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SAMEDI 31 AOÛT 2019 idées| 27
Les partis politiques et leurs
« batailles de dénomination »
D
e la Bretagne à la Côte d’Azur, la ren
trée politique s’étire le long du litto
ral, comme une dernière météo des
plages – mer belle à agitée, selon l’état des for
ces et de la concurrence. Les partis ressusci
tent la tradition des universités d’été qui s’était
perdue depuis quelques années.
Le weekend du 24 août était chargé à gauche.
Les écologistes d’EELV étaient à Toulouse pour
des journées d’été encore de saison. Mêmes da
tes et même lieu pour les partisans de JeanLuc
Mélenchon, qui ont cultivé leur singularité par
un jeu de mots autour du « phi » grec, pierre an
gulaire du sigle de leur parti :
leurs retrouvailles s’appellent
les « Amfis ». Après trois ans
d’absence, les socialistes
étaient, quant à eux, de retour à
La Rochelle (CharenteMari
time). Samedi 31 août, Les Ré
publicains (LR) se réunissent à
La Baule, une première depuis
fort longtemps. Pour la plupart
des formations politiques,
l’université d’été reste donc de
mise. Sauf en Macronie, bien
sûr, où l’on fait à peu près tout
comme les autres, mais en prenant grand soin
de le dire autrement. C’est un « campus des ter
ritoires » qui réunira les partisans d’Emmanuel
Macron à Bordeaux, les 7 et 8 septembre. Au
minimum, il s’agit pour La République en mar
che de montrer sa différence. Et, si possible, de
suggérer, à quelques mois des municipales,
l’idée d’un ancrage local.
L’heure est toutefois à l’accalmie lexicale
après un grand chambardement sur le front
des appellations partisanes, qui a vu l’UMP de
venir Les Républicains, le Parti de gauche se
muer en La France insoumise, et l’extrême
droite transformer son Front en Rassemble
ment national. On pourra se convaincre de
l’importance de cet enjeu en consultant tout
ou partie du dossier que la revue Mots, les lan
gages du politique vient de publier, sous l’inti
tulé « Nom d’un parti! Pour une onomastique
partisane » (n^0 120, juillet 2019).
Dans un article documenté, le politiste Julien
Fretel revient sur une création ex nihilo : l’appa
rition d’En Marche! dans le champ politique. Ce
travail est un « passage scientifique obligé tant
le choix de ce nom a procédé d’une stratégie
consciente de rupture langagière ». Guidée par
la « ferme volonté de cloîtrer leurs adversaires
dans l’image d’un ancien monde prétendument
sclérosé », l’entreprise macronienne a engendré
En marche! « comme symbole de la mise en
branle d’un mouvement qui ne serait ni un parti,
ni une chapelle, ni un lieu de production doctri
nale, mais une marque à lui seul qui n’aurait pas
d’autres fins que celle de l’identification mobili
satrice en faveur d’un projet de conquête politi
que faisant l’économie de la politique ».
« Comme ses concurrents, le Parti socialiste n’a
pas échappé à ces batailles de dénomination »,
relève dans un autre article de la revue le poli
tiste Eric Treille, qui évoque « un quasiinva
riant pour un parti sommé de transformer son
identité politique après chaque défaite électo
rale ». Stéphane Le Foll, ancien ministre de
l’agriculture, avait ainsi proposé, à l’été 2017, de
troquer la dénomination PS contre « Les socia
listes ». Quelques mois plus tard, au congrès
d’Aubervilliers, le PS choisissait la « fidélité au
passé » et la « stabilité lexicale ». Pour autant,
« la vente du siège socialiste s’est transformée en
enjeu caché » de ce congrès, « le toponyme rem
plaçant la siglaison ». Exit le fameux « Solfé
rino » – « Solfé » pour les intimes − : en cette an
née 2018, « le substitut discursif le plus médiati
que de la dénomination “PS” » a rendu l’âme.
jeanbaptiste de montvalon
APRÈS UN GRAND
CHAMBARDEMENT,
L’HEURE EST
TOUTEFOIS
À L’ACCALMIE
LEXICALE
ANALYSE
T
rente ans. C’est le temps qui s’est
écoulé depuis la « révolution pacifi
que » qui a provoqué la chute du
mur de Berlin, le 9 novembre 1989,
l’effondrement du régime communiste de
RDA et la réunification des deux Allemagnes,
le 3 octobre 1990. Déjà, dans les livres d’his
toire, cette période dite de la « Wende »
(« tournant ») n’en continue pas moins de
hanter la vie politique allemande. Pendant la
campagne des élections régionales prévues
dimanche 1er septembre dans le Brande
bourg et la Saxe, deux Länder de l’exRépubli
que démocratique allemande, le souvenir de
la Wende a été au cœur de la bataille. Un parti
a carrément décidé d’en faire un thème cen
tral de sa campagne : Alternative pour l’Alle
magne (AfD, extrême droite).
