Cerveau et Psycho N°113 – Septembre 2019

(Ron) #1
DÉCOUVERTES Neuroanatomie
LE CERVELET, PETIT MAIS COSTAUD

aussi des réactions émotionnelles imprécises et
maladroites, inappropriées aux yeux d’observa-
teurs extérieurs ». Par exemple, les patients pleu-
reraient ou riraient de manière excessive, ou
seraient au contraire difficiles à stimuler émo-
tionnellement. Ainsi, en 2012, avec le neuros-
cientifique Jason Mattingley, Baumann a montré
à des volontaires sains une série de photos – de
visages, d’objets, d’animaux ou de scènes – tout
en enregistrant leur activité cérébrale. Et après
chaque présentation, les chercheurs demandaient
aux participants d’indiquer les émotions qu’ils
éprouvaient, comme la joie ou le dégoût. Selon
l’émotion mise en jeu, différentes zones du cer-
velet s’activaient ; or cette division neuronale des
réactions émotionnelles n’avait jusque-là été
observée que dans le cortex cérébral.
Baumann ajoute que « le cervelet est directe-
ment connecté à l’amygdale, un important centre
émotionnel au cœur du cerveau. Il n’est donc pas
surprenant qu’il joue un rôle dans nos senti-
ments ». De plus, de nombreuses émotions
auraient une composante motrice : par exemple,
quand la peur nous saisit, nous nous préparons
intérieurement à fuir ou à combattre. D’où une
implication probable du cervelet pour coordon-
ner toutes ces réactions.


ON PEUT PRESQUE TOUT FAIRE
SANS CERVELET
Toutefois, dans l’ensemble, les changements
cognitifs et émotionnels après des lésions cérébel-
leuses sont souvent peu dramatiques comparés
aux déficits moteurs. Jörn Diedrichsen ajoute avec
étonnement : « Presque tout se passe sans cervelet.
C’est étrange, bien sûr. Mais cela suggère que nous
n’avons manifestement pas encore compris
quelque chose de fondamental. Notre cerveau
entretient cette structure complexe qui consomme
beaucoup d’énergie ; mais quand elle est endom-
magée, la plupart des déficits semblent minimes. »
De fait, certains chercheurs soupçonnent le
cervelet de jouer un rôle important dans le déve-
loppement des enfants, mais il perdrait ensuite
de son influence avec l’âge. Les résultats selon
lesquels il participerait aux processus d’appren-
tissage vont dans ce sens. De même que les tra-
vaux réalisés dans le domaine de l’autisme : des
lésions au cervelet qui surviennent dans l’utérus
ou immédiatement après la naissance augmen-
tent de 15 à 40 fois le risque que l’enfant souffre
d’un trouble autistique. En revanche, les adultes
qui subissent un infarctus cérébelleux ne déve-
loppent jamais de symptômes autistiques. Le neu-
roscientifique Sam Wang, de l’université de
Princeton, suppose donc qu’une fois que toutes


les fonctions cognitives se sont développées à
l’âge adulte, le cervelet n’intervient que pour les
moduler de façon fine. Mais dans l’enfance et
l’adolescence, il jouerait un rôle décisif dans la
formation des circuits neuronaux du cerveau.

AUTISME, SCHIZOPHRÉNIE?
On a aussi récemment découvert que le cer-
velet est probablement impliqué dans les mala-
dies mentales. En particulier dans la schizo-
phrénie, d’après Michèle Wessa, de l’université
de Mayence. Cette neuropsychologue a comparé
les scintigraphies cérébrales de patients bipo-
laires – qui traversent des changements fré-
quents d’humeur, alternant entre des phases
maniaques et dépressives – avec celles de per-
sonnes souffrant de schizophrénie. Ce n’est que
dans ces derniers cas qu’elle a constaté une
diminution importante de la taille du cervelet.
Selon la chercheuse, « il est tout à fait cohérent
que les schizophrénies soient davantage associées
à des déficiences cognitives que les troubles bipo-
laires ». De plus, les patients psychotiques souffrent
souvent de troubles moteurs, comme des balance-
ments, des engourdissements ou des mouvements
incontrôlés. Ce qui serait également lié à des ano-
malies du cervelet – mais pour le moment, aucune
preuve ne confirme cette hypothèse.
En mai 2017, un groupe international de cher-
cheurs, dont Michèle Wessa et Jörn Diedrichsen,

UN DEUXIÈME PROCESSEUR


À L’ARRIÈRE DE LA TÊTE


L


e cervelet est situé sous le cortex cérébral et a à peu près la taille
d’un poing (voir la figure page 35). Il se compose de deux moitiés
symétriques, que l’on appelle hémisphères, comme pour le cerveau.
Mais contrairement à ce dernier, il a une « écorce » de matière grise beaucoup
plus dense et plissée ; si on l’ouvrait en deux, sa structure rappellerait celle
d’un chou-fleur. De plus, alors que les différentes régions du cortex cérébral
ont des types de cellules bien différents, le cervelet est très uniforme :
ses diverses zones ne se distinguent principalement que grâce
aux connexions qu’elles créent avec les différentes aires du cortex cérébral.
Les neuroanatomistes divisent souvent le cervelet en trois parties :
le vestibulo-cervelet, qui intervient dans les mouvements oculaires et l’équilibre ;
le spino-cervelet, comprenant le pédoncule, une sorte de pont entre
ses hémisphères et sa partie inférieure, qui contrôle les mouvements précis
des extrémités des membres et de l’appareil vocal ; enfin, le ponto-cervelet,
étroitement lié au cortex cérébral et apparemment impliqué dans les processus
mentaux supérieurs, mais peu dans les fonctions motrices.
Cette dernière région s’est d’ailleurs particulièrement développée
au cours de l’évolution de l’homme.
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