Le Monde - 12.09.2019

(lily) #1

26 |


styles

JEUDI 12 SEPTEMBRE 2019

0123


ma maison, mon cocon


Un panneau solaire fixé à la fenêtre et un minipotager dans la cuisine pour


l’autosuffisance, ou presque ; un rideau antipollution et une cloison antibruit


pour se préserver de l’extérieur : les habitations se transforment en bulle isolante


DESIGN


A


rchitectes et desi­
gners, après avoir
planché après guerre
sur la reconstruction
et imaginé des logements fonc­
tionnels pour de jeunes couples,
s’emparent des problématiques
non moins ardues d’aujourd’hui.
Densification urbaine, réchauffe­
ment climatique, pollutions... :
on frôle la dystopie. En attendant
de soigner la planète, des solu­
tions concrètes arrivent sur le
marché qui transforment la mai­
son en cocon. Version bunker
autosuffisant.
Dans cette course d’un nouveau
genre, Ikea, numéro un mondial
de l’ameublement, mène la
course en tête. Durant la Paris De­
sign Week, événement en marge
du salon Maison & Objet, il invite
à tester sa maison du futur, avec
une installation sur 300 m^2 bapti­
sée Futur intérieur. On peut y voir
des panneaux acoustiques modu­
laires pour atténuer, chez soi, les
nuisances sonores. En forme de
ronds de feutre, ils sont faciles à
clipser les uns aux autres pour
faire écran aux bruits, et préser­
ver la qualité du sommeil dans
une chambre, par exemple. Ou
ces sachets de congélation à base
de bioplastiques (de la canne à
sucre, dans ce cas), en attendant le
lancement dans quelques semai­
nes d’une collection d’objets à
base de paille de riz, un sous­pro­
duit de la riziculture, qui est brûlé
actuellement, ce qui occasionne
une pollution de l’air.
D’autres innovations sont at­
tendues. Imaginer de bloquer les
particules polluantes en tirant
simplement ses rideaux, notam­
ment l’été, quand on dort fenêtres
ouvertes sur rue? Telle est la pro­
messe de Gunrid, commercialisé
en 2020 : il est constitué d’un ma­
tériau innovant qui, conjugué à la
lumière extérieure ou intérieure,
détruit les particules piégées.

Imaginez encore d’être éclairé
grâce à l’énergie solaire même la
nuit venue, au fin fond du salon?
Ikea prévoit la sortie, en 2021,
d’une suspension de ce type en
collaboration avec l’artiste islan­
dais danois Olafur Eliasson : des
panneaux solaires fixés aux fenê­
tres et connectés permettront de
faire fonctionner en permanence
l’installation. Enfin, avec le desi­
gner britannique Tom Dixon se­
ront commercialisés, la même
année, des contenants modulai­
res, conçus pour faire pousser un
minipotager dans sa cuisine.
On en trouve déjà dans d’autres
marques. Ainsi, le studio de de­
sign parisien Elium donne à voir,
dans ses bureaux de Belleville
qu’il ouvre à tous durant la Paris
Design Week, le concept Modulo,

qu’il a dessiné pour la start­up
Prêt à Pousser : cette structure à
poser au mur, à empiler au sol ou
sur un comptoir, permet de faire
pousser des aromates et des légu­
mes en hydroponie, et ce dans
des conditions idéales grâce à
une LED qui reproduit le cycle du
soleil. « Nous sommes sur le point
de passer d’une production ali­
mentaire locale à une production
alimentaire à la maison », con­
firme le Finlandais Markus Nils­
son, président et fondateur de
Tregren. Cet entrepreneur pré­
sente, au salon international
d’électronique grand public IFA,
qui s’est tenu du 6 au 11 septem­
bre à Berlin, de quoi, selon lui, évi­
ter le gaspillage des fruits et légu­
mes, lié pour une grande part au
transport. Il s’agit d’un kit de

pousse (le « Kitchen Garden ») et
d’une application « Smart Garde­
ner » qui contrôle l’apport en eau
et lumière des végétaux (une
quarantaine de variétés est pro­
posée), permettant « à tous et pas
seulement à ceux ayant la main
verte » de faire bonne récolte.

Sport et air pur
Transformer son chez soi en bulle
d’oxygène? C’est une nécessité,
selon le britannique Dyson, qui
note que « l’air intérieur que nous
respirons peut être jusqu’à cinq
fois plus pollué que l’air extérieur ».
A dessein, le fabricant d’électro­
ménager a lancé, en juin, les ven­
tilateurs Dyson Pure, qui rafraî­
chissent l’atmosphère tout en
capturant – promet­il – 99,95 %
des particules ultrafines jusqu’à