Crédité de 2022 % des voix dans le Brande
bourg et de 2426 % en Saxe, l’AfD a choisi
une stratégie très claire : se présenter
comme l’héritier de l’élan libérateur de
l’automne 1989 en RDA. Sur ses tracts, les ré
férences à cette période sont omniprésentes.
Trente ans après 1989, l’AfD prône une nou
velle « révolution pacifique ». Trente ans
après la Wende, il promet une « Wende 2.0 ».
Autre exemple, cette affiche où l’on peut lire :
« Hier comme aujourd’hui : “Nous sommes le
peuple” » (« Wir sind das Volk »). Là encore,
l’allusion est transparente : apparu lors des
« manifestations du lundi » d’octobre 1989 à
Leipzig, « Wir sind das Volk » est resté dans les
mémoires comme le mot d’ordre par
excellence du mouvement démocratique de
1989 en RDA.
Comment expliquer cette stratégie de cam
pagne? En réalité, le détour par le passé per
met au parti d’extrême droite de déployer un
discours sur le présent. En réclamant une
nouvelle « révolution pacifique », l’AfD cher
che à entretenir l’idée que l’Allemagne
d’aujourd’hui serait dans une situation com
parable à celle de la RDA finissante. A l’instar
d’Andreas Kalbitz, tête de liste AfD dans le
Brandebourg, qui déclarait récemment :
« Aujourd’hui, les conditions de vie ne sont
toujours pas égales entre l’Est et l’Ouest. La li
berté d’opinion n’existe pas non plus, et ceux
qui pensent “autrement” sont toujours répri
més, comme le faisait la Stasi autrefois. (...) Les
gens ne sont pas descendus dans la rue
en 1989 pour obtenir en retour ce que nous de
vons supporter aujourd’hui. »
Les espoirs déçus de la réunification
Ce discours n’est pas nouveau. En novem
bre 2018, lors du congrès de l’AfD à Augs
bourg, en Bavière, Alexander Gauland, le co
président du parti, avait déjà affirmé que la
situation actuelle lui « rappel[ait] celle des
derniers mois de la RDA ». A l’époque, la for
mule avait été peu commentée. Ces derniè
res semaines, en revanche, l’omniprésence
des références à 1989 dans le discours de
l’AfD a provoqué de vives réactions. Le
20 août, 110 personnalités engagées dans le
mouvement des droits civiques à la fin de la
RDA ont publié une lettre ouverte sous le
titre : « Pas avec nous. Contre le détourne
ment de la révolution pacifique de 1989 à des
fins électorales. » Signé notamment par le so
cialdémocrate Wolfgang Thierse, ancien
président du Bundestag (19982005), Ma
rianne Birthler, ancienne déléguée fédérale
chargée des archives de la Stasi, mais aussi
par des écrivains, des artistes et des histo
riens, le texte accuse le parti d’extrême droite
de colporter des « mensonges historiques ».
« Nous ne sommes pas descendus dans la rue
pour les démagogues de l’AfD. Certes, nous vi
vons dans un pays où il y a encore beaucoup à
changer ou à améliorer. Mais c’est justement
le propre d’une démocratie, [un régime] qui
réclame justement beaucoup d’exigences car
il oblige à concilier des intérêts par nature
divergents », y estil notamment expliqué.
A vrai dire, ces attaques n’impressionnent
guère l’AfD. En plus de ses thèmes de prédi
lection (immigration, islam, sécurité, euro),
le parti d’extrême droite a clairement fait de
l’histoire un terrain de controverse. Auteur
d’une thèse d’histoire du droit sur le « prin
cipe de légitimité institutionnelle depuis le
congrès de Vienne de 1815 », Alexander Gau
land accorde toujours une grande place au
passé dans ses propos, sans craindre de cho
quer, bien au contraire. Ce qu’il fit en
juin 2018, en affirmant qu’« Hitler et les nazis
ne sont qu’une fiente d’oiseau à l’échelle de
plus de mille ans d’histoire glorieuse ». Ou,
quelques mois plus tôt, en déclarant que « si
les Français ont le droit d’être fiers de Napo
léon et les Anglais de Churchill, il n’y a pas de
raison que nous ne puissions pas être fiers des
performances des soldats allemands durant
la seconde guerre mondiale ».
L’objectif de l’AfD est le même : restaurer
une fierté nationale blessée, en l’occurrence
celle de la RDA, une nation qui n’existe plus
juridiquement mais dont l’AfD sait qu’elle
existe encore dans les têtes. La manœuvre
peut paraître grossière. Elle n’en repose pas
moins sur un certain nombre de frustrations
et d’inquiétudes liées à la situation socio
économique des Länder de l’Est, où la popu
lation vieillit plus vite qu’à l’Ouest, où le chô
mage est en moyenne de 6,6 % (contre 4,7 % à
l’Ouest), où le revenu moyen par habitant est
de 29 477 euros (contre 40 301 euros à
l’Ouest), et où ne se trouvent les sièges
sociaux que de 37 des 500 plus grandes en
treprises du pays.
