration fin octobre,
presque comme il l’a commencé :
en intervenant sur les marchés.
Mais, si son action pendant la
crise de la zone euro a été décisive
et saluée de tous, les critiques se
font désormais nombreuses.
Les habituels faucons, garants
d’une orthodoxie monétaire
stricte, sont bien sûr les premiers
à monter au créneau. « Avec un
deuxième programme d’achats
d’actifs, la BCE va continuer à per
turber les marchés, s’agace dans le
Wall Street Journal Jürgen Stark,
l’ancien chef économiste de la
BCE. Tout cela n’est pas réfléchi. »
Doutes de la Banque de France
Mais les doutes proviennent
aussi de lieux d’habitude plutôt
favorables à l’interventionnisme
de la banque centrale. François
Villeroy de Galhau, le gouver
neur de la Banque de France, s’in
terrogeait dans une récente in
terview à L’Agefi sur les besoins
de relancer dès maintenant le
quantitative easing (QE, les
achats de titres par la BCE) : « C’est
une question à discuter. »
Arrivé à la BCE en octobre 2011,
M. Draghi a passé l’essentiel de
son mandat à jouer au pompier.
Son fameux discours de 2012, pro
mettant de faire « tout ce qui est
possible » (« whatever it takes »)
pour enrayer la crise de l’euro, a
été un tournant qui a permis
d’éviter l’implosion de la mon
naie unique. Progressivement, la
BCE s’est ensuite lancée dans un
plan de rachats de titres (essen
tiellement les bons du Trésor des
Etats de l’eurozone) de 2 600 mil
liards d’euros, l’équivalent de
presque le quart du produit inté
rieur brut (PIB) de la zone euro,
auquel elle n’a mis fin qu’en 2018.
Aujourd’hui, les taux d’intérêt
de la zone euro atteignent des
records négatifs historiques :
- 0,5 % pour les obligations alle
mandes à dix ans, – 0,25 % pour
les françaises... En clair, les inves
tisseurs paient pour prêter de
l’argent aux Etats.
Début 2019, la « normalisation »
de cette folle décennie était cen
sée débuter. Une stratégie déjà en
tamée aux EtatsUnis, dont l’ob
jectif était de très lentement aug
menter les taux d’intérêt direc
teurs. Quelques mois plus tard,
la BCE a fait un demitour com
plet. Dès juin, face au ralentisse
ment de l’économie européenne,
M. Draghi a indiqué « qu’en l’ab
sence d’amélioration, (...) un stimu
lus supplémentaire sera requis ».
La prévision de croissance pour
la zone euro en 2019 était alors de
1,2 %. Elle devrait être très légère
ment abaissée ce jeudi, sans
doute à 1,1 %. « En temps normal,
cette révision serait trop faible
pour changer quoi que ce soit,
estime Marchel Alexandrovich,
économiste chez Jefferies Finan
cial. Mais la barre pour relancer le
desserrement monétaire a été
abaissée substantiellement ces
derniers mois et ce serait une
grosse erreur de communication si
la BCE n’agissait pas. »
Que va faire la banque cen
trale? Presque tous les écono
mistes tablent sur une baisse du
taux de dépôt, qui est déjà de
- 0,4 %. La question est de savoir
s’il passera à – 0,5 % ou – 0,6 %. Le
débat est davantage animé sur la
reprise du QE. « Le conseil des
gouverneurs de la BCE est divisé »,
note M. Alexandrovich. Enfin,
M. Draghi pourrait offrir des in
dications futures sur les inten
tions de la BCE. Actuellement, il a
promis de ne pas augmenter les
taux au moins jusqu’à mi2020.
Il pourrait s’engager sur une du
rée plus longue.
Quel sera l’effet de telles mesu
res? Après tout, les taux d’intérêt
sont déjà négatifs. Le problème de
l’économie mondiale n’est pas
que les entreprises et les ménages
n’arrivent pas à emprunter. Le
choc actuel vient largement de
la guerre commerciale entre la
Chine et les EtatsUnis, sur la
quelle la BCE ne peut rien.
Envolée des prix immobiliers
Beaucoup de voix s’élèvent, dé
sormais, pour cesser de tout es
pérer des banques centrales, et se
concentrer sur l’arme budgé
taire, détenue par les Etats. « Le
trop faible investissement doit
être soutenu par une relance bud
gétaire là où il y a des marges, et
des réformes structurelles là où el
les sont nécessaires, expliquait ré
cemment M. Villeroy de Galhau.