0,1 micron, ainsi que les émana­
tions domestiques. Un voyant lu­
mineux, une fois au vert, permet
de s’assurer que l’on peut arrêter
de vivre en apnée. Le 17 septem­
bre, la veille de la Journée natio­
nale de la qualité de l’air, Dyson va
d’ailleurs inaugurer au pied de
l’Opéra, à Paris, son plus grand
magasin au monde, de 310 m^2
sur deux étages.
Le japonais Sharp lance, lui, de
nouveaux purificateurs par filtra­
tion et ionisation, dotés d’une
fonction humidification. Ils sont
censés assainir l’air intérieur, tout
en traitant les problèmes d’aller­
gie et d’asthme, qui affectent
« près de 30 % de la population
adulte et 20 % des enfants », mar­
tèle le fabricant.
Avec l’urbanisation galopante,
les logements sont de plus en
plus exigus. Ikea (encore lui) a
planché sur du mobilier escamo­
table nouvelle génération. Le mo­
bilier monté sur rail Rognan, ima­
giné avec le spécialiste américain
de la robotique Ori, va permettre,
comme au théâtre, de passer d’un
décor à l’autre, de faire glisser la
chambre contre le mur pour ne
montrer que le salon, ou au con­
traire de dégager le salon pour ac­
céder au dressing. Cette combi­
naison d’une plate­forme avec ca­
napé, rangements, lit et table sera
commercialisée en 2020, d’abord
à Hongkong et au Japon, où le
manque d’espace habitable se fait
cruellement sentir.
Les étudiants en design du
monde entier fourmillent aussi
d’idées. Seray Ozdemir, diplômée
du Royal College de Londres, a
dessiné une table et un banc qui
s’inscrivent dans une encoi­
gnure, pour recevoir même dans
un couloir (d’où le nom de son
jeune studio : Corridor Society).
Et, pour faire du sport à la mai­
son, CDE­Unist conduit par
Young­Woo Park de l’Université
nationale de science et de tech­
nologie d’Ulsan, en Corée du Sud,
a conçu l’élégant tabouret­vélo
d’appartement, Stool­D. De quoi
pédaler en regardant la télé ou
en travaillant sur son ordinateur,
tout en diffusant à chaque coup
de pédale de la lumière.
véronique lorelle

LES ÉTUDIANTS 


EN DESIGN FOURMILLENT 


AUSSI D’IDÉES. SERAY 


OZDEMIR, DIPLÔMÉE 


DU ROYAL COLLEGE 


DE LONDRES, A DESSINÉ 


UNE TABLE ET UN BANC 


QUI S’INSCRIVENT 


DANS UNE ENCOIGNURE, 


POUR RECEVOIR MÊME 


DANS UN COULOIR


face à la pollution liée au plastique –
10 tonnes par seconde sont produites dans
le monde –, l’iconique galeriste Rossana Or­
landi ne désarme pas. Son initiative, bapti­
sée « Guiltless Plastic », dotée de prix pour
trouver des solutions intelligentes au recy­
clage de ce matériau (les Ro Plastic Prizes), a
mobilisé, pour sa première édition,
300 candidats et une quin­
zaine de pays. Les figures du
design contemporain compo­
sant le jury – dont la Néerlan­
daise Li Edelkoort, spécialiste
des tendances, l’Italien Giulio
Cappellini, directeur artisti­
que de la maison Cappellini,
ou l’Américaine Ivy Ross,
vice­présidente du design
des produits hardware chez
Google – ne sont peut­être
pas étrangères à ce succès.
Le prix Ro du design a
ainsi été remis à l’Allemand
Alexander Schul pour sa
collection baptisée « Subs­
tantial » de luminaires et
mobilier en plastique recy­
clé, pensée pour une fabri­

cation en série. Les chaises et tabourets sont
notamment composés de pièces à assem­
bler, à la manière de la célèbre chaise bistrot
dessinée au XIXe par Michael Thonet. Le
transport peut donc se faire en kit, dans des
paquets plats, à la façon Ikea.
« J’adore le concept, a souligné Rossana Or­
landi, lors d’une conférence donnée, ven­
dredi 6 septembre, au salon Maison & Ob­
jet, parce qu’il s’agit d’une solution reproduc­
tible en série, à l’échelle industrielle. Nous
avons reçu, pour cette première édition du
concours, des montagnes de propositions fa­
buleuses, mais la plupart sont artisanales et
ce n’est pas assez face à ce fléau planétaire.
On parle de la pollution des mers et des
océans, de la sauvegarde des gentils dau­
phins, mais c’est l’avenir et la qualité de l’eau
en général qui sont menacés. »

Bâton de pèlerin
La dame a donc révisé les prix qu’elle en­
tend remettre en 2020 à la hauteur de ces
exigences. Le prix Ro du design est rebap­
tisé « Design industriel ». Le prix du textile
de maison – revenu cette année aux Egyp­
tiennes Hend Riad et Mariam Hazem, du
studio Reform, pour leurs étoffes colorées à

base de sacs en plastique – s’élargit à toutes
les sortes de tissus. Le prix Conscious Inno­
vations est reconduit : il a distingué cette
année le Néerlandais Dave Hakkens, qui
propose sur Preciousplastic.com quatre
machines pour transformer le plastique, à
construire soi­même. Le prix de l’emballage
est également reconduit : il n’a pas été re­
mis cette année, « parce que les propositions
n’étaient pas à la hauteur des dommages que
créent les suremballages », constate Rossana
Orlandi. Enfin, un cinquième prix voit le
jour, celui de la communication, pour res­
ponsabiliser les citoyens du monde.
Rossana Orlandi ne lâchera pas de sitôt
son bâton de pèlerin. Elle sera le 19 septem­
bre à Londres avec l’Institut Marangoni, à
l’occasion du London Design Festival, pour
mobiliser les efforts quand seulement 6 %
des produits en plastique sont issus de plas­
tique recyclé en Europe. Elle est aussi à l’ini­
tiative de la création d’un village bâti à par­
tir de déchets, dans les jardins du Musée des
sciences et des techniques Léonard de Vinci
de Milan. Un geste fort en cette année de cé­
lébration des 500 ans de la mort du génie
scientifique florentin.
v. l.

Rossana Orlandi ne veut plus de gâchis


Panneaux acoustiques modulaires en feutre, Ikea. IKEA

Stool­D,
tabouret­vélo
d’appartement
de CDE­Unist.
SANJIN PARK, EUNJUN JO,
YOUNG-WOO PARK
(DESIGNERS), UNIST

Lampe solaire de l’artiste Olafur Eliasson et de l’ingénieur
Frederik Ottesen, Ikea. IKEA

Chaise « Substantial
Chair », en plastique
recyclé, d’Alexander
Schul. ALEXANDER SCHUL
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