Le Monde + Magazine - 31.08.2019

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31 août 2019—Photos Alexandre Guirkinger pourMLemagazine du Monde

s’inspirent mutuellement.«Il
s’agit de réécrire les mythes »,
poursuit Sciamma qui se dit gui-
dée par cette invitation de
l’Américaine Donna Haraway,
«habiter le trouble».Dansson
premier long-métrage, il s’agis-
sait de regarder les états d’âme
adolescents comme«lachose la
plus importante au monde ».
AprèsTo mboy,Bande de filles
(2014) racontait l’amitié entre
quatre adolescentes noires, en
rébellion contre les interdits et
les assignations qu’on leur
impose.«Céline aime l’exercice
de l’admiration et de la célébra-
tion,observe Rebecca Zlotowski.
Elle veut donner la victoireàdes
visages qu’on n’a pas vus en
gloire. Et c’est un projet de
cinéma passionnant. »
Un projet qui peut provoquer des
malentendus. En 2014, alors que
Bande de fillesest acclamé aux
États-Unis par la critique et par
certains artistes afro-américains
–Barry Jenkins, futur réalisateur
deMoonlight,le qualifie de«chef-
d’œuvre »–, des voix s’élèvent en
France pour interroger sa légiti-
mité de réalisatrice blanche et
bourgeoiseàmettreenscène des
jeunes filles noires de banlieue.À
l’époque,«onneparlait pas d’ap-
propriation culturelle,rappelle
son frère Laurent Sciamma.Mais
aujourd’hui, elle interrogerait sa
légitimitéàlefaire. »
Dans les films qu’elle met en
scène, les hommes sont pour
l’heureabsents, réduitsàn’être
que des silhouettes :«Laviolence
que ça leur fait d’être exclus du
cadre... Je la comprends. »Elle
s’arrête.«Mais je la connais cette
violence. J’ai passé ma vieàaimer
des films qui ne m’aimaient pas. »
Céline Sciamma enavudes films
qui bouchent l’horizon. Qui ne
montrent que des princesses
blanches,belles et jeunesàsauver,
des héros blancs,forts et puissants
àaimer.
SonPortrait de la jeune fille en
feupropose un autre imaginaire
de l’amour;lapassion amou-
reuse est vécue librement, sans
culpabilité, ni honte de soi.
«L’idée que l’inclusif et l’égalité
produisent de l’ennui me révolte,
dit Sciamma.C’est, au contraire,
l’occasion de ne pas être dans
la répétition des mêmes négocia-
ti ons,deproduire delasurprise
et du spectacle. »Virginie

Despentesnote :«Aprèsdes filmsd’artistes, elleafaitungrand film,
un film de madame. LePortraitest un film lesbien absolu et en même
temps, ça n’est pas le sujet, le sujet c’est l’amour.»
Ces histoires d’amour,elle lesadécouvertes dans les livres, rarement
dans les films.«Lalittérature gaym’a éveillée au monde »,dit-elle.
Hélène de Monferrand, Marcel Proust, Régine Deforges et sonCahier
volé.Mais aussi Annie Ernaux qu’elle croisait place desTouleuses, à
Cergy (Val-d’Oise) dont sa mère lisait tous les livres.«Une femme qui
habite ta ville et qui écrit, c’est puissant. Elle incarnait des possibles. »
Plus tard, ses années de prépa littéraire confirment ce goût. Elle com-
prend que pour ne plus se contenter de ce qui est considéré comme
«normal »,ce qui maintient le monde en place, les carcans, la domina-
tion et les convenances, que pour se libérer,illui faut lire beaucoup.
Elle n’a jamais arrêté. On l’a vue plongée dans laCorrespondance
amoureusede Natalie Clifford Barney et Liane de Pougy,etdans
Un lieuàsoide Virginia Woolf, traduit par Marie Darrieussecq. Elle
qui n’avait jamais lu un roman en pensantàl’adapter au cinéma a
caressé le rêve de le faire en se plongeant dansLa Meilleure Part

des hommes,de Tristan Garcia,
dont un des héros est inspiré de
l’écrivain gay Guillaume Dustan.
Elleaimaginé raconter celui
dont elle aime la langue et l’hu-
mour.Cette littérature–Hervé
Guibert, Michel Foucault, les
amitiés intellectuelles et amou-
reuses confuses des années
1980 –l’a construite et structu-
rée.«C’était une question de vie
ou de mort, ilyavaitalorsune
nécessité d’écrire. »Comme
aujourd’hui, ilyaune nécessité
de montrer.

Portrait de la jeune fille en feu(2 heures), de
Céline Sciamma, avec Noémie Merlant et
Adèle Haenel. En salle le 18 septembre.

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