La politique monétaire de la Ban
que centrale européenne fait son
devoir, mais ne peut pas tout faire,
et en tout cas pas des miracles. »
L’Allemagne balaie la perspective d’une relance budgétaire
Berlin a présenté un budget à l’équilibre pour 2020, mais pourrait augmenter ses dépenses pour le climat par des moyens détournés
berlin correspondance
W
olfgang Schäuble, l’an
cien ministre alle
mand des finances
(20092017), qui aura marqué la
zone euro par son intransigeance,
peut être rasséréné : son succes
seur, Olaf Scholz, n’a pas suc
combé aux appels à rompre avec
la tradition d’orthodoxie budgé
taire qu’il avait instaurée, puis dé
fendue bec et ongles.
Après plusieurs semaines de
suspense, l’heure de vérité a
sonné, mardi 10 septembre, au
Bundestag, la Chambre basse du
Parlement. « Le troisième budget
de ce gouvernement sera solide et
sans nouvelles dettes », a annoncé
le ministre socialdémocrate lors
de la présentation, devant les dé
putés, de son projet de loi de fi
nances pour 2020.
Au cours de l’année à venir, Ber
lin prévoit d’engager 359,9 mil
liards d’euros de dépenses publi
ques, soit trois milliards de plus
que pour l’exercice en cours. « C’est
un budget en expansion », a souli
gné M. Scholz. Cependant, ces dé
penses seront rigoureusement
contrebalancées par des recettes,
pour aboutir à un budget à l’équili
bre : c’est le schwarze Null, le « zéro
noir », dogme si cher à M. Schäu
ble, à la CDU (Union chrétienne
démocrate, droite) de la chance
lière Angela Merkel, ainsi qu’à une
bonne partie de l’électorat.
Ce dénouement n’était pas ga
gné d’avance car, outreRhin, l’at
mosphère a changé. Sur fond de
conflits commerciaux à l’échelle
mondiale, l’Allemagne, très dé
pendante de ses exportations, a
vu baisser son produit intérieur
brut (PIB) de 0,1 % au deuxième
trimestre et pourrait entrer en ré
cession cette année. Ce trou d’air
ne l’a pas empêchée de réaliser, au
premier semestre, un excédent
budgétaire de 45,3 milliards
d’euros (2,7 % du PIB), dans la fou
lée de plusieurs années de soldes
positifs des comptes publics.
« De la poudre aux yeux »
Rien d’étonnant, dès lors, à ce que
des voix toujours plus nombreu
ses s’élèvent, exhortant l’Allema
gne à délier les cordons de la
Bourse afin de soutenir son éco
nomie. Pour les tenants de la re
lance – économistes, politiciens,
organisations internationales –,
cette démarche serait d’autant
plus sensée qu’elle ne coûterait
rien. En effet, le rendement des
obligations d’Etat allemandes est
en territoire négatif, ce qui signi
fie que Berlin gagne de l’argent en
empruntant.
« Avec ces bases financières soli
des, nous avons des milliards
d’euros à notre disposition pour
lutter contre une éventuelle crise
économique », a déclaré M. Scholz,
comme pour consoler les déçus. Il
a souligné que le budget 2020 fe
rait la part belle aux investisse
ments publics, avec 39,8 milliards
d’euros de prévus, soit un milliard
de plus que cette année.
Trop peu, du point de vue des
experts. « C’est de la poudre aux
yeux », ironise ainsi Marcel Fratz
scher, directeur de l’institut éco
nomique DIW de Berlin. L’écono
miste appelle le gouvernement à
mettre en œuvre des « investisse
ments record » en vue de financer
la modernisation des infrastruc
tures, l’éducation et la transition
vers le numérique.
Autre grande absente de ce bud
get : la très coûteuse transforma
tion de l’industrie allemande, afin
que Berlin tienne ses engage
ments climatiques à l’horizon
- Pour trouver les 50 mil
liards d’euros nécessaires d’ici là
sans mettre en péril le schwarze
Null, et encore moins dépasser la
limite de 0,35 % de déficit public
inscrite dans la Constitution, le
gouvernement est prêt à ruser.
Berlin envisage notamment de
créer des entités publiques indé
pendantes, qui pourraient em
prunter jusqu’à 35 milliards
d’euros par an, soit 1 % du PIB,
sans que cette dette soit compta
bilisée dans le budget fédéral.
