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spécial récits
Le bateau linceul
Par Juliette Bénabent
Photos Andrea Rossetti pour Télérama
C’est une Coque vide et rouillée exposée à venise.
l’épave du naufrage le plus meurtrier
en méditerranée depuis 1945. elle renfermait
les Corps de Centaines de migrants. des légistes
s’évertuent à retrouver leur identité.
U
ne hirondelle, tardive en cette fin juin, vole en piqué.
elle descend jusqu’au bateau, le traverse par un rec-
tangle découpé dans la coque, ressort de l’autre côté.
pour les marins, l’hirondelle annonce la proximité de la
terre, c’est un symbole d’espoir parfois tatoué sur leur corps.
nul espoir pour ce bateau-là. posée sur quatre gigantesques
équerres de métal, sa carcasse de fer rouillé et de bois déla-
vé surplombe l’arsenal de venise. epuisé et meurtri, il a de-
puis longtemps fini sa route, sur ces quais d’où des milliers
de navires marchands et militaires partirent à l’assaut de la
méditerranée. quelques visiteurs lui jettent un regard dis-
trait, le photographient, feuilletant le catalogue de la Bien-
nale à la recherche d’explications, puisque nulle légende ne
l’accompagne. « Qu’est-ce que c’est? », demande un jeune gar-
çon italien, sa glace à la main. « Un bateau qui a coulé », ré-
pond sa mère. « Mais pourquoi il est là? », insiste-t-il. « Pour
qu’on se souvienne que des bateaux coulent et que des gens
meurent. Pour qu’on n’oublie pas », dit la mère.
le vent soulève le sable blanc du quai et fait danser les pa-
rasols clairs du bar voisin. sous l’imposante épave (7 mètres
de haut et 23 de long), une femme blonde l’observe. elle a la
tête levée, une main en visière pour se protéger du soleil. Ce
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