L’AfD atelle eu raison de faire de la mé
moire de 1989 un enjeu central des régiona
les du 1er septembre? Les résultats le diront.
Une chose est en tout cas certaine :
trente ans après le « tournant » de 1989, les
espoirs déçus de la réunification continuent
de peser sur la société allemande, et en par
ticulier à l’Est. Un sentiment récemment
mis en lumière par un sondage réalisé pour
la chaîne publique ZDF. Selon cette étude,
parue en juin, 68 % des habitants des Länder
de l’Ouest estiment que le bilan de la réunifi
cation est globalement bon. A l’Est, ils ne
sont que 59 %.
thomas wieder (berlin, correspondant)
LE PARTI D’EXTRÊME
DROITE A CHOISI
UNE STRATÉGIE
TRÈS CLAIRE : SE
PRÉSENTER COMME
L’HÉRITIER DE
L’ÉLAN LIBÉRATEUR
DE L’AUTOMNE 1989
EN RDA
Dans l’ex-RDA, l’AfD tente de capitaliser sur la mémoire de 1989
ÉTUDES. REVUE
DE CULTURE
CONTEMPORAINE
no 4262, juillet-
août 2019, 12 euros
SONDER LES ASPIRATIONS
DE LA JEUNESSE
LA REVUE DES REVUES
D
ans le numéro d’été de la
revue Etudes, fondée
en 1856 par des pères de
la Compagnie de Jésus, l’écrivain
Dalibor Frioux rend un bel hom
mage à la génération des « en
fants juges » incarnée par la Sué
doise Greta Thunberg, militante
de la lutte contre le réchauffe
ment climatique, âgée de 16 ans.
L’auteur de Brut et d’Incident
voyageurs (Seuil, 2011 et 2014) sa
lue la lucidité de ces jeunes qui se
mobilisent sans relâche pour le
climat. « Dans le bonheur de l’es
pérance enfantine, il y a un futur
qui va de soi, un lendemain tou
jours neuf. Mais voilà : la crise éco
logique la leur a volée. C’est cha
que matin un monde de moins en
moins neuf qui se fait jour. Un
monde qui se laisse de moins en
moins réparer par la sagesse de la
nuit, le respect de la création ou de
la nature, privé de capacités de ré
génération. »
Pour Dalibor Frioux, qui a été le
chroniqueur d’Etudes sur les
questions d’écologie de 2015 à
2018, la catastrophe environne
mentale interrompt une longue
histoire fondée sur la certitude
du renouvellement d’un monde
commun. Elle est, à ce titre, le si
gne d’une « gigantesque crise de
la transmission entre les généra
tions ». « Transmission non plus
de valeurs ou de savoirs, mais de
la possibilité même de vivre une
vie humaine dans un corps hu
main. Transmission des mammi
fères, des cours d’eau, de l’alter
nance des saisons, du bourdonne
ment audessus des prairies.
Transmission de la longévité et de
la santé, de maxima et de minima
de températures, d’étés et d’hi
vers. »
Succès des partis écologistes
Au printemps, cette mobilisa
tion de la jeunesse a trouvé une
première traduction électorale
lors des élections au Parlement
européen. Pour la politiste Flo
rence Haegel, qui analyse le scru
tin pour Etudes, c’est à elle que
l’on doit – notamment – la
hausse de la participation électo
rale – le scrutin a renoué avec les
taux du début des années 1980,
supérieurs à 50 % – et le succès
des partis écologistes. « Cette
progression est intéressante car
elle est alimentée par une vraie
transformation des aspirations
des populations, explique la pro
fesseure de Sciences Po. Cela a
pris du temps, mais, désormais,
l’écologie joue un rôle politique
très significatif, en particulier
parmi les jeunes générations. »
Dans ce même numéro d’Etu
des, l’historien Benjamin Stora
salue, lui aussi, la combativité et
la lucidité de la jeunesse, mais en
Algérie cette fois, et sur le terrain
de la démocratie. Pour les jeunes
Algériens, estime le président du
conseil d’orientation du Musée
national de l’histoire de l’immi
gration, l’annonce du cinquième
mandat présidentiel d’Abdelaziz
Bouteflika a été l’humiliation de
trop : pour ne pas devenir la risée
du monde entier, ils sont descen
dus massivement dans la rue. « Il
y a un recours à l’aspect à la fois
pacifique et festif de la protesta
tion, les chansons de supporteurs,
les hymnes, etc. On a une Algérie
nouvelle qui apparaît au grand
jour, une Algérie qui jusquelà,
était souterraine. »
anne chemin
VIE DES IDÉES
QUESTIONSPOLITIQUES
DIMANCHE 1
ER
SEPTEMBREÀ 12H
YANNICKJADOT
DÉPUTÉ EUROPÉEN EELV
ALI BADDOU, CARINE BÉCARD, FRANÇOISE FRESSOZ ETNATHALIE SAINT-CRICQ
ENDIRECTSURFRANCEINTERETSURFRANCEINFO(TVCANAL27)
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© photo : Christophe Abramowitz
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