Toutefois, les ficelles de ce
« budget parallèle » sont décidé
ment un peu grosses au goût de
certains parlementaires conser
vateurs de la CDU. Le verdict ap
proche : le 20 septembre, le gou
vernement décidera du finance
ment de la politique climatique,
avant l’adoption définitive du
budget 2020 par le Bundestag au
mois de novembre.
jeanmichel hauteville
CROISSANCE DU PIB DE LA ZONE EURO, EN %
TAUX FRANÇAIS ET ALLEMAND À 10 ANS, EN %
INFOGRAPHIE LE MONDE *Prévisions
2010 11 12 13 14 15 16 17 18 19* 2020*
2,
1,
- 0,
- 0,
1,
2,
1,
2,
1,
1,
1,
Les mesures prises par la BCE...
... et soutenu l’économie, qui aujourd’hui ralentit
... ont fait plonger les taux...
INFLATION DANS LA ZONE EURO (IPCH), EN %
2010 11 12 13 14 15 16 17 18 19* 2020*
1,
2,
2,
1,
0,
0,2 0,
1,
1,
1,4 1,
SOURCE : BCE, JEFFERIES, DEUTSCHE BANK.
15 000 milliards
de dollars
Quantité d'obligations
avec un taux négatif
à travers le monde
2600 milliards
d'euros
Quantité totale d'obligations
achetées par la BCE depuis la crise,
soit près du quart du PIB
de la zone euro
7,1 milliards
d'euros
Coût annuel pour les banques
européennes de leurs dépôts
auprès des banques centrales
FRANCE
ALLEMAGNE
- 0,
- 0,
2015
- 0,
- 0,
- 0,
0
0,
0,
0,
0,
1
1,
2016 2017 2018 2019 9 Sept
2019
Bruno Le Maire, le ministre de
l’économie, appelle de son côté
Berlin à agir. « Je souhaite que l’Al
lemagne investisse davantage,
que tous les Etats qui ont les mar
ges de manœuvre budgétaires né
cessaires investissent davantage
(...) dans les mois qui viennent.
Nous avons besoin de plus d’inno
vation, de plus d’investissements
et de plus de croissance dans la
zone euro pour répondre au défi
économique mais aussi au défi po
litique de la montée des populis
mes partout en Europe. »
Christine Lagarde ellemême, la
successeure de M. Draghi, sem
ble partager cette analyse. Lors
de son audition devant les dépu
tés européens, elle a encouragé
les pays de la zone euro à termi
ner le chantier de la monnaie
unique, avant d’ajouter : « Les po
litiques budgétaires (...) doivent
être disponibles pour stabiliser les
économies lors des ralentisse
ments, pour éviter de trop charger
la politique monétaire. » Elle re
connaît aussi qu’il faut « faire at
tention aux effets secondaires »
des taux d’intérêt bas.
L’envolée des prix immobiliers
en est l’exemple le plus évident.
Avec des emprunts peu chers,
les ménages peuvent s’endetter
plus lourdement et plus lon
guement, poussant mécani
quement le prix du mètre carré.
A Paris, celuici vient de dépas
ser les 10 000 euros, excluant
toute une génération de l’acces
sion à la propriété.
Les banques européennes souf
frent également de la situation.
En déposant de l’argent à taux
négatif auprès des banques cen
trales, elles perdent environ
7 milliards d’euros par an, selon
Jefferies. Le rôle de pompier de
M. Draghi a été nécessaire, et la
BCE conserve un rôle crucial,
mais il est grand temps de passer
à autre chose.
éric albert
39,8 MILLIARDS
Le budget 2020 présenté, mardi 10 septembre, par le ministre
allemand des finances, Olaf Scholz, prévoit un coup de pouce pour
les investissements publics. Ceux-ci sont passés de 37,4 milliards
d’euros en 2018 à 38,9 milliards cette année, pour atteindre
39,8 milliards en 2020. Le problème, c’est qu’ils devraient ensuite
rester gelés à ce niveau, selon les prévisions budgétaires, alors que
les dépenses publiques globales devraient croître et dépasser
375 milliards d’euros en 2023. Ce détail n’a pas échappé aux partis
d’opposition. « Ce gouvernement ne regarde pas vers l’avenir »,
a fustigé le député libéral-démocrate Otto Fricke.
Presque tous
les économistes
tablent sur une
baisse du taux
de dépôt de la
banque centrale,
qui est déjà
de – 0,4 %
Le pays a vu
baisser son
PIB de 0,1 %
au deuxième
trimestre et
pourrait entrer en
récession en 2019
Mario Draghi
a passé l’essentiel
de son mandat
à la tête de
l’établissement
monétaire à
jouer au